Mes réponses concernant la structure des recettes et des dépenses sociales ou les compensations aux collectivités sont limitées non seulement par mes compétences d'aujourd'hui - j'interviens en tant que président du HCFP -, mais plus encore par la nature étroite des informations dont je dispose. En 2023, selon une estimation qui nous semble réaliste, la réforme aura un coût de 400 millions d'euros.
Vous m'interrogez sur le chômage supplémentaire parmi les personnes de 60 ou de 61 ans qui ne sont pas à la retraite. En 2018 - l'étude date un peu -, France Stratégie a estimé que la moitié de ces personnes étaient en activité, 10 % au chômage, et un tiers inactives. On estime que, en 2023, 50 000 personnes décaleront leur départ du fait de la réforme. Sans réforme, ces personnes seraient parties dès leurs 62 ans cette année, à partir d'octobre. Ce chiffre représente le quart des 200 000 personnes qui partent chaque année en retraite dès l'âge légal atteint, sur un peu plus de 700 000 départs annuels. Là encore, cette estimation est réaliste, mais nous ne disposons pas d'informations supplémentaires, et il s'agit d'un calcul fait sur un coin de table.
Notre avis sur le projet de loi de programmation des finances publiques a été critique : nous estimions que la trajectoire retenue par le Gouvernement n'était pas assez ambitieuse, et que ses hypothèses de croissance étaient trop optimistes. Néanmoins, il est impératif de disposer d'une loi de programmation des finances publiques au regard de nos règles internes : le Haut Conseil, par exemple, doit travailler sur des écarts par rapport à des objectifs fixés par la programmation des finances publiques. Nous sommes un élément du bloc de constitutionnalité, et, sans loi de programmation, les choses peuvent devenir « gazeuses ». Nous ne sommes pas à l'abri d'un processus de finances publiques mal éclairé, peu transparent et discontinu. Il y a un vrai risque juridique, comme chacun le sait, et il n'est pas prudent de le sous-estimer.
Dans une autre vie, j'étais commissaire à Bruxelles en charge des finances publiques. Par chance, il n'y a pas, en ce moment, de règle de finances publiques européenne opérationnelle. Mais cela est conjoncturel, et des règles seront rétablies, car, sans règle, pas de boussole : la Commission européenne a besoin d'une programmation des finances publiques pour fonder ses décisions. Elle pourrait, à un moment donné, estimer que cet élément est fondamental pour obtenir un certain nombre de financements européens.
Sur un plan formel, il est important d'insister : l'absence de loi de programmation des finances publiques n'est pas une bricole : elle constitue un problème substantiel.
Monsieur Jomier, vous alliez plus loin. En effet, il y a un paradoxe français : nous avons le plus haut niveau de dépense publique de l'Union européenne après le Danemark, avec un taux de 58 % du PIB, et, pourtant, les Français perçoivent une dégradation de certains services publics. Avant l'élection présidentielle, en décembre 2021, la Cour des comptes avait publié une série de notes structurelles démontrant un certain nombre de défaillances. Par exemple, la politique du logement française est deux fois plus coûteuse que la moyenne européenne, mais n'est pas jugée comme plus performante, y compris par rapport à son objectif central de délivrer des logements sociaux. Je ne plaide pas pour diviser par deux les dépenses de ce domaine, mais il y a problème d'efficacité. Deuxième exemple, notre système d'éducation est puissant, massif et coûteux, mais il se dégrade, comme le prouvent les enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa). Là encore, cela prouve qu'il y a un problème d'efficacité de la dépense publique.
France Stratégie considère que les transferts vers les entreprises ont un effet plutôt positif sur la compétitivité. Il est absolument nécessaire de faire la revue et de soulever le capot des dépenses publiques, d'investir dans ce qui marche, et d'économiser et de maîtriser la dépense sur ce qui ne fonctionne pas. Je n'ai pas toutes les réponses. La Cour des comptes participera à cet exercice. C'est indispensable, sous peine de subir un paradoxe coûteux, nos compatriotes se plaignant d'un excès de dépenses financé par des prélèvements - l'un d'entre vous a parlé de ras-le-bol fiscal -, alors que les services publics sont perçus comme peu fonctionnels. Il faut donc améliorer la qualité de la dépense publique. Quelles que soient les préférences politiques, chacun doit participer à cet objectif : personne ne peut se satisfaire d'un haut niveau de dépense et d'une faible qualité de prestations. Si, de surcroît, l'endettement est massif, et que l'on ne peut financer ni l'existant ni l'avenir, on se retrouve pris dans un noeud gordien singulier...
La question des baisses d'impôts a été posée. J'ai déjà dit, en septembre, en tant que Premier président de la Cour des comptes, puis en tant que président du HCFP, que, si l'on doit maîtriser nos finances publiques, donc réduire nos déficits et notre dette, il n'y a que trois voies : muscler notre croissance - les taux de croissance seront limités ces prochaines années, et nous ne sommes pas à l'aube d'années extraordinaires -, maîtriser les dépenses, agir sur les recettes. Or nous constatons l'existence d'un plafond de consentement à l'impôt pour tous chez nos concitoyens, quelle que soit leur classe sociale. Le message de la Cour des comptes est que, en l'état, avec une croissance faible et des dépenses qui continuent d'augmenter, nous n'avons pas les marges de manoeuvre pour faire des baisses d'impôt sèches, c'est-à-dire non compensées par d'autres hausses d'impôt ou une maîtrise des dépenses. Le Gouvernement a ainsi choisi d'étaler certaines décisions, car des baisses d'impôt sèches auraient eu pour seul effet de creuser le déficit.
Un travail en profondeur sur la qualité de la dépense publique est absolument impératif pour réduire l'écart entre la perception d'une dégradation des services publics malgré les dépenses publiques très élevées, et des prélèvements obligatoires très pesants.