Nous entendons M. Pierre Moscovici, en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), pour nous présenter l'avis du Haut Conseil sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023.
Il est accompagné de M. Éric Dubois, rapporteur général du HCFP, ainsi que de membres de l'équipe du secrétariat permanent du HCFP : Mme Axelle Lacan, M. Emmanuel Jessua et Mme Caroline Lebrun. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat.
Merci de votre invitation. J'ai toujours grand plaisir à venir devant vous.
Le HCFP est saisi en application de l'article 61 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances modifiée, pour donner ses éclairages sur trois points du PLFRSS : les prévisions macroéconomiques sur lesquelles il repose, le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses, et la cohérence de son article liminaire au regard des orientations pluriannuelles définies dans le projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP). Cela fait partie de nos attributions, même si à ce stade, la LPFP n'a pas été votée...
La saisine du Gouvernement, particulièrement étroite, ne porte que sur l'incidence de la réforme sur les finances publiques pour la seule année 2023. Au-delà ne nous ont été transmises que des informations très partielles en termes d'horizon - 2026 - ; en termes de champ - les comptes des seuls régimes de base et du fonds de solidarité vieillesse (FSV), et non de l'ensemble des administrations publiques - et en termes d'explications sur le chiffrage des différents dispositifs. Le Haut Conseil n'a pas été en mesure d'évaluer l'incidence de la réforme à moyen terme sur les finances publiques, alors que c'est un sujet décisif. Ce prisme annuel est regrettable au vu des conséquences d'une telle réforme sur le moyen et long terme et de la nécessité de l'expertise indépendante qu'offre le HCFP.
Le scénario macroéconomique du Gouvernement pour 2023 nous semble toujours optimiste, même si les dernières informations économiques montrent pour l'instant une résilience plus forte que prévue de l'économie française - ce dont je me réjouis.
La réforme des retraites aura un impact très faible sur les finances publiques en 2023. Le HCFP n'a pas pu estimer sérieusement les conséquences à moyen terme sur les finances publiques, faute de disposer d'informations suffisantes.
Je commencerai par analyser la prévision macroéconomique. Le Gouvernement n'a pas modifié son scénario macroéconomique par rapport à celui de septembre dernier sur lequel reposaient les projets de lois de finances (PLF) et de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Pour 2023, le Gouvernement continue de prévoir un rythme de croissance du PIB de 1 %. Le HCFP avait alors estimé que cette prévision était un peu élevée, et fondée sur plusieurs hypothèses fragiles. Selon les informations conjoncturelles récentes, la croissance s'est essoufflée à la fin de l'année 2022 en raison de l'impact de l'inflation et de la hausse des taux d'intérêt sur la demande des ménages et les entreprises.
La prévision de 1 % du Gouvernement supposerait une accélération de l'activité durant l'année. Cette hypothèse ne peut être exclue, en raison de la résilience observée : l'emploi demeure dynamique, le risque de rupture des approvisionnements en électricité et en gaz paraît limité pour les prochains mois, les tensions sur les prix de l'énergie s'atténuent depuis l'été, et le ralentissement de l'économie allemande et de la zone euro apparaît moins prononcé qu'anticipé depuis l'automne - l'Allemagne devrait éviter une récession en 2023.
Néanmoins, cette hypothèse est optimiste. L'environnement international demeure défavorable en 2023, alors que le durcissement des politiques monétaires devrait se poursuivre, ainsi que Mme Lagarde l'a annoncé il y a deux jours pour la zone euro. Cela freinera la demande au cours des prochains trimestres. L'investissement pourrait pâtir de la hausse, plus forte qu'anticipée, des taux d'intérêt dans la zone euro dans un contexte d'incertitude élevée.
De fait, malgré des nouvelles moins mauvaises, la prévision de croissance du Gouvernement se situe au-dessus de l'ensemble des prévisions des instituts de conjoncture français et internationaux ainsi que du consensus des économistes, qui, en janvier, anticipait une croissance de 0,2 % en 2023 - 0,3 % selon la Banque de France.
Cette prévision de croissance reste donc élevée, et justifiée par le Gouvernement par la résilience de l'économie française au troisième trimestre 2022 et par l'acquis de croissance pour 2023. Cependant, elle sous-estime les facteurs de freinage de l'activité, notamment le niveau élevé de l'inflation et le durcissement des politiques monétaires. Le Gouvernement prévoit toujours pour 2023 une hausse de l'indice des prix à la consommation de 4,2 % en moyenne annuelle, après une progression de 5,2 % en 2022. Les prévisions d'inflation restent dépendantes de l'évolution des prix énergétiques, difficile à anticiper. La fin de la remise sur les carburants au 31 décembre 2022, la revalorisation de 15 % en moyenne des tarifs réglementés du gaz et de l'électricité sont des facteurs de hausse à court terme, alors que les baisses récentes des prix des marchés du gaz et du pétrole ont un effet inverse.
Le reflux anticipé de l'inflation par le Gouvernement semble néanmoins rapide. Cette prévision d'inflation pour 2023 est inférieure à la moyenne du consensus des économistes, qui est de 4,8 %. Elle suppose un net infléchissement par rapport aux tendances récentes. Or l'indexation du Smic et les hausses de salaire déjà négociées, ainsi que la hausse des prix de production et d'importation des produits alimentaires et manufacturés devraient continuer à soutenir l'inflation en 2023, selon les responsables de la grande distribution. Le HCFP considère donc que cette prévision d'inflation du Gouvernement pour 2023 est un peu faible.
Le Gouvernement a maintenu sa prévision d'une progression de la masse salariale des branches marchandes non agricoles de 5 % en 2023. Sa prévision de croissance du salaire moyen nous semble faible, en lien avec la sous-estimation des perspectives de l'inflation. Il n'y a certes pas d'indexation entre les deux, mais inflation et masse salariale sont tout de même liées. Si l'inflation était plus élevée, on pourrait anticiper des hausses de salaire un peu plus élevées. Le HCFP estime donc que la prévision de masse salariale pour 2023 est un peu basse.
Le HCFP est chargé d'évaluer le réalisme des recettes et des dépenses du PLFRSS et de veiller à la cohérence du texte avec des orientations pluriannuelles des finances publiques. La loi organique ne permet pas au HCFP de se prononcer, car le projet de LPFP n'a pas été adopté. J'insiste lourdement : la France ne peut pas se passer d'une LPFP. C'est une obligation juridique, organique, européenne, et, surtout, un instrument de pilotage indispensable des finances publiques.
L'érosion progression des finances publiques françaises au sein de la zone euro et les investissements publics massifs nécessitent de redresser nos comptes publics. C'est atteignable sans austérité : l'effort doit être piloté sur plusieurs années pour être réaliste et pour préserver le potentiel de croissance de l'économie.
Je le redis : nous avons besoin de cette programmation pluriannuelle. J'appelle toutes les parties prenantes à adopter une telle loi dès que possible. Sans être alarmiste, son absence pose de nombreux problèmes juridiques, politiques, de pilotage, dont il serait dangereux de sous-estimer l'importance. L'absence de ce texte n'est pas anecdotique : elle est grave.
Sur le réalisme des dépenses et des recettes présentées dans le PLFRSS, le Gouvernement ne nous a transmis que les impacts de la réforme pour 2023. Les conséquences du PLFRSS sont faibles, avec un coût estimé par le Gouvernement de 0,4 milliard d'euros, soit une estimation réaliste. Ce coût résulte des économies réalisées par le décalage de trois mois du départ en retraite d'environ 50 000 personnes fin 2023, des recettes fiscales et des cotisations sociales supplémentaires liées à leur maintien dans l'emploi durant ces trois mois, et des dépenses supplémentaires entraînées par la réforme : hausse du minimum contributif - dont les conditions précises restent à déterminer -, mesures sur la pénibilité et l'usure professionnelle, mesures en faveur des transitions emploi-retraite. Mais les dépenses progressent plus vite que les recettes.
Le solde est prévu à 5 points de PIB en 2023. En septembre, le HCFP avait estimé que le déficit de 2023 risquait d'être plus dégradé que prévu, en raison d'une croissance plus faible. À ce jour, ce risque est contrebalancé par la baisse récente des prix de gros du gaz et de l'électricité, qui pourrait alléger le coût de l'ensemble du dispositif de soutien aux ménages et aux entreprises. Nous corrigeons notre appréciation au vu des bonnes nouvelles récentes.
Le HCFP n'a pas reçu d'informations suffisantes sur les impacts de plus long terme sur les finances publiques. Tout au plus avons-nous reçu l'annexe au PLFRSS portant sur 2023-2026. C'est regrettable. Comment le comprendre, alors que nos finances publiques ont plus que jamais besoin d'une gouvernance transparente et d'une expertise indépendante ? Je rappelle que le Haut Conseil a été créé par la loi organique de 2012.
Malgré ces manques, nous faisons un diagnostic non négligeable : la réforme des retraites ne devrait pas améliorer la trajectoire de dette présentée par le Gouvernement dans le projet de LPFP en septembre. Elle ne témoigne d'aucune ambition supplémentaire dans l'effort de redressement des finances publiques, alors que, selon l'avis rendu par le HCFP en septembre, la trajectoire présentée par le projet de LPFP était peu ambitieuse. En effet, l'inflexion envisagée était limitée et tardive : la dette amorçait sa décrue en 2027, alors que les hypothèses de croissance étaient optimistes. Cette trajectoire impliquait déjà une réforme des retraites. Les déficits des régimes de base de la sécurité sociale et du FSV entre 2023 et 2026 sont désormais un peu plus élevés que dans le PLFSS 2023. Les dépenses de retraite progressent, dans le PLFRSS, plus rapidement que prévu en septembre, en raison de l'intégration de mesures non encore envisagées, qui dégradent légèrement les comptes publics.
