Intervention de Pierre-Louis Bras

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 14 février 2023 à 16h30
Audition de M. Pierre-Louis Bras président du conseil d'orientation des retraites cor

Pierre-Louis Bras, président du Conseil d'orientation des retraites (COR) :

Au sein du Conseil d'orientation des retraites siègent des parlementaires - quatre députés et quatre sénateurs, parmi lesquels Mme la rapporteure pour avis Sylvie Vermeillet -, des représentants des partenaires sociaux - les trois organisations représentatives des employeurs et sept organisations syndicales de salariés -, de l'Union nationale des associations familiales (Unaf), de l'Union nationale des professions libérales (Unapl), de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (Fnsea), et des administrations concernées par la question des retraites - direction générale du Trésor, direction de la sécurité sociale, direction du budget -, de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) et de l'Insee, ainsi que des personnalités qualifiées.

Le rapport du COR que je vais vous présenter a fait l'objet d'un consensus entre tous ses membres. Je ne vous livrerai donc pas d'opinions personnelles.

Premier élément : le rapport des dépenses de retraite à la richesse nationale.

Les termes « système de retraite par répartition » signifient que l'on prélève des cotisations ou des impôts sur les actifs pour financer les retraites. Une façon synthétique d'apprécier cet effort qu'il faut consentir est de considérer la part des dépenses de retraite dans le PIB.

Nous observons une forte augmentation de ces dépenses dans les années 2000, du fait du départ en retraite des baby-boomers et de la crise économique des années 2010. Au début de la décennie suivante, on observe les soubresauts liés au covid. En 2021, les dépenses de retraite représentaient 13,8 % du PIB. Pour la période allant jusqu'en 2030, nous nous sommes alignés sur les prévisions économiques du Gouvernement. