Quoi qu'il en soit, c'est une vraie question. Il faut aussi avoir ces choses à l'esprit quand on choisit un scénario de financement. Pour ma part, je m'interroge sur l'opportunité de réduire les assiettes que l'on souhaite imposer ou de distribuer les produits d'impôts entre plus de bénéficiaires au moment même où la demande d'investissement et les besoins découlant des compétences régaliennes de l'État sont très forts, mais je répète que ces choix appartiennent avant tout aux représentants de la nation, même si nous en supporterons les effets en dernier ressort.
Partant de là, la question se pose du modèle vers lequel nous devons aller. La proposition que fait la Cour a globalement reçu l'assentiment de Régions de France, comme la présidente Carole Delga a eu l'occasion de le dire. En effet, l'impôt sur les sociétés est plus en lien avec nos compétences que les recettes que nous pouvions avoir jusqu'à présent. La Cour a souligné la complexité et la faible lisibilité du système. Il existe des bizarreries, comme la compensation par des parts de TICPE de dépenses relatives à l'apprentissage. Tout cela devient très tortueux. La sédimentation née de la succession de réformes rend le panier de recettes complètement illisible pour les citoyens et parfois même pour les élus. Il est donc probablement temps de passer à autre chose aussi pour des raisons démocratiques.
L'affectation d'une part d'impôt sur les sociétés appelle deux précisions.
Premièrement, avec la TVA et l'impôt sur les sociétés, nos recettes seraient intégralement liées à la conjoncture économique. Autrement dit, dans les périodes de retournement économique, l'ensemble de nos recettes connaîtrait une dépression, puisque nous n'aurions pas de « fiscalité de stock », alors même que les régions ont aujourd'hui des compétences en matière de service à la population - sur les mobilités, sur la formation professionnelle, sur les lycées -, qui, elles, ne sont pas dépendantes du cycle économique.
Comment assure-t-on le financement des politiques en période de vaches maigres ? Une des demandes formulées par Carole Delga, qui n'a pour l'instant pas été suivie en loi de finances, mais qui paraîtrait d'autant plus nécessaire dans un nouveau modèle tel que celui que propose la Cour, est d'avoir a minima la capacité de mettre en réserve la dynamique, comme cela a été fait pour les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) des départements. Si j'ai bien compris, ces derniers ont activement mobilisé ce système. Nos collègues élus des départements savent bien qu'ils sont dépendants du marché de l'immobilier alors même qu'ils ont des politiques pérennes à financer, comme l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ou le revenu de solidarité active (RSA). Un mécanisme prudentiel paraît donc absolument indispensable, au moins pour préserver les capacités d'intervention en période de crise.
Deuxièmement, vous avez posé la question, monsieur le rapporteur Charles Guené, de la gouvernance, de la codécision, de la territorialisation. Il est clair que, dans le modèle proposé, les régions, qui avaient exprimé une demande de codécision dans leur livre blanc, n'auraient pas d'autonomie fiscale. L'organisation territoriale et l'organisation fiscale d'un État sont deux choses distinctes. J'ai l'habitude de citer l'exemple de notre voisin allemand, où les Länder n'ont pas forcément d'autonomie, mais sont dans un dialogue avec l'État fédéral sur l'attribution des parts d'impôt national. Il faudrait, a minima, créer les conditions de ce dialogue, qui, il faut bien le dire, n'existe pas aujourd'hui.
J'ai siégé au CFL le jour de la présentation du projet de loi de finances : les ministres y viennent l'après-midi consacrer une heure à sa présentation, après la réunion du conseil des ministres du matin. Autant dire que l'on a peu de temps pour poser des questions ! Le PLF vit ensuite sa vie parlementaire.
Il faut que nous puissions avoir un espace de discussion, d'échange et de codécision qui n'existe pas aujourd'hui, dans un format à définir. Dans le processus de révision constitutionnelle qui avait été engagé, l'idée a circulé d'une loi de financement des collectivités territoriales, mais votre collègue Françoise Gatel m'avait expliqué que cette solution pouvait être piégeuse, y compris pour les collectivités. Le lieu de discussion que nous appelons de nos voeux peut être un CFL rénové, mais il faudra alors en regarder la composition avec précision : si les collectivités y sont minoritaires, l'exercice s'avérera assez rapidement vain et décevant. Cela ne créerait pas la confiance que nous recherchons, ce qui constituerait une difficulté.
La solution peut passer par la contractualisation, mais évidemment pas sur le modèle des contrats de Cahors - qui n'étaient d'ailleurs pas des contrats - ou du dispositif proposé il y a peu, qui reposait sur une norme de dépenses de fonctionnement à respecter.
En revanche, l'intérêt d'une contractualisation globale, intégrant un volet financier mais pas uniquement, est indéniable. Elle serait envisageable dans le cadre d'expérimentations et selon des mécanismes de différenciation à définir, même si j'ai des doutes sur le fait que l'État y soit prêt.
Je comprends parfaitement que le Gouvernement s'efforce prioritairement de crédibiliser la trajectoire budgétaire de nos finances publiques - après tout, régions et État sont dans le même bateau -, mais je suis convaincu de la nécessité d'une contractualisation plus dense que par le passé. C'est d'autant plus vrai que, si l'on porte un regard rétrospectif sur les contrats de Cahors - cet exercice inutilement vexatoire -, on observe que les régions, qu'elles les aient signés ou non, ont toutes, sans exception, respecté leur trajectoire budgétaire.
Cela étant, une contractualisation plus poussée impliquerait que l'État mette en place les outils nécessaires, y compris à l'échelon local, pour piloter les politiques conduites dans le cadre de ces contrats. Or l'actuel ministre des comptes publics a qualifié de « micro-management » le fonctionnement des contrats de Cahors. Un dialogue entre les présidents de régions et les préfets, ça ne s'appelle pas du « micro-management », ça s'appelle la République. Ces propos m'ont choqué, car une contractualisation efficace suppose un État déconcentré bien « outillé » et ouvert au dialogue.
Réfléchir à la territorialisation du financement des régions nécessite de s'interroger en parallèle sur les mécanismes de péréquation à mettre en oeuvre, même si le panier actuel des recettes des régions rend moins utile un tel travail, même si nous l'avons fait.
La territorialisation est, par ailleurs, très complexe à mettre en place, comme l'a prouvé le transfert d'une part de la CVAE aux régions. Elle peut notamment créer des effets de siège, auxquels on ne pourra échapper qu'en mettant en place une grille de lecture efficace et des critères qui permettent d'éviter des distorsions supplémentaires.
Pour Régions de France, je le redis, le travail engagé par votre commission est d'autant plus opportun que le dossier du financement des régions doit absolument trouver une issue dès l'examen du prochain projet de loi de finances, surtout en raison des graves problèmes de financement de la compétence « mobilité ».
Le fonctionnement de ce volet, qui découle de la coordination et de l'articulation entre les autorités organisatrices de la mobilité (AOM), pose un vrai sujet : nos concitoyens ne comprendraient pas que l'on maintienne l'actuel fractionnement des opérateurs, alors que les déplacements, notamment professionnels, ont très souvent lieu d'un territoire à un autre et que les besoins en termes de mobilité s'accentuent. Ce point mérite qu'une réflexion plus poussée soit menée en urgence.