Il ne revient pas au président du HCFP de déterminer le contenu d'une réforme des retraites, son calendrier, les modalités d'accompagnement et de compensation. C'est la responsabilité du Gouvernement et du Parlement, en lien avec les partenaires sociaux. Mais, en France, le statu quo ne permettrait pas de garantir la soutenabilité de nos finances publiques. Celles-ci ont connu une dégradation sur une longue période, et il manque des marges de manoeuvre nécessaires pour faire face aux chocs et aux investissements publics dont le pays a besoin. Je ne jouerai pas les Cassandre, mais nous devons financer une montagne d'investissements et un mur de dette. Si les deux se font face, cela ne convient pas. Il faut organiser un système de vases communicants et retrouver des marges de manoeuvre sur la dette pour financer les investissements. Sans quoi, je ne sais pas comment nous ferons...
En 2001, la France est entrée dans la zone euro avec un ratio de dette dans la moyenne européenne, équivalent à celui de l'Allemagne : 58 points de PIB. Vingt ans plus tard, notre position relative s'est nettement dégradée. La dette de la Belgique, auparavant très élevée, a augmenté d'un point ; celle de l'Allemagne, de 10 points ; celle de l'Italie, de 41 points ; celle de la France, de 55 points ! Or cette dette n'est plus gratuite. Nous sommes sortis de l'ère des taux d'intérêt négatifs. Le taux d'intérêt à dix ans a retrouvé son niveau de 2012. Alors que la charge de la dette représentait 30 milliards d'euros en 2020, 35 milliards d'euros en 2021, le Gouvernement l'estime à 44 milliards d'euros en 2023. Cependant, la hausse des taux et l'inflation ne sont pas encore stoppés. Je le dis depuis des décennies : il n'y a pas de dépenses plus stériles ni plus stupides que la charge de la dette. Tout euro pour rembourser la dette manque pour n'importe quelle politique publique utile.
La France fait face à des besoins d'investissements publics majeurs dès aujourd'hui : elle doit rénover son système de santé, son système scolaire, financer ses dépenses militaires, produire des biens essentiels, investir dans la recherche et développement pour se maintenir dans la compétition mondiale - nous sommes en train de décrocher dans de nombreux secteurs, comme la santé. Nous devons investir dans les infrastructures pour nous adapter au changement climatique et réduire nos émissions de CO2. Si l'on passe son temps à rembourser la dette, comment investir ? L'état et la dynamique de nos dépenses publiques ne nous permettent pas de répondre à ces défis.
Réformer les retraites fait partie de l'effort collectif à entreprendre, mais cela ne suffira pas : la France doit améliorer ses comptes publics dans tous les secteurs, en recherchant la qualité de la dépense publique. Ce n'est pas chose facile, mais de nombreux pays ont réussi à réaliser ces revues de dépenses, et le ministre des finances a annoncé un tel exercice, nécessaire. La Cour des comptes et le HCFP participeront à ces Assises des finances publiques. Mais cela suppose une gouvernance, une raison d'être, un calendrier, une méthode, des objectifs clairs : cet exercice doit être continu et profond, et non une grand-messe.
Les défis actuels nous poussent à l'ambition et au sérieux budgétaire. Il y a quelques mois, le Royaume-Uni a connu des tensions inattendues sur sa dette : il faut donc agir dès aujourd'hui ! Sinon, nous nous exposons au risque qu'un jour arrive un accident, et qu'il faille couper drastiquement dans les dépenses ou relever fortement les impôts. Or il ne faut faire ni l'un ni l'autre, dans l'intérêt de notre pays. Anticipons et traitons maintenant le sujet de la dette et améliorons la qualité de notre dépense publique. Une réforme des retraites - à vous d'en déterminer le contenu - en fait partie.
Merci pour ces propos très clairs, et qui rejoignent les éléments, parfois insuffisants, dont nous disposons. Nous sommes au pied du mur !
Nous aurions souhaité que le Gouvernement propose un PLFRSS en 2020, 2021 ou 2022, alors que nous devions décider de dépenses énormes. C'est paradoxal d'en examiner un désormais, alors que la trajectoire des finances sociales n'est que peu modifiée depuis notre vote de cet automne.
Le HCFP considère que la prévision de croissance du Gouvernement est optimiste. Le mouvement social lié à la réforme des retraites ne figure pas parmi les facteurs de risques, bien que les annonces de grèves et de blocages risquent de plomber l'économie. Ces grèves auront-elles un impact économique important ?
Comment le HCFP apprécie-t-il le caractère réaliste de la trajectoire financière pluriannuelle de la branche vieillesse, au vu de la réforme proposée ?
Existe-t-il une marge pour ajouter, en cours de navette parlementaire, quelques mesures « généreuses » ou d'atténuation de la réforme, afin d'obtenir un équilibre ?
À la frontière de vos compétences de Premier président de la Cour des comptes, estimez-vous opportun de jouer sur le levier de la solidarité interbranches, en particulier avec la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), pour boucler le financement de la réforme, ou considérez-vous que c'est un dévoiement ?
Je m'inquiète de la réaction des Français par rapport à la réforme. Il y a, certes, une montagne d'investissements, mais aussi des dépenses et une forte dette, que nous laisserons à nos enfants ; nous devons en être conscients.
Merci pour ce rapport très intéressant. La trajectoire du Gouvernement est fondée sur un scénario à 1 % de croissance et 4,5 % de chômage. On estime le déficit en 2070 à 13 ou 14 milliards d'euros. Mais avec un taux de chômage à 7 %, il se creusera à 19 milliards d'euros. Cette trajectoire est-elle la bonne ?
Même si le régime des retraites est équilibré en 2070 grâce à la réforme, il y aura encore des déficits importants, y compris pour le régime général. Est-ce inquiétant ? Il est prévu de prendre des mesures d'équilibre régulièrement. Alors que le taux de natalité baisse de plus en plus, que le nombre de cotisants diminue par rapport au nombre de retraités, que la durée de la retraite est de plus en plus longue, le système par répartition peut-il être remis en cause ?
Selon l'Agirc-Arrco, un autre élément n'a pas été pris en compte pour 2023 : plusieurs personnes en surcote vont vouloir liquider plus rapidement que prévu leur retraite, compte tenu des incertitudes de la réforme depuis trois mois. Le nombre de dossiers de liquidation est bien plus important que les années précédentes : cela aura un impact financier qui risque d'annuler les effets de la réforme dès 2023.
Je suis ici en tant que président du HCFP, et non au titre de la Cour des comptes. Je pourrai revenir pour vous présenter le titre relatif aux finances publiques dans le rapport public annuel que je rendrai au Président de la République et au Parlement le 15 mars prochain, mais je m'en tiendrai ce matin à cette compétence limitée.
Nous disposons de très peu d'éléments. Les dispositions du PLFRSS réduisent le déficit de 13 milliards d'euros en 2030, et pas au-delà ; le déficit public se réduirait donc de 0,4 point de PIB, toutes choses égales par ailleurs à cet horizon. Les informations transmises au HCFP ne lui ont pas permis d'évaluer l'incidence de moyen terme de la réforme des retraites sur les finances publiques, notamment sur les dépenses publiques. Le Gouvernement ne nous a pas précisé le nombre de personnes devant décaler leur départ ni le montant de leur retraite - a fortiori, il ne prévoit pas ceux qui anticipent...
En outre, le chiffrage du Gouvernement ne prend en compte que les effets mécaniques des mesures prévues ; il ne tient pas compte des dépenses supplémentaires annoncées sur l'invalidité, l'indemnité journalière, les indemnités chômage, l'allocation aux adultes handicapées (AAH) qui devraient découler du maintien, sur le marché du travail, de salariés âgés. À l'inverse, il ne mentionne pas le surcroît de recettes dû à la hausse du taux d'emploi aux âges élevés et au surcroît de production en résultant. Le gain dégagé par la réforme des retraites ne suffira pas, à lui seul, à restaurer des marges de manoeuvre suffisantes.
Ce n'est pas notre métier de mesurer l'impact des grèves, mais, en général, l'impact est peu élevé à court terme sur les finances publiques. Par exemple, les coûts du conflit du 1995 - le plus dur - se sont élevés à 0,1 point de PIB, ce qui est assez négligeable. Cet effet de court terme est souvent rattrapé ensuite. Depuis 1995, ces coûts ont tendance à se réduire et les mouvements sociaux s'organisent autrement. S'il y en a, ces effets sont très limités économiquement.
Enfin, je n'ai pas assez d'informations pour répondre pertinemment sur les marges de manoeuvre dont nous disposons.
Nous regrettons également le caractère incomplet des éléments transmis par le Gouvernement, qui ne permettent pas d'évaluer l'impact à moyen terme de la réforme. Nous naviguons à vue.
Vous êtes certes tenu à évaluer les impacts de la réforme sur le système des retraites, mais vous n'avez pas élargi l'étude en mesurant notamment les dépenses supplémentaires sur le chômage ou le revenu de solidarité active (RSA) induites par la réforme - le Conseil d'orientation des retraites (COR) indique que le report de l'âge légal de 62 ans à 64 ans implique une hausse de 3,9 milliards d'euros des dépenses des prestations hors retraites. Même si cela ne relevait pas de la commande qui vous a été passée, il s'agit là d'un point aveugle de votre rapport.
Vous estimez que le départ à la retraite de 50 000 personnes sera décalé cette année, nonobstant ce que vous avez indiqué concernant les personnes qui ne surcotisent plus, le mécanisme des surcotes étant écrasé par cette réforme. Vous avez calculé les recettes induites par les cotisations de ces 50 000 personnes, mais, parmi ces personnes, combien sont en emploi ? Combien sont au chômage ? Combien sont en inactivité, ni en emploi ni en retraite ?
Vous avez longuement insisté sur la nécessité d'avoir une loi de programmation des finances publiques, mais cette loi est politique. Nous avons tenté de débattre avec le Gouvernement de la structure de la dépense publique, qui a augmenté et demande des investissements lourds. Or la part relative au financement de nos services publics s'est réduite, y compris pour des fonctions régaliennes comme la justice, qui sont en grande difficulté, ainsi que les installations ferroviaires, par exemple, alors que les transferts vers les entreprises et les ménages ont très fortement augmenté. Nous avons tenté d'ouvrir ce débat lors de la dernière loi de financement de la sécurité sociale. Le Conseil d'analyse économique lui-même souligne que, si certains transferts vers les entreprises sont utiles pour l'emploi, d'autres sont inefficaces. Pourtant, il n'est pas possible de mener ce débat, et le Gouvernement ferme la porte à toute évolution en la matière. Vous en conviendrez, il est difficile pour des assemblées politiques d'approuver des lois de programmation des finances publiques sans discuter de la structure de la dépense publique.
Par ailleurs, si les dépenses pour la compétitivité ont été importantes ces vingt dernières années, notamment en ce qui concerne les exonérations en direction des entreprises, on constate que le commerce extérieur ne se porte pas mieux et que la réindustrialisation du pays demeure très faible, alors que les impacts climatiques de cette politique ne peuvent pas être ignorés, sans même parler de ses conséquences en matière de souveraineté. Faut-il poursuivre dans cette direction ?
Vous indiquiez que les finances publiques avaient besoin de transparence ; je suis d'accord, mais nous en sommes encore très loin... Les 2 milliards d'euros annuels d'exonérations de cotisations retraite dont bénéficient les employeurs ne devraient-ils pas être au moins compensés par l'État ?
Ma seconde question porte sur la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). La revalorisation des pensions minimales à 1 200 euros bruts affectera les collectivités, qui devront payer 800 millions d'euros supplémentaires en raison de cette réforme, sans que l'augmentation du point d'indice des fonctionnaires soit compensée. Ne faudrait-il pas un mécanisme de compensation par l'État de ces dépenses des collectivités territoriales ?
Cette réforme est présentée comme la « mère des réformes ». Vous venez de confirmer que, malgré les éléments insuffisants en votre possession, les effets de cette réforme seront minimes, et loin d'être suffisants pour faire baisser à eux seuls le niveau de la dette. Vous insistez sur la nécessité de maîtriser la dette, ce dont personne ne disconvient, mais, lorsque l'on parle de réduire la dette, on cite immédiatement la baisse des dépenses. Vous précisez qu'il ne serait opportun ni d'abaisser les dépenses de manière draconienne ni d'augmenter les impôts ; les marges de manoeuvre semblent donc réduites. Pensez-vous que les baisses d'impôts, considérables ces cinq dernières années, doivent durer éternellement ?
Mes réponses concernant la structure des recettes et des dépenses sociales ou les compensations aux collectivités sont limitées non seulement par mes compétences d'aujourd'hui - j'interviens en tant que président du HCFP -, mais plus encore par la nature étroite des informations dont je dispose. En 2023, selon une estimation qui nous semble réaliste, la réforme aura un coût de 400 millions d'euros.
Vous m'interrogez sur le chômage supplémentaire parmi les personnes de 60 ou de 61 ans qui ne sont pas à la retraite. En 2018 - l'étude date un peu -, France Stratégie a estimé que la moitié de ces personnes étaient en activité, 10 % au chômage, et un tiers inactives. On estime que, en 2023, 50 000 personnes décaleront leur départ du fait de la réforme. Sans réforme, ces personnes seraient parties dès leurs 62 ans cette année, à partir d'octobre. Ce chiffre représente le quart des 200 000 personnes qui partent chaque année en retraite dès l'âge légal atteint, sur un peu plus de 700 000 départs annuels. Là encore, cette estimation est réaliste, mais nous ne disposons pas d'informations supplémentaires, et il s'agit d'un calcul fait sur un coin de table.
Notre avis sur le projet de loi de programmation des finances publiques a été critique : nous estimions que la trajectoire retenue par le Gouvernement n'était pas assez ambitieuse, et que ses hypothèses de croissance étaient trop optimistes. Néanmoins, il est impératif de disposer d'une loi de programmation des finances publiques au regard de nos règles internes : le Haut Conseil, par exemple, doit travailler sur des écarts par rapport à des objectifs fixés par la programmation des finances publiques. Nous sommes un élément du bloc de constitutionnalité, et, sans loi de programmation, les choses peuvent devenir « gazeuses ». Nous ne sommes pas à l'abri d'un processus de finances publiques mal éclairé, peu transparent et discontinu. Il y a un vrai risque juridique, comme chacun le sait, et il n'est pas prudent de le sous-estimer.
Dans une autre vie, j'étais commissaire à Bruxelles en charge des finances publiques. Par chance, il n'y a pas, en ce moment, de règle de finances publiques européenne opérationnelle. Mais cela est conjoncturel, et des règles seront rétablies, car, sans règle, pas de boussole : la Commission européenne a besoin d'une programmation des finances publiques pour fonder ses décisions. Elle pourrait, à un moment donné, estimer que cet élément est fondamental pour obtenir un certain nombre de financements européens.
Sur un plan formel, il est important d'insister : l'absence de loi de programmation des finances publiques n'est pas une bricole : elle constitue un problème substantiel.
Monsieur Jomier, vous alliez plus loin. En effet, il y a un paradoxe français : nous avons le plus haut niveau de dépense publique de l'Union européenne après le Danemark, avec un taux de 58 % du PIB, et, pourtant, les Français perçoivent une dégradation de certains services publics. Avant l'élection présidentielle, en décembre 2021, la Cour des comptes avait publié une série de notes structurelles démontrant un certain nombre de défaillances. Par exemple, la politique du logement française est deux fois plus coûteuse que la moyenne européenne, mais n'est pas jugée comme plus performante, y compris par rapport à son objectif central de délivrer des logements sociaux. Je ne plaide pas pour diviser par deux les dépenses de ce domaine, mais il y a problème d'efficacité. Deuxième exemple, notre système d'éducation est puissant, massif et coûteux, mais il se dégrade, comme le prouvent les enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa). Là encore, cela prouve qu'il y a un problème d'efficacité de la dépense publique.
France Stratégie considère que les transferts vers les entreprises ont un effet plutôt positif sur la compétitivité. Il est absolument nécessaire de faire la revue et de soulever le capot des dépenses publiques, d'investir dans ce qui marche, et d'économiser et de maîtriser la dépense sur ce qui ne fonctionne pas. Je n'ai pas toutes les réponses. La Cour des comptes participera à cet exercice. C'est indispensable, sous peine de subir un paradoxe coûteux, nos compatriotes se plaignant d'un excès de dépenses financé par des prélèvements - l'un d'entre vous a parlé de ras-le-bol fiscal -, alors que les services publics sont perçus comme peu fonctionnels. Il faut donc améliorer la qualité de la dépense publique. Quelles que soient les préférences politiques, chacun doit participer à cet objectif : personne ne peut se satisfaire d'un haut niveau de dépense et d'une faible qualité de prestations. Si, de surcroît, l'endettement est massif, et que l'on ne peut financer ni l'existant ni l'avenir, on se retrouve pris dans un noeud gordien singulier...
La question des baisses d'impôts a été posée. J'ai déjà dit, en septembre, en tant que Premier président de la Cour des comptes, puis en tant que président du HCFP, que, si l'on doit maîtriser nos finances publiques, donc réduire nos déficits et notre dette, il n'y a que trois voies : muscler notre croissance - les taux de croissance seront limités ces prochaines années, et nous ne sommes pas à l'aube d'années extraordinaires -, maîtriser les dépenses, agir sur les recettes. Or nous constatons l'existence d'un plafond de consentement à l'impôt pour tous chez nos concitoyens, quelle que soit leur classe sociale. Le message de la Cour des comptes est que, en l'état, avec une croissance faible et des dépenses qui continuent d'augmenter, nous n'avons pas les marges de manoeuvre pour faire des baisses d'impôt sèches, c'est-à-dire non compensées par d'autres hausses d'impôt ou une maîtrise des dépenses. Le Gouvernement a ainsi choisi d'étaler certaines décisions, car des baisses d'impôt sèches auraient eu pour seul effet de creuser le déficit.
Un travail en profondeur sur la qualité de la dépense publique est absolument impératif pour réduire l'écart entre la perception d'une dégradation des services publics malgré les dépenses publiques très élevées, et des prélèvements obligatoires très pesants.
J'ai le sentiment de retrouver le même discours que vous teniez il y a quelques mois, lors de votre audition sur le PLFSS : même s'il y a des éléments nouveaux de réforme, la situation semble assez équivalente, avec les mêmes interrogations sur la pertinence des taux de croissance envisagés et le volume des dépenses.
Votre rôle est limité aujourd'hui à l'analyse de la situation en 2023, ce qui crée une certaine frustration pour nous. Vous évoquez des principes généraux. Ma question est simple : en lien avec ces réformes des retraites, l'augmentation du temps de travail est-elle un levier essentiel pour éventuellement contrecarrer le scénario étroit évoqué ?
Vous avez précisé que vos propos étaient calibrés par votre compétence de président du HCFP. Nous avons besoin d'éclairage et de transparence sur les dépenses publiques. Vous m'avez convaincu : l'absence de loi de programmation des finances publiques représente un risque juridique, mais aussi politique et démocratique.
Nos niveaux de dette et de prélèvement sont élevés, mais les services publics sont perçus comme peu efficaces. Nos concitoyens ne peuvent pas l'accepter : à tous les niveaux, dans les classes populaires et les classes moyennes, ils se demandent où va l'argent. Cette question paraît basique et simple, mais elle nous interpelle.
Vous avez indiqué que, depuis 2000, la dette a progressé de 55 points pour la France et de 41 points pour l'Italie. Cette loi de programmation nous permettrait-elle de disposer d'éléments comparatifs sur la structure de nos dépenses, des transferts et des investissements, pour comparer notre situation avec celle de nos voisins européens ? En tant que rapporteur pour la branche famille, je suis étonné du manque de parangonnage concernant les politiques familiales en Europe, alors que la natalité est en berne.
Vous nous avez rappelé que, si la dette de la France, rapportée au PIB, était identique à celle de l'Allemagne en 2000, elle a depuis augmenté de 55 points, alors que des efforts importants étaient faits dans d'autres pays pour la maîtriser.
La charge de la dette augmente : de 30 milliards d'euros en 2020, elle va bientôt passer à 40 ou 50 milliards. On gagnait en empruntant, mais tout a changé avec la guerre en Ukraine et l'inflation.
Nos dépenses publiques générales doivent être maîtrisées et plus efficaces. Mais le Président de la République indique qu'il faut augmenter le budget des armées, de la santé, de l'éducation, peut-être à raison. Que reste-t-il à maîtriser et à orienter dans les dépenses ? Ne faudrait-il pas disposer de davantage de recettes, par exemple en réindustrialisant, comme l'Allemagne l'a fait en 2000 ?
Cette réforme ne va pas rapporter énormément, mais il est toujours bon d'équilibrer le budget de la sécurité sociale. Ne faut-il pas une loi de programmation pour la réindustrialisation du pays, pour augmenter nos recettes et nous permettre de progressivement rembourser notre dette, afin que nous n'allions pas complètement dans le mur ?
Ma question porte sur un détail, qui montre que l'État ferait mieux de faire de la pédagogie que de la démagogie : le cumul emploi-retraite des médecins était limité par le fait que les médecins devaient continuer à payer leur cotisation retraite. Nous avons finalement décidé de les exonérer de cette cotisation, mais la caisse de retraite des médecins paie la différence, et, en conséquence, n'augmente pas les pensions des médecins. Le coût de l'opération est nul pour l'État, mais, du point de vue de la confiance dans le système et de l'adhésion des médecins à cette réforme des retraites, l'effet est catastrophique. Cela sera-t-il pareil à d'autres niveaux ?
Une loi de programmation des finances publiques est nécessaire ; nous en sommes convaincus. Pour qu'elle soit acceptable, elle doit s'inscrire dans le temps. Mais, si cette réforme est la « mère des réformes », comment expliquez-vous le caractère incomplet des éléments transmis, qui ne nous permettent pas de faire le travail de pédagogie nécessaire ?
Je n'ai pas répondu sur cette expression de « mère des réformes » : cette réforme ne suffira pas à équilibrer nos finances publiques. Si c'est une mère, elle aura des enfants, et ce ne sera pas la dernière réforme.
Dans les calculs rendus publics, on sait qu'il y aura d'autres exercices à reprendre après 2030.
Premièrement, il est évident que la durée de travail est un facteur de croissance : le travail, le capital, l'innovation sont des facteurs de croissance. Mais il est également évident que l'arbitrage entre temps de travail, temps de loisir et temps de la vie est un choix profondément politique.
Deuxièmement, si l'on considère que cette réforme des retraites est une prémisse nécessaire pour réformer un système qui n'est pas finançable en l'état, ce qui correspond à la position de la Cour des comptes, il n'y a que trois leviers : l'augmentation des cotisations, la dégradation des pensions, l'augmentation de la durée de travail.
Nous nous sommes prononcés à plusieurs reprises sur la nécessité d'allonger la durée du temps de travail. Je ne me prononcerai pas sur les modalités de la réforme, qu'il vous revient de définir, en lien avec le Gouvernement et les partenaires sociaux. Nous sommes une institution experte qui délivre des avis importants, mais nous ne sommes pas à votre place. En 2001, lors du passage à l'euro - j'étais alors ministre des affaires européennes -, on parlait de l'Allemagne comme de « l'homme malade de l'Europe ». Les temps ont changé si l'on regarde les performances de notre commerce extérieur, de notre industrie, de nos finances publiques. Si les présidents de la République et les formations dominantes ont changé, les choses ne changent pas, ce qui devrait nous inciter à mener une réflexion collective sur ces sujets.
J'ai été ministre des finances en pleine crise financière. La charge de la dette était alors le deuxième budget de l'État. Je n'avais aucune marge de manoeuvre ! Nous nous approchons d'une situation similaire. Le budget de la défense, qui représente 41 milliards d'euros - 50 milliards avec les pensions -, sera sans doute réévalué dans la loi de programmation militaire, pour laquelle il faudra trouver des moyens de financement. Je le redis, la charge de la dette pourrait atteindre 44 milliards d'euros : c'est la dépense publique la plus stupide, la plus inerte, la plus improductive, la plus inefficace et la plus absurde ! Chaque euro que nous consacrons à rembourser la dette est un euro en moins pour le travail, la justice, la sécurité, l'écologie, l'éducation, la recherche... Certains semblent avoir une préférence pour la dette, mais cela n'a pas de sens : cette dépense publique stérilise tout.
Nous sommes sortis de la période des taux d'intérêt négatifs, et nous entrons dans celle où la charge de la dette augmente en raison du poids des obligations indexées sur l'inflation et de la hausse des taux d'intérêt, qui va continuer, comme l'a annoncé Mme Lagarde il y a encore deux jours. D'où la nécessité de disposer d'une loi de programmation des finances publiques. La question est juridique, car il ne s'agit pas d'une simple formalité : à un moment donné, on est rattrapé par la patrouille ! Mais le sujet est également politique et démocratique : il faut éclairer nos concitoyens sur la structure des dépenses et des recettes. C'est la mission du Gouvernement, mais la Cour des comptes contribue aussi, par ses rapports, à apporter un certain nombre d'éclairages et d'informations.
Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nous examinons maintenant le rapport de Mme Gruny sur la proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses.
En approuvant les lois Chassaigne 1, en 2020, et Chassaigne 2, en 2021, notre commission a réaffirmé avec force son attachement au monde agricole et à tous ceux qui consacrent leur vie à la production des denrées dont la France a besoin.
Toutefois, ces femmes et ces hommes, dont les conditions de travail sont souvent rudes, perçoivent toujours des revenus - donc des pensions de retraite - particulièrement faibles.
Aussi ai-je le plaisir de vous présenter, ce matin, mon rapport sur la proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses, qui permettra d'améliorer les conditions d'existence de bien des retraités. Je vous proposerai d'adopter ce texte sans modification.
Pour commencer, il convient de rappeler que l'architecture et le mode de fonctionnement du régime de retraite des travailleurs non salariés des professions agricoles sont extrêmement complexes.
Pour la retraite de base, la pension se décompose en une part forfaitaire, qui s'élève à 311,56 euros par mois pour une carrière complète, et en une part proportionnelle, calculée dans le cadre d'un système par points. Ont toutefois été transposées à ce régime certaines caractéristiques des régimes alignés, qui fonctionnent par annuités. Citons notamment : l'âge légal de départ en retraite, fixé à 62 ans ; la durée minimale d'assurance requise pour l'obtention d'une pension à taux plein, fixée à 43 annuités à compter de la génération 1973 ; le mécanisme de surcote et de décote en fonction de la durée d'assurance effectivement validée par l'assuré ; l'âge d'annulation de la décote, fixé à 67 ans ; ou encore l'indexation des pensions sur l'inflation.
Il en résulte un régime hybride, cumulant des mécanismes propres aux deux modes classiques de calcul des pensions. Par exemple, un assuré travaillant au-delà de la durée requise pour l'obtention du taux plein acquerra des points supplémentaires, comme dans un régime par points, et bénéficiera d'une surcote, comme dans un régime en annuités.
En tout état de cause, lorsque l'assuré perçoit une pension de retraite de base à taux plein inférieure à 747,57 euros par mois, un complément - la pension majorée de référence (PMR) - lui est accordé pour porter sa pension à ce niveau minimal. Jusqu'en 2022, le montant de la PMR des conjoints collaborateurs et des aides familiaux était inférieur à celui des chefs d'exploitation. La loi Chassaigne 2 a permis d'unifier ces deux montants au niveau du minimum contributif majoré servi par les régimes alignés.
S'y ajoute enfin une pension complémentaire, portée, de 2014 à 2020, à 75 % du Smic, puis à 85 % du Smic, depuis l'entrée en vigueur de la loi Chassaigne 1, pour les chefs d'exploitation justifiant d'une carrière complète accomplie en cette qualité, dans le cadre du complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire (CDRCO).
Malgré l'empilement de ces strates presque géologiques, les pensions de retraite des travailleurs non salariés des professions agricoles demeurent extrêmement faibles. Ainsi, la pension mensuelle moyenne des retraités de droit direct affiliés à titre principal à ce régime s'élève à 800 euros par mois, contre 1 510 euros pour l'ensemble des retraités de droit direct. Au sein même du régime, les polypensionnés, qui représentent 82 % des assurés, perçoivent une pension globale bien supérieure à celle des monopensionnés, à hauteur de 1 277 euros en moyenne, contre 966 euros pour les monopensionnés. Cette situation est la conséquence logique des faibles rémunérations tirées de leur activité par les agriculteurs : 63 % d'entre eux perçoivent ainsi un revenu annuel inférieur au Smic brut, soit 20 511 euros.
Dans ces conditions et dans un souci de soutien à la profession, la question de la refonte de l'architecture du régime doit être posée. En effet, contrairement aux régimes alignés, qui calculent les pensions en appliquant un taux au revenu annuel moyen des 25 meilleures années, le régime des travailleurs non salariés des professions agricoles sert des pensions basées sur l'ensemble de la carrière, en multipliant le nombre de points acquis au cours de la carrière par la valeur du point à la date de la liquidation.
Il pourrait donc être avisé d'accorder aux agriculteurs, dont les revenus ont varié, dans certaines filières, de 1 à 5 au cours des dernières années, le bénéfice du même système, qui permet d'écarter les mauvaises années. Cette idée, déjà évoquée durant les débats autour de la réforme des retraites de 2010, a fait l'objet d'un examen approfondi en 2012 de la part de Yann-Gaël Amghar, actuel directeur de l'Urssaf, alors membre de l'inspection générale des affaires sociales (Igas). Celui-ci a démontré que le passage pur et simple d'un régime par points à un régime en annuités profiterait principalement aux pensionnés les moins modestes et serait préjudiciable aux moins aisés.
Deux éléments permettent de l'expliquer.
En premier lieu, le barème d'attribution des points actuellement utilisé par la Mutualité sociale agricole (MSA) n'est pas purement proportionnel. En effet, les assurés cotisant à l'assiette minimale se voient attribuer 23 points par an, alors qu'ils ne devraient en obtenir que 16. En outre, les assurés dont le revenu annuel se situe de 9 016 euros à 16 419 euros obtiennent uniformément 30 points, ce qui permet de financer la solidarité envers les plus modestes. Le passage à un système en annuités, c'est-à-dire à l'application d'un taux uniforme au revenu moyen des 25 meilleures années, diminuerait donc les droits acquis par les assurés dont les revenus sont inférieurs à 12 500 euros par an et qui ne remplissent pas les critères d'éligibilité à la pension majorée de référence, et favoriserait les assurés aux revenus supérieurs à ce montant.
En second lieu, dans les régimes alignés, la validation d'un trimestre est conditionnée à la justification d'une rémunération équivalente à 150 heures au Smic, tandis qu'aucune assiette minimale n'est requise au régime des travailleurs non salariés des professions agricoles, qui valident tous les trimestres ayant donné lieu au paiement des cotisations. Si la transposition de la règle de validation applicable aux assurés des régimes alignés ne lèse pas les chefs d'exploitation, qui cotisent a minima sur une assiette égale à 600 Smic et pourraient donc toujours valider quatre trimestres par an, les cotisations des conjoints collaborateurs et des aides familiaux, quant à elles, sont calculées sur la base d'une assiette forfaitaire égale à 400 Smic. À défaut de relèvement de leur effort contributif, ces assurés, qui sont très souvent des femmes, ne valideraient plus que deux trimestres par an.
Quoi qu'il en soit, la MSA ne serait pas en mesure d'assurer un tel basculement, dans la mesure où son système d'information ne conserve l'historique des assiettes de cotisation que durant huit ans. Il ne serait pas possible de reconstituer le revenu moyen des années antérieures sur la base des points attribués, puisqu'un revenu de 16 000 euros donne accès à autant de points qu'un revenu de 9 000 euros.
La seule option techniquement envisageable et limitant au maximum le nombre de perdants consisterait à appliquer la règle des 25 meilleures années dans le cadre d'un système par points, en maintenant le barème actuel. En d'autres termes, la MSA identifierait les 25 années d'assurance les plus avantageuses, calculerait le nombre annuel moyen de points obtenus au cours de ces années et l'appliquerait à chaque année de la carrière de l'assuré, dans la limite de la durée requise pour l'obtention d'une pension à taux plein, soit 43 annuités à compter de la génération 1973. Le montant de la pension correspondrait alors au produit du nombre total de points calculé selon cette méthode par la valeur du point.
En 2012, l'effet d'une telle réforme était évalué par l'Igas à 47,70 euros par mois en moyenne, et son coût à 472 millions d'euros en 2040. Ces estimations devraient toutefois être réactualisées du fait des multiples augmentations des minima de pension intervenues depuis et de l'abaissement de l'assiette minimale permettant la validation d'un trimestre dans les régimes alignés de 200 heures au Smic à 150 heures au Smic.
Ainsi, 1 % à 6 % des retraités seraient perdants après cette réforme, pour des montants toutefois très minimes. Il s'agirait des assurés ayant validé une durée supérieure à la durée requise pour le taux plein. Aujourd'hui, ceux-ci bénéficient à la fois d'une surcote et d'un surplus de points. Or, dans le cadre de la réforme, le nombre annuel moyen des points obtenus au cours des 25 meilleures années ne serait appliqué qu'à la durée requise pour le taux plein, pas davantage. Les trimestres supplémentaires ne permettraient donc plus d'obtenir qu'une surcote. Néanmoins, l'effet du calcul sur la base des seules 25 meilleures années devrait à tout le moins atténuer, voire compenser, cet effet de bord.
C'est forts de ces constats que les membres du groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale ont déposé une proposition de loi fixant un objectif de calcul des pensions de retraite de base des non-salariés agricoles sur la base des 25 meilleures années d'ici à 2024 et confiant au Gouvernement le soin d'en prendre les dispositions d'application par décret. Remanié sur l'initiative du rapporteur, le député Julien Dive, le texte a été adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 1er décembre dernier. La mise en oeuvre de la réforme a ainsi été repoussée à 2026, la MSA n'étant pas en mesure d'adapter son système d'information pour ce qui concerne les polypensionnés avant cette échéance. Du reste est prévue, dans un délai de trois mois, la remise au Parlement d'un rapport présentant : les scénarios envisagés et les paramètres retenus par le Gouvernement ; les dispositions législatives et réglementaires à modifier ; les conséquences sur le montant des cotisations et des pensions et sur l'équilibre financier du régime ; les mesures permettant de renforcer les dispositifs de redistribution et d'améliorer la lisibilité du régime.
Ce rapport devra également évaluer : l'opportunité d'une entrée en vigueur progressive de la réforme, afin de préserver un certain degré d'équité entre les retraités liquidant leur pension au cours de l'année ayant précédé la réforme et ceux qui le feront lors de la première année de sa mise en oeuvre ; et la possibilité d'un rapprochement des taux de cotisation de retraite des travailleurs non salariés des professions agricoles vers ceux du régime général, auquel les représentants de la profession ne se disent pas opposés sur le principe. Bien que l'excédent dégagé par le régime doive augmenter chaque année à mesure que son ratio démographique s'améliore, les cotisations versées ne représentent que 16,5 % de ses recettes, contre près de 78 % pour la solidarité nationale au travers de la compensation démographique et de la fiscalité affectée.
J'aurais aimé pouvoir vous proposer de modifier la proposition de loi. En effet, plusieurs éléments auraient mérité d'être améliorés.
D'abord, le texte, peu normatif, me paraît confier une prérogative trop importante au pouvoir réglementaire, sans le contraindre à retenir le scénario d'un système par points fonctionnant sur la base des 25 meilleures années.
Ensuite, le délai de trois mois accordé au Gouvernement pour la remise du rapport d'évaluation des effets de la réforme est, de toute évidence, bien trop court pour la conduite de travaux aussi vastes.
Enfin, il aurait sans doute été préférable de prévoir la remise du rapport et d'en tirer les conclusions avant de légiférer, d'autant que des modifications de dispositions législatives pourraient s'avérer nécessaires pour assurer l'entrée en vigueur de la réforme.
Toutefois, malgré ces inconvénients, il me paraît préférable d'adopter cette proposition de loi telle qu'elle nous est transmise par l'Assemblée nationale, de façon à sécuriser les acquis obtenus de haute lutte par le groupe Les Républicains.
Mes travaux m'ont, en effet, permis d'acquérir la conviction que la réforme ne fera pas de perdants : elle fera tout au plus des « non-gagnants ». Le monde agricole attend cette avancée majeure, qui permettra de renforcer l'attractivité de ses professions et de récompenser le travail de nos agriculteurs, notamment les jeunes, et des membres de leur famille à sa juste valeur.
Je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi sans modification.
Pour conclure, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.
Je considère qu'il comprend les dispositions relatives : au mode de calcul des pensions de retraite de base des chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole, des conjoints collaborateurs et des aides familiaux ; au mode de calcul des cotisations de retraite de base de ces travailleurs non salariés des professions agricoles ; et aux critères d'éligibilité et aux modalités de calcul des minima de pension servis par le régime de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles et des allocations sociales dont peuvent bénéficier les personnes affiliées à ce régime.
En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé des amendements relatifs : aux paramètres des régimes de retraite autres que le régime de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles ; à la couverture des risques maladie, maternité, invalidité, décès, famille, accidents du travail et maladies professionnelles ; aux caractéristiques des différents statuts professionnels agricoles ; aux relations commerciales entre producteurs et distributeurs de denrées agricoles et à la rémunération des agriculteurs ; à la fiscalité agricole et aux règles successorales ; au soutien à l'investissement dans le capital agricole ; aux conditions de travail dans le secteur agricole ; à la protection des activités agricoles contre les risques naturels et les aléas climatiques ; enfin, à la promotion de modes de production respectueux de l'environnement et de la santé humaine. De tels amendements seraient déclarés irrecevables par notre commission en application de l'article 45 de la Constitution.
Il en est ainsi décidé.
Des agriculteurs qui seront bientôt retraités se plaignent de ne pas pouvoir toucher de retraite pleine parce qu'ils sont propriétaires. Pourriez-vous m'apporter des précisions sur ce point ?
Le travail d'agriculteur est difficile et stressant, notamment en raison des aléas climatiques et sanitaires.
En 2020, la retraite de droit direct moyenne d'un agriculteur affilié à titre principal au régime des non salariés agricoles était de 800 euros. Les lois Chassaigne ont amélioré la situation. En 2010, les agriculteurs souhaitaient que leur retraite soit calculée sur les 25 meilleures années, mais cela ne s'est pas fait. Aujourd'hui, la réforme qui nous est proposée permet une meilleure équité entre les non-salariés agricoles et les assurés des autres régimes.
Le nombre de cotisants va diminuer, un agriculteur sur deux partant à la retraite d'ici à 2030. La proposition de loi améliorera le niveau des pensions, en écartant les mauvaises années. Cela peut contribuer à renforcer l'attractivité du métier d'agriculteur.
Nous voterons donc ce texte.
Merci pour ce rapport sur un système très complexe.
On le sait, les comptables suggèrent souvent aux agriculteurs de minorer leur assiette sociale. De fait, la contributivité du régime de retraite des non salariés agricoles est limitée.
La réforme aura des effets inégaux : si, aux dires du rapporteur, elle ne fera pas de perdants, certains y gagneront beaucoup. Pour la financer, il faudra augmenter l'effort contributif des assurés. Ceux qui ne sont pas gagnants et qui figurent parmi les plus faibles revenus vont devoir y participer. Finalement, ils seront perdants ! Ce qui explique leur réticence face à cette réforme...
Je rappelle que, à l'origine, ce sont les organisations agricoles qui ont choisi de ne pas rejoindre le régime général. Par ailleurs, encore très récemment, les comptables suggéraient d'investir pour payer moins de cotisations de retraite. Les retraites agricoles actuelles correspondent malheureusement à des choix qui n'étaient pas judicieux. Depuis, nous n'avons de cesse d'en atténuer les conséquences.
Nous ne nous opposerons pas à cette proposition de loi, mais je m'interroge sur son impact : combien de personnes seront concernées ? Les plus modestes paieront-ils plus sans gagner grand-chose, comme Mme Poncet Monge vient de le dire ?
Je partage l'analyse de Mme Poncet Monge : il faut trouver un rapport entre la contributivité et le caractère redistributif de ce régime, qui est historiquement complexe.
Il y a trois ans, dans le cadre du projet de loi instituant un système universel de retraite, on nous proposait de passer des annuités à un régime par points ; maintenant, on propose de transformer des points en annuités... On va dans tous les sens !
Nous n'avons pas changé d'avis, avec une préférence pour la prise en compte des 25 meilleures années. Cela permet de compenser, entre autres, les aléas climatiques.
L'effort contributif doit toutefois être équitablement partagé. Avec la réforme des retraites, le mode de calcul des cotisations sociales et de la contribution sociale généralisée (CSG) sera réformé. Le monde agricole doit y être associé, ce qui n'est apparemment pas certain.
Je remercie le rapporteur pour son analyse pertinente du régime agricole.
Madame Lassarade, la pleine propriété du capital agricole n'enlève rien au montant de la pension. Il faut rassurer sur ce point les agriculteurs. Du reste, ce capital est exclu de la succession pour la récupération de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), ou minimum vieillesse.
Monsieur Chasseing, vous faites les mêmes constats que moi. Les mauvaises années se multiplient, elles touchent tous les territoires, et ne sont pas les mêmes selon les endroits dans un même département... Les revenus varient au même rythme, dans un sens comme dans l'autre.
Madame Poncet Monge, nous disposons de peu d'éléments, à part le rapport de l'Igas, mais celui-ci date de 2012. La proposition de loi est assez limitée : elle fixe un objectif, renvoie l'application au Gouvernement et demande un rapport pour disposer de davantage d'éléments permettant d'évaluer les effets de la réforme. Celle-ci sera-t-elle vraiment beaucoup plus favorable aux hauts revenus ? Comment l'équité sera-t-elle assurée ?
Vous avez évoqué les pratiques d'optimisation sociales. Investir seulement pour diminuer le résultat conduit à une accumulation de matériels...
Certes, mais ce n'est pas durable. On ne peut pas investir tous les ans... Professionnellement, en tant que comptable, je n'ai jamais conseillé ce genre de démarche. On doit investir quand on en a besoin. Je suis aussi fille d'agriculteur, et je peux vous dire que le matériel qui n'est utilisé qu'une fois par an tombe souvent en panne et entraîne des frais d'entretien et de maintenance importants.
La profession est plutôt solidaire. Le barème d'attribution des points assure une assez large redistribution.
Nous avons rencontré l'ensemble des syndicats agricoles, pas seulement les plus importants. La grande majorité considère que la réforme ne fera pas de perdants. Nous n'avons pas d'éléments sur l'ampleur des effets exacts de cette dernière pour ceux qui y gagneront. Néanmoins, on peut considérer que de nombreux agriculteurs relèvent de la « classe moyenne » : pour eux, la prise en compte des 25 années apportera sans aucun doute un gain.
Pour tenter de rassurer Raymonde Poncet Monge et Monique Lubin, je précise que le gain tiré de ce dispositif sera nécessairement limité pour les agriculteurs touchant les pensions les plus élevées, puisque la pension de base ne peut pas excéder 50 % du plafond de la sécurité sociale, c'est-à-dire 1 833 euros par mois.
Enfin, je tiens à remercier notre collègue René-Paul Savary pour son implication sur le sujet. Je suis d'accord avec lui lorsqu'il déplore le manque de lisibilité du régime, auquel il sera, hélas, de mon point de vue, très difficile de remédier. Cette complexité existe en partie pour des raisons historiques : pendant de nombreuses années, les agriculteurs ont très peu cotisé, l'assiette de calcul de leurs cotisations a d'ailleurs longtemps reposé sur le revenu cadastral - jusqu'en 1990 dans l'hexagone, tandis que cette assiette est toujours utilisée en outre-mer.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'amendement COM-1 tend à fixer la date d'entrée en vigueur de la réforme au 1er janvier 2024 plutôt qu'au 1er janvier 2026. Or la MSA ne sera pas en mesure de l'appliquer à tous les assurés dans un tel délai. C'est pourquoi je demande à notre collègue Alain Duffourg de bien vouloir retirer son amendement, faute de quoi j'y serai défavorable.
J'entends bien qu'il n'est pas possible, pour des raisons techniques, de mettre en oeuvre cette réforme dès 2024. Par conséquent, je retire mon amendement.
L'amendement COM-1 est retiré.
L'article 1er est adopté sans modification.
Article 2 (supprimé)
L'article 2 demeure supprimé.
La proposition de loi est adoptée sans modification.
TABLEAU DES SORTS
Nous examinons maintenant la proposition de loi relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé.
Il y a moins d'un an, sur le rapport de notre présidente Catherine Deroche, la commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France rendait ses conclusions. L'une de ses recommandations était de mettre au point des « standards capacitaires », en utilisant des outils de mesure objective de la « charge en soins », et de mettre en place un mécanisme d'alerte lorsque le ratio « patients par soignant » dépasse un seuil critique.
Notre collègue Bernard Jomier, qui présidait cette commission d'enquête, a choisi de traduire cette préconisation dans une proposition de loi, dont le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a demandé l'inscription à l'ordre du jour du Sénat, dans le cadre de son espace réservé, le 1er février prochain.
L'hôpital souffre aujourd'hui des départs massifs de soignants, notamment des personnels infirmiers, et en est fragilisé. Les équipes sont au bord de la rupture, et l'activité ne peut reprendre à un niveau comparable à celui qui prévalait avant la pandémie.
Or ces départs ne sont pas dus à un manque d'intérêt pour le métier hospitalier. Le problème de la faiblesse des salaires, auquel le Ségur n'a pas totalement répondu, n'est plus la seule raison de l'hémorragie qui se poursuit.
Le problème du manque d'attractivité des métiers hospitaliers, que nous devons résoudre de manière urgente, n'est pas dissociable des conditions de travail des personnels. Ceux qui restent assument encore davantage de gardes, de nuits, de week-ends pour pallier les vacances de poste. En sous-effectifs, ils sont souvent épuisés et sous pression, et ont peur de commettre des erreurs. Ils font face à une perte de sens des métiers du soin, qui sont aujourd'hui exercés dans la précipitation, sans que le temps auprès du patient soit suffisamment valorisé ou parfois même possible.
C'est une réponse à la dégradation des conditions de travail que les auteurs de la proposition de loi cherchent à apporter. En établissant des ratios et, surtout, disons-le, en se donnant les moyens de les respecter, ceux-ci entendent rassurer les personnels soignants et leur envoyer un message clair : ne partez-pas, revenez, nous posons les jalons de conditions de travail décentes.
Un tel raisonnement n'est pas seulement théorique. En tout cas, il n'est nullement utopique : il s'appuie sur la littérature scientifique établie à partir des expériences menées par d'autres États, en particulier la Californie et le Queensland, en Australie. Les divers exemples de mise en place de ratios dans des établissements de santé montrent que ceux-ci ont un réel effet sur la qualité de vie au travail, le nombre de burn-out enregistrés et l'attractivité des métiers. Ces mêmes ratios ont aussi un effet sur la qualité des soins et se traduisent par une baisse des réadmissions et de la mortalité.
Dans son rapport publié le mois dernier sur les déterminants de la qualité et de la sécurité des soins en établissement de santé, la Haute Autorité de santé (HAS) constatait elle-même une corrélation entre l'effectif médical et le pronostic des patients.
Avec ce texte, nous voulons saisir l'occasion d'améliorer la qualité des soins et les conditions de travail des personnels soignants.
La proposition de loi entend confier à la HAS la mission de définir, par spécialité et par activité de soins hospitaliers, un ratio minimal de soignants par lit ouvert ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires, en tenant compte de la charge de soins. Ces ratios s'appliqueraient aux établissements assurant le service public hospitalier, pour l'essentiel les établissements de santé publics et les établissements privés d'intérêt collectif. Leur mise en oeuvre serait confiée à la commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques (CSIRMT).
Je tiens à signaler qu'aujourd'hui des ratios existent pour cinq activités de soins, au titre de la sécurité des patients. Ils sont prévus par décret et constituent des conditions requises pour le fonctionnement des services, faute de quoi leur capacité d'accueil est restreinte. Il s'agit de la néonatologie et de la réanimation néonatale, du traitement des grands brûlés, de la réanimation, des soins intensifs, ainsi que de l'insuffisance rénale chronique. Les activités de soins liés à la naissance et au traitement du cancer obéissent à des exigences du même ordre.
J'ai mené, la semaine dernière, une quinzaine d'auditions, qui m'ont permis d'entendre plus d'une cinquantaine d'intervenants. Le constat est clair : les soignants soutiennent unanimement l'instauration de ratios de soignants par patient à l'hôpital. Quand je parle de « soignants », j'entends les personnels infirmiers, et, plus largement, les professions paramédicales, mais aussi les professions médicales hospitalières, les médecins et les sages-femmes. Tous voient dans ce texte une réponse à leurs attentes, de nature à restaurer une meilleure qualité de vie au travail.
Si le soutien des personnels paramédicaux était attendu, celui des présidents des commissions médicales d'établissement (CME) s'est révélé tout aussi clair. Rémi Salomon, président de la CME de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et de la conférence nationale des présidents de CME de centres hospitaliers universitaires (CHU), et Thierry Godeau, président de la conférence des CME de centres hospitaliers (CME-CH) ont soutenu le texte sans ambiguïté, considérant qu'il s'agissait d'un signal nécessaire à destination des soignants et d'une mesure indispensable pour faire revenir les personnels ayant quitté l'hôpital et endiguer les départs.
Face à cette demande unanime des soignants, je ne peux que déplorer la frilosité tout aussi unanime des représentants des administrations, au niveau central comme au niveau des directions d'établissement, que j'ai auditionnés. Ils craignent que le dispositif instaure trop de « rigidité », ce dernier mot ayant été très souvent prononcé, alors même que le texte ne prévoit pas de ratios aussi contraignants que les ratios « sécuritaires ».
Mais, soyons honnêtes, la principale crainte que j'ai identifiée chez les directeurs d'établissement était que les recrutements qui seront nécessaires au respect de ces ratios ne soient pas financés. En clair, ils redoutent que l'on crée une contrainte supplémentaire sans que les moyens suivent.
Le message le plus souvent relayé, corollaire immédiat de cette crainte, a été que cette proposition de loi conduirait à fermer des lits. Ce n'est pourtant ni l'intention des auteurs - bien au contraire - ni ce qu'entraînera le dispositif proposé. J'invite tous ceux qui seraient sensibles à ce discours à observer la situation de nos hôpitaux : on constate encore des déprogrammations d'opérations massives et de nombreuses fermetures de lits, faute de personnels - non à cause de ratios ! J'ajoute que les ratios instaurés par la proposition de loi ne contribueront pas à fermer des lits : bien au contraire, ils visent à rétablir les capacités de l'hôpital en faisant revenir les soignants.
Surtout, ce texte se veut, du moins pour une part, une « loi de programmation » : les ratios doivent fixer des cibles à atteindre. C'est donc un travail au long cours que ses auteurs entendent engager. Tout le monde est conscient que les recrutements ne se feront pas en six mois et qu'il est question ici d'enclencher une dynamique.
Ces ratios ne sont que formellement une nouveauté, une « rigidité » supplémentaire. Certes, en dehors des activités que je mentionnais, il n'y a aucun ratio défini officiellement aujourd'hui, mais des ratios informels existent ou ont existé : je pense aux contrats de transformation créés à la suite des recommandations de l'ancien Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers (Copermo), qui reposaient sur le ratio d'un infirmier pour 15 patients.
Or de tels ratios informels sont intenables. C'est pourquoi le texte entend substituer des ratios dits « de qualité » à ces ratios fondés sur la « performance », qui ont fragilisé l'hôpital.
Par ailleurs, à ceux qui craignent que la mise en place de ratios serve ultérieurement, de prétexte à réduire les effectifs dans certains services, je tiens à signaler que l'intention des auteurs du texte est non pas de faire appliquer des quotas sans discernement, mais d'établir des « fourchettes », terme qui ne peut pas figurer tel quel dans la loi.
Il faudra évidemment adapter le dispositif aux contextes locaux, pour tenir compte de la précarité de la population, d'une éventuelle architecture contraignante, des moyens informatiques existants, voire de l'expérience des équipes. Il ne s'agit pas ici, comme certains pourraient le penser, de ratios « aveugles ».
Enfin, pour répondre à la dernière objection que l'on nous a spontanément opposée, nous ne sommes capables d'évaluer les effectifs qui seront nécessaires pour faire respecter ces ratios. Cet argument joue précisément en faveur de ces derniers : alors que, depuis plus de vingt ans, aucun effort n'a réellement été fait pour évaluer correctement la charge en soins, du moins de telle sorte que cela ne crée aucune charge supplémentaire pour les soignants, ces ratios imposeraient, de fait, un vrai travail.
À l'issue de cette semaine d'auditions, j'estime que le présent texte est nécessaire. Je rappelle que le collège de la HAS, dans sa lettre ouverte de mars dernier, considérait que l'enjeu prioritaire était celui des ressources humaines. Or il faut reconnaître que peu de réponses adaptées ont été apportées par les pouvoirs publics depuis.
Si aucune mesure ne contraint à accélérer le rétablissement des effectifs dont l'hôpital a besoin, je crains que le cercle vicieux ne s'accélère. Cependant, pour assurer la bonne mise en oeuvre de ce texte, ménager certaines craintes et élaborer une rédaction susceptible de rassembler une majorité de sénateurs, j'ai déposé un amendement qui a reçu - je m'en félicite - le soutien de notre collègue Bernard Jomier, auteur principal de la proposition de loi.
Il s'agit de modifier le dispositif de l'article unique, afin de mieux articuler les ratios « sécuritaires » existants et les ratios « de qualité » créés par le texte et établis par décret aux côtés du référentiel dont la HAS aura la charge, en prévoyant, en outre, différents critères à prendre en compte.
Je propose également que la commission médicale et la commission des soins infirmiers jouent un rôle dans le schéma d'organisation des soins au regard de ces ratios, ce qui contribuerait à préserver leurs compétences et respecter une adaptation possible au niveau local. Parallèlement, je souhaite l'instauration d'une procédure de signalement à l'agence régionale de santé (ARS), tant pour assurer l'information des tutelles que pour répondre au déficit de données sur le sujet.
Enfin, pour répondre à un besoin de progressivité, je propose une entrée en vigueur différée de ce texte, en deux temps.
Je suis pleinement consciente - Bernard Jomier l'est également - que ce texte n'est pas de nature à répondre à l'ensemble des problèmes de l'hôpital. Cette proposition n'en a d'ailleurs pas l'ambition. Nous devrons continuer de travailler sur une série de sujets directement liés à l'attractivité des métiers et aux conditions de travail, ceux qui concernent le recrutement. De nombreuses personnes auditionnées ont regretté la suppression de l'examen de motivation dans Parcoursup ou la modification des maquettes de formation, et plaidé pour la nécessaire limitation de l'intérim, en début de carrière notamment, ainsi que pour un meilleur accès au logement dans les grandes métropoles.
Il me revient enfin, en tant que rapporteure, de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.
Je considère que celui-ci comprend des dispositions relatives aux missions de la Haute Autorité de santé concernant les établissements de santé, aux conditions de fonctionnement des établissements de santé pour ce qui relève des effectifs soignants.
En revanche, j'estime que n'auraient pas de lien, même indirect, avec cette proposition de loi des dispositions relatives à la gouvernance et au financement des établissements de santé, aux régimes d'autorisation ou d'installation propres aux établissements de santé ou à certains équipements.
Il en est ainsi décidé.
Mes chers collègues, j'espère que ce texte saura trouver une majorité au sein de notre commission et, la semaine prochaine, dans l'hémicycle du Sénat. Alors que les voeux du Président de la République n'ont pas dessiné de réelle voie de redressement de notre système de santé, il nous appartient, dans le cadre des compétences qui sont les nôtres, de faire oeuvre utile.
Je vous remercie pour ces explications, madame la rapporteure, ainsi que pour les perspectives qu'offre l'amendement que vous avez déposé.
Le groupe Les Républicains s'est longuement interrogé sur le soutien qu'il devrait ou non apporter à ce texte. Compte tenu des auditions que la commission a menées, de votre argumentaire et des évolutions que vous envisagez d'apporter, nous porterons un regard bienveillant sur cette proposition de loi. Il s'agit, à nos yeux, d'un message de soutien aux soignants, d'autant plus important que le contexte est tendu.
Comme vous l'avez rappelé, des ratios existent déjà dans un certain nombre de services. D'une certaine façon, ce texte constitue un atout supplémentaire pour établir un bilan précis et global de la gestion de l'hôpital. Il doit également permettre de répondre au problème des conditions de travail, donc de l'attractivité des métiers, tout en étant gage d'efficacité dans la prise en charge des patients.
Nous avons craint un temps que la mise en oeuvre de ces ratios ne puisse causer la fermeture de lits, mais nous avons bien compris que l'intention des auteurs de ce texte était avant tout de fixer un objectif, non d'imposer une réforme par les chiffres.
Nous serons vigilants sur ce point : cette proposition de loi doit avant toute chose contribuer à la mise en place de normes qualitatives. Elle soulève, en outre, une question importante : quid du dispositif en période de crise ? Une forme de souplesse est-elle envisagée ?
Nous porterons également un regard bienveillant sur cette proposition de loi de bon sens, qui est très attendue par les soignants.
Je souhaite témoigner de l'expérience que je tire de mon département. On constate aujourd'hui que de nombreuses infirmières résidant en Meurthe-et-Moselle travaillent désormais au Luxembourg, certes pour percevoir des salaires plus élevés, mais aussi - ce que l'on sait moins - pour bénéficier d'une meilleure qualité de vie au travail. C'est aussi pourquoi je pense que ce texte va dans le bon sens.
Il reste qu'un doute persiste sur le risque que l'application d'un tel dispositif puisse entraîner de nouvelles fermetures de lits. J'espère que vous saurez lever ces incertitudes.
Je pense, tout comme la rapporteure, qu'il faut garantir un nombre minimal de soignants par patient, à la fois parce qu'il est indispensable que les personnels disposent du temps nécessaire pour exercer correctement leur métier et parce que le manque de professionnels favorise leur découragement. Malgré l'augmentation des salaires liée au Ségur de la santé, on constate toujours plus de démissions.
Je suis par ailleurs favorable à ce que le dispositif puisse s'adapter en fonction des circonstances. Je voterai donc cette proposition de loi.
Comme vous l'avez indiqué, madame la rapporteure, cette réforme ne suffira pas, mais elle est indispensable. Il s'agit d'un signal fort envoyé aux soignants, à rebours d'une situation qui empire - autrement dit, d'une inflexion absolument essentielle.
Les ratios actuellement appliqués pour certaines activités hospitalières ont permis de garantir un ajustement permanent des effectifs, malgré les contraintes budgétaires. Ils ont contribué à éviter le ballotage des personnels d'un service à l'autre, lesquels ont pu exercer leur spécialité dans de meilleures conditions que certains de leurs collègues.
Cependant, permettez-moi de vous faire observer que le risque de nouvelles fermetures de lits n'est pas un fantasme, car un tel phénomène s'est déjà produit par le passé.
Au-delà de la question du calendrier de mise en oeuvre de ce texte, il faudrait également réfléchir aux distorsions de concurrence entre public et privé. Nous plaidons pour une application différenciée du dispositif à l'hôpital public, afin de prendre en compte les contraintes de garde spécifiques qui s'y attachent et la nécessaire continuité du service.
Dernier point, nous pensons que de tels ratios doivent être mis en oeuvre pour une durée limitée, d'autant que les métiers changent très vite aujourd'hui. Les décrets d'application prévus par le texte devront être régulièrement modifiés pour tenir compte de l'évolution du système de santé et des compétences des soignants.
Pour autant, vous l'aurez compris, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires est favorable à cette proposition de loi.
Certains raillent le principe des ratios, notamment ceux qui existent dans le domaine de la santé. Or c'est assez efficace ! Je pense, en particulier, au secteur de la petite enfance, où a été instauré avec succès un nombre minimal de personnels qualifiés par enfants.
J'ajoute que, du point de vue des patients, ce texte est un gage supplémentaire de qualité des soins. Il permettra aussi, je l'espère, d'améliorer les conditions de travail des professionnels.
Je vais faire entendre une voix un peu discordante. Mon groupe estime, en effet, que l'on ne peut pas prendre position sur un tel dispositif sans prendre en considération le contexte politique actuel et les difficultés auxquelles le système de santé est confronté.
Je sais bien que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat n'a nullement l'intention de causer de nouvelles fermetures de lits et de services - c'est même le contraire de l'objectif affiché -, mais mon groupe se demande tout de même, surtout après avoir entendu un certain nombre de syndicalistes, comment, avec un tel dispositif, il sera possible de maintenir les capacités de l'hôpital, pourtant déjà insuffisantes, surtout à moyens constants. En d'autres termes, où trouvera-t-on l'argent ?
Parmi les risques que fait courir cette proposition de loi, il faut également citer celui que les services entrent en conflit pour attirer les soignants. Autre question concernant la gouvernance du dispositif : pourquoi ne pas associer les associations syndicales à la HAS et la commission des soins infirmiers pour la mise en oeuvre de ces ratios ?
Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste s'abstiendra sur ce texte.
Je n'ai aucun doute sur les bonnes intentions des auteurs de cette proposition de loi ni sur le fait que cette dernière pose les bonnes questions, mais les réponses apportées me laissent perplexe.
Je m'interroge sur ce texte, comme sur les autres propositions de loi qui ont successivement été déposées ces dernières années et qui visaient toutes à mettre un terme à la pénurie des personnels soignants. En multipliant de telles initiatives, ne contribue-t-on pas davantage à « stresser » le système de santé qu'à régler le problème, et ce d'autant plus que notre système de formation a du mal à s'adapter ? À mes yeux, c'est notre capacité à former plus de professionnels, plus vite, qui représente l'enjeu prioritaire aujourd'hui.
Cette proposition de loi a le mérite d'exister. Simplement, je reste sceptique, madame la rapporteure, car vous annoncez vouloir limiter le recours aux intérimaires, alors que l'établissement de ratios nous conduira, au contraire, à y faire appel, ce qui creusera inévitablement le déficit de l'hôpital.
Ce texte constitue, j'en conviens, une avancée, mais il me plonge dans la perplexité, notamment au vu du niveau de formation actuel des soignants.
Le cycle d'auditions a-t-il été l'occasion d'évoquer la question du temps consacré par les cadres de santé à la gestion des plannings ? On peut regretter que ces professionnels très qualifiés ne consacrent plus qu'une partie de leur temps à épauler les équipes soignantes.
Les ratios ont peut-être des effets pervers, mais ils sont aujourd'hui absolument nécessaires, tant les conditions de travail à l'hôpital sont déplorables. Cette proposition de loi constitue une réponse au diagnostic terrible dressé en matière de ressources humaines.
L'enfer est pavé de bonnes intentions : ce sujet ne relève-t-il pas davantage du domaine réglementaire ?
En réponse à Martin Lévrier, je précise que l'étape qui suivra l'éventuelle adoption de ce texte et qui en permettra la bonne application relève effectivement du domaine réglementaire. Par ailleurs, le Gouvernement pourrait certainement fixer des ratios lui-même, puisque les ratios « sécuritaires » en vigueur aujourd'hui n'ont pas de fondement législatif précis et relèvent d'un renvoi général au décret pour ce qui est des « conditions techniques de fonctionnement ». Cela étant, nous agissons bel et bien dans le cadre de nos compétences : avec ce texte, nous donnons une impulsion politique et montrons à l'exécutif la voie à suivre.
À ceux de nos collègues qui ont fait part de leur interrogations, je tiens à dire que je me suis posé les mêmes questions.
Pour autant, il faut partir de l'existant : la situation continue de se dégrader et les mesures du Ségur de la santé n'ont pas mis fin à la « fuite » des personnels hospitaliers. Il convient de distinguer les médecins des infirmières et des aides-soignantes. Si nous manquons effectivement de médecins, nous avons suffisamment d'infirmières. Ce qui pose problème aujourd'hui, c'est que ces dernières quittent l'hôpital après quelques années, voire abandonnent pendant ou à l'issue de leur formation. L'enjeu est donc de ramener ces professionnels à l'hôpital public.
Le texte que nous examinons est d'autant plus important que le faible nombre de soignants au chevet des patients a des conséquences néfastes sur le niveau de formation des infirmières, qui ne bénéficient plus suffisamment aujourd'hui du tutorat et de l'expérience des seniors.
Beaucoup d'entre vous craignent que les ratios mis en oeuvre ne puissent devenir un instrument conduisant à la fermeture de nouveaux lits. Regardons, là encore, la situation actuelle : si l'on ne fait rien, on continuera comme aujourd'hui à « déshabiller » les services où les ratios ne s'appliquent pas pour « habiller » ceux où ils s'appliquent. Il convient d'agir, d'autant que les services prioritaires ou critiques sont aujourd'hui bien identifiés.
Notre collègue Laurence Cohen a lancé un appel à l'augmentation du budget de l'hôpital. Nous sommes d'accord : personne ne peut imaginer que le dispositif proposé fonctionnera à budget constant.
Plusieurs collègues ont réclamé de la souplesse. Mon amendement répond à leur inquiétude : il tend à créer deux ratios - l'un dit « sécuritaire », l'autre dit « de qualité » -, tout en prévoyant, au cas où un ratio ne serait pas respecté, que l'agence régionale de santé en soit alertée. En creux, cela signifie qu'un ratio peut ne pas être respecté pendant quelques jours. Une telle rédaction garantit donc une forme de souplesse aux établissements de santé.
Autre point, le Conseil constitutionnel a récemment censuré, comme cavalier social, une disposition interdisant le recours à l'intérim pour les jeunes infirmières dans les trois premières années d'exercice de leur métier. Ce texte ne règle certes pas le problème, madame Guidez, mais je trouvais intéressant d'évoquer cet enjeu dans mon propos liminaire et de rappeler que la mesure déclarée irrecevable par le Conseil allait dans le bon sens.
Enfin, je partage le constat dressé par notre collègue Corinne Imbert, à savoir que les cadres infirmiers passent, hélas, trop de temps à faire des plannings et, surtout, à tenter de « boucher les trous ».
En cas de non-respect des quotas mis en place, que se passera-t-il concrètement ?
Les services continueront de fonctionner. En revanche, l'ARS sera tenue de réagir, ce qui présente l'intérêt, non pas de rétablir une tutelle, mais d'inciter l'État à une forme de responsabilité dans le fonctionnement des hôpitaux.
Tout d'abord, permettez-moi de remercier la rapporteure pour l'ensemble de son travail.
Malgré tous les obstacles qui peuvent se présenter, je pense que ce texte répond à une demande forte des soignants. D'une certaine manière, les nombreux témoignages de médecins, d'infirmières, de kinésithérapeutes, de présidents de CME, de représentants d'organisations syndicales, de sages-femmes nous obligent. Certes, notre initiative ne résoudra pas la crise actuelle, mais il s'agit d'un signal important.
La mise en oeuvre de cette proposition de loi ne devra être ni brutale ni uniforme, pour ne pas créer d'effets pervers ni devenir inapplicable. Elle représente un cap, lequel contribuera à régler la crise du sens et à combler le manque de temps dont les soignants souffrent au quotidien.
Le ministre de la santé et de la prévention a récemment exprimé son opposition à notre texte. J'espère, pour ma part, qu'il fera l'objet, après tout le travail accompli par notre commission, d'un consensus au sein de notre assemblée.
Avant de passer à l'examen de la proposition de loi, je rappelle que cette dernière tire son origine de l'une des recommandations de la commission d'enquête sénatoriale sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France qui appelait à établir des « standards capacitaires ». Le rapport de cette commission, adopté à la quasi-unanimité, a permis de dresser un bilan exhaustif de la situation des hôpitaux, ainsi que des difficultés des personnels soignants et administratifs.
Au fil des mois, on constate, hélas, que la situation ne s'améliore pas. Il faut donc agir, notamment en créant les conditions d'une plus grande souplesse pour que l'hôpital soit en mesure de faire face aux crises à venir. Cette proposition de loi y contribue, en envoyant un message d'espoir aux professionnels.
J'ajoute que le travail de la rapporteure, au travers de l'amendement qu'elle s'apprête à présenter, permettra d'instaurer davantage de progressivité dans l'application d'un dispositif qui va dans le bon sens, même s'il ne constitue pas une solution miracle.
Je vous invite, mes chers collègues, à voter le texte modifié par l'amendement de notre commission.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
L'amendement COM-1 a pour objet de clarifier le dispositif proposé et de préciser son articulation avec les ratios existants.
Il vise, pour ce faire, à donner une base légale claire aux ratios « de sécurité » déjà en vigueur, à créer de nouveaux ratios dits « de qualité », tenant compte de la qualité des soins, des conditions d'exercice des personnels soignants et de la spécialisation ou de la taille de l'établissement de santé, et ce pour une période maximale de cinq années.
Il tend, en outre, à renforcer la progressivité du dispositif, puisqu'il prévoit son entrée en vigueur avant le 31 décembre 2024 pour la partie relative à la HAS et accorde ensuite deux ans au Gouvernement pour déterminer les ratios réglementaires.
L'amendement COM-1 est adopté.
L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mes chers collègues, je vous remercie pour ce beau message envoyé aux soignants.