Notre calendrier est resserré, puisque vous m'avez nommé rapporteur il y a deux semaines et que le texte sera examiné en séance le 2 février prochain.
Cette proposition de loi nous alerte sur un phénomène désormais bien connu, que nombre d'entre nous avons constaté dans nos territoires et qui a constitué un sujet important de débat lors de l'examen du dernier projet de loi de finances (PLF) : le développement des résidences secondaires et ses effets sur le marché local de l'immobilier, en particulier sur la possibilité d'accès au logement pour les résidents permanents.
La France comprenait 3,7 millions de résidences secondaires en 2021, pour 30,7 millions de résidences principales. Sur le long terme, le nombre des résidences principales et secondaires évolue de manière comparable, mais, depuis 2010, on constate une accélération du nombre des résidences secondaires, qui a augmenté de 16,5 %, contre moins de 10 % pour les résidences principales. La proportion de résidences secondaires est particulièrement élevée sur le littoral atlantique et en Corse ; leurs propriétaires sont souvent des personnes qui habitent à titre principal dans une autre région et qui ont des revenus plus élevés que les résidents locaux.
Comme le montrent les études de l'Insee, le développement des résidences secondaires accentue les tensions sur le marché du logement, surtout dans les zones où la population augmente. Les prix immobiliers subissent une pression à la hausse, obligeant ceux qui travaillent dans les communes touristiques à résider eux-mêmes de plus en plus loin. Cette situation doit toutefois s'apprécier en fonction des territoires, car les résidences secondaires constituent aussi une source d'attractivité et d'enrichissement pour l'économie locale, en particulier là où la densité de population est moins importante. Il faut donc se garder d'une vision uniforme selon laquelle le développement des résidences secondaires serait systématiquement défavorable aux résidents locaux.
Face à ce phénomène, la fiscalité locale a évolué significativement, au cours des dernières années, en défaveur des résidences secondaires par rapport aux résidences principales. Je distinguerai deux mesures.
En premier lieu, la taxe d'habitation a été supprimée progressivement sur les résidences principales. Depuis le 1er janvier, elle ne s'applique qu'aux résidences secondaires. On ne parle donc plus que de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires (THRS).
En second lieu, la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 a étendu le périmètre dans lequel s'applique la taxe sur les logements vacants : or, dans le même périmètre, les communes peuvent appliquer une majoration de 5 % à 60 % à la THRS. Ce périmètre se limitait auparavant à des zones tendues de plus de 50 000 habitants ; désormais, la majoration de THRS pourra être décidée dans des communes situées dans des zones d'urbanisation plus petites, spécifiquement dans celles où le taux de résidences secondaires est élevé. Toutefois la liste de ces communes n'est pas connue à l'heure qu'il est, car le décret d'application n'a pas encore été pris.
En 2021, 1 136 communes étaient situées dans le zonage de la taxe sur les logements vacants ; 233 d'entre elles avaient instauré une majoration de THRS et, parmi elles, 43 communes avaient choisi d'appliquer la majoration maximale de 60 %. Lorsque le nouveau zonage sera connu, des milliers de communes recourront probablement à cette possibilité, en particulier dans les principales zones touristiques littorales et de montagne.
Le développement des résidences secondaires est donc un phénomène avéré et qui doit être pris en compte dans les politiques du logement.
Certains pays ont d'abord pris des mesures assez radicales : en Suisse, une loi dite « Lex Weber », adoptée par référendum en 2012, limite à 20 % la proportion des résidences secondaires dans chaque commune, ce qui a freiné un grand nombre de projets. Nous n'avons pas pris de mesure du même type en France, mais la règle de « zéro artificialisation nette » (ZAN) pourrait avoir un effet tout aussi important, aussi bien sur les résidences principales que sur les résidences secondaires.
Cette proposition de loi a un objectif plus mesuré en apparence, puisqu'il s'agit surtout d'apporter à certaines catégories d'acteurs publics - les régions et les établissements publics fonciers locaux - les moyens d'accomplir leur mission en matière de politique du logement et d'aménagement.
Les deux articles sont similaires dans leur dispositif. Ils prévoient la création de deux taxes additionnelles à la THRS : la première serait instituée au profit de la région, sur délibération du conseil régional (article 1er) ; la seconde serait reversée aux établissements publics fonciers (EPF) locaux ou à l'Office foncier de Corse (article 2).
Dans les deux cas, ce n'est pas l'ensemble du territoire qui est visé, mais uniquement les zones dans lesquelles peuvent s'appliquer la taxe sur les logements vacants et la surtaxe de THRS, c'est-à-dire les zones tendues, notamment touristiques. En outre, la taxe de l'article 2 ne s'appliquerait que dans le périmètre des EPF locaux, c'est-à-dire sur une part très limitée du territoire national, car la plupart des territoires sont couverts uniquement par un EPF d'État ou ne sont couverts par aucun EPF. Le taux de chacune de ces taxes pourrait varier de 0 % à 25 % de la valeur locative, en fonction des délibérations du conseil régional ou du conseil d'administration de l'EPF.
Comme pour toute taxe, il convient de se demander si l'objectif est d'influencer les comportements ou de fournir des ressources aux autorités et établissements destinataires.
Comme l'indique l'exposé des motifs, il s'agit d'abord de taxes de rendement, qui visent à apporter des ressources aux régions et aux EPF locaux.
En ce qui concerne l'influence sur les propriétaires de résidences secondaires, il est plus difficile à déterminer a priori. On peut penser que beaucoup d'entre eux ne mettront pas en location de manière permanente leur logement parce que le taux de taxation aura augmenté. Il est possible toutefois que certains fassent le choix d'acquérir une résidence secondaire dans une zone où ces taxes ne seront pas instituées, ce qui pourrait avoir un effet sur la politique locale de logement. Or, l'un des principaux obstacles que je vois à ces dispositions est celui de la cohérence des actions des différentes autorités en matière de logement.
Si l'État conserve une part essentielle dans la définition de la politique du logement, notamment des aides de guichet, la mise en oeuvre locale de la politique du logement relève pour l'essentiel des communes et des intercommunalités, même si la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a attribué aux régions une compétence pour promouvoir « le soutien à l'accès au logement et à l'amélioration de l'habitat, le soutien à la politique de la ville et à la rénovation urbaine ». Quant aux EPF, cette proposition de loi leur conférerait pour la première fois la possibilité de décider sur quelle catégorie de contribuables - en l'occurrence les propriétaires de résidences secondaires - leurs ressources devraient être prélevées.
Ainsi, le taux de ces taxes s'appliquerait de manière indifférenciée sur l'ensemble des zones tendues à l'intérieur d'une même région ou du ressort d'un même EPF, alors que les conditions locales et les stratégies des communes et intercommunalités peuvent varier. Je crains donc qu'il n'y ait un risque d'interférence ou de manque de cohérence dans la mise en oeuvre de la compétence « logement » à l'échelon local.
De surcroit, cette ressource n'est assortie d'aucune obligation d'utilisation : rien ne garantirait donc, surtout dans le cas des régions, qu'elle serait effectivement utilisée pour la production de logements. J'ai d'ailleurs interrogé les régions : elles ne sont en rien demandeuses de cette ressource.
Du point de vue du contribuable, les nouvelles taxes et la hausse brutale de la taxe d'habitation que celles-ci entraîneraient seraient certainement difficiles à comprendre. Un logement taxé aujourd'hui à 30 % ou 40 % pourrait être taxé désormais à 80 % ou 90 %, avec l'ajout de nouvelles lignes sur l'avis d'imposition. C'est beaucoup et le risque d'inconstitutionnalité est très élevé, eu égard à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État.
Pour autant, je suis d'accord avec les auteurs de la proposition de loi pour affirmer la nécessité de définir un meilleur modèle de financement de la politique du logement, notamment de permettre aux établissements publics fonciers d'assurer leurs missions, qui iront croissant au cours des années à venir. Les EPF participent aux programmes Action Coeur de ville et Petites Villes de demain, à la réhabilitation et à la dépollution de friches ou encore à la constitution de réserves foncières pour les collectivités... Le fonds friches a été fondu dans un fonds vert, dont la mise en oeuvre est désormais aux mains des préfets de région, ce qui laisse peu de visibilité sur les montants qui seront effectivement mis à la disposition des collectivités, alors même que les premières « vagues » de décaissement de ce fonds ont permis de traiter les projets les plus simples ; les projets à venir seront plus coûteux et complexes. De manière générale, la mise en oeuvre du ZAN va entraîner, mécaniquement, une raréfaction de la ressource foncière et il est important que les collectivités locales puissent s'appuyer sur ces établissements.
Or, la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, qui constituait l'une des assiettes de la taxe spéciale d'équipement destinée aux EPF, a conduit à la création d'une dotation budgétaire de compensation. Faut-il conserver cette dotation, la renforcer ou au contraire envisager une ressource fondée sur une assiette locale et moins soumise aux arbitrages annuels de l'État ? C'est aussi l'une des questions sous-jacentes à cette proposition de loi.
La question est importante, mais la réponse me semble prématurée et la taxation des résidences secondaires doit s'apprécier dans un périmètre plus large : le financement de la politique locale du logement et de l'aménagement.
Ainsi, il faut laisser vivre les évolutions de fiscalité introduites par la loi de finances pour 2023, c'est-à-dire la possibilité de majorer la THRS, qui va être accordée précisément aux territoires visés par cette proposition de loi. En outre, la proposition de loi visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au coeur des territoires, rédigée par une mission conjointe réunissant quatre commissions permanentes, doit être examinée prochainement par le Sénat : elle pourrait modifier les conditions concrètes dans lesquelles s'applique la mise en oeuvre de ce principe, donc son examen devrait être un préalable à la définition des moyens à donner aux collectivités et à leurs établissements pour atteindre cet objectif.
Pour ce qui se rapporte enfin plus spécifiquement aux EPF, j'aborderai justement la question de leur financement au cours des mois à venir, à l'occasion d'un contrôle budgétaire dont la commission m'a confié la charge.
Pour toutes ces raisons, je vous propose de ne pas adopter les deux articles de la proposition de loi. Cela permettra d'avoir le débat en séance puisque le Sénat l'examinera alors dans sa rédaction initiale.