Intervention de Yvan Ricordeau

Commission des affaires sociales — Réunion du 15 février 2023 à 9h05
Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 — Audition d'organisations syndicales

Yvan Ricordeau, secrétaire national, responsable de la politique sur les retraites de la CFDT :

Madame la rapporteure générale, j'apprécie le soutien franc que vous avez exprimé envers les syndicats. Nous pensons, nous aussi, que le renforcement du dialogue social est un élément clé pour les réformes qui doivent être menées dans notre pays.

Nous faisons des analyses comparatives entre pays européens sur les réformes sociales ; le dossier des retraites est un exemple type. Regardons comment les éléments de protection sociale ont été construits dans les modèles qui sont mis en exergue et quelle part de responsabilité y est donnée aux différents acteurs, notamment aux acteurs sociaux ; la question du poids des organisations syndicales et des organisations d'employeurs nous semble donc essentielle.

S'agissant de l'emploi des seniors, nous proposons de renforcer le dialogue social. Cela dit, nous ne sommes guère optimistes : dans l'équilibre politique qui est en train de se construire sur ce projet de réforme, les éléments de renforcement du dialogue social ne nous semblent pas promis à un grand avenir. Pourtant, on ne progressera pas sur les questions névralgiques de l'emploi des seniors et de la qualité des carrières sans renforcer le dialogue social. Or l'Assemblée nationale, depuis hier soir, va dans l'autre sens. Dans les quelques semaines qui sont devant nous, nous ne percevons pas la perspective d'un rendez-vous en vue d'une refondation plus profonde de notre système de retraite. Cela dit, un système à points peut être un moyen de renforcer notre système par répartition. La caisse de retraite complémentaire des salariés du privé Agirc-Arrco en est une belle démonstration : elle est très bien gérée, solide et tenue financièrement. Il est possible de s'appuyer dessus pour construire l'avenir. De même, certains systèmes à points recèlent une forme de solidarité qui permet des correctifs. Le débat actuel montre que, si l'on veut corriger les inégalités entre femmes et hommes et mettre un terme à l'une des principales injustices - les diminutions de pensions qui touchent les polypensionnés -, on ne pourra le faire que par une refondation de notre système de retraite. La construction des droits par sédimentation de réformes successives conduit inévitablement à créer des avantages et des inconvénients quand on fait bouger un curseur. Malheureusement, cette refondation n'est pas l'objet du rendez-vous qui nous est proposé, car un autre choix a été fait.

Sur l'usure professionnelle, le texte contient des avancées qui correspondent à des demandes de la CFDT : je pense à l'amélioration du C2P actuel, à l'abaissement des seuils, ou à la prévention, qui semble avoir un effet de levier dans le projet de loi. Le problème est qu'il n'y a pas d'amélioration concernant la réparation de l'usure professionnelle ; c'est cela qui justifie le désaccord fondamental de la CFDT. Aux salariés qui travaillent dans les menuiseries, à ceux qui passent leur carrière à porter des vitres ou des seaux de peinture, à tous ceux qui enchaînent les postures pénibles, le projet de réforme dit : « si vous présentez un taux d'incapacité, vous pourrez partir deux ans avant les autres, mais seulement à 62 ans - c'est-à-dire comme aujourd'hui ». En revanche, tous ceux qui ne sont pas cassés par leur carrière professionnelle devront aller jusqu'à 64 ans, ce qui, pour ces salariés, est tout simplement inenvisageable. Notre proposition est de permettre aux salariés exposés aux trois critères ergonomiques que sont le port de charges lourdes, les vibrations mécaniques et les postures pénibles de bénéficier d'un droit à la retraite anticipée, en fonction de critères et de seuils qui auront été définis par les branches professionnelles. On nous avait objecté qu'un tel mécanisme serait une usine à gaz, mais il est tout à fait possible de le mettre en place de façon très simple. Nous avons fait des propositions, dans le cadre de la concertation, qui permettent de résoudre les problèmes, mais cela bloque au niveau de la décision.

Nous sommes d'accord avec vous sur la retraite progressive : il faut renforcer tous les dispositifs permettant de baisser l'intensité du travail dans la dernière partie de carrière. Ainsi, on améliorera la qualité de l'emploi. Malheureusement, le débat à l'Assemblée nationale montre que le consensus politique tend à ce que l'on ne fasse rien sur l'emploi des seniors, à l'inverse de ce qui est nécessaire pour assurer l'avenir du système de retraite.

Nous avons besoin d'un débat franc et direct sur la durée de cotisation : depuis vingt ans, la CFDT demande une répartition de l'augmentation de la durée de vie entre la carrière et la retraite, et souhaite jouer sur la durée de cotisation. Nous ne remettons donc pas en cause la réforme Touraine et les 43 années. Mon propos sur les perspectives financières visait le déséquilibre existant. Le rétablissement de l'équilibre soulève la question des recettes, comme mes voisins l'ont indiqué. Affinons ce qui a été construit dans la perspective de l'équilibre financier, s'agissant notamment de l'emploi public. Dans le projet de loi, les perspectives le concernant constituent un élément de confrontation : faut-il baisser de 10 % la masse salariale de l'emploi public ? Si oui, dites-nous comment ! Le débat n'est pas posé selon ces termes : il faut non seulement prendre en compte la démographie, mais aussi l'emploi des seniors et la qualité de l'emploi.

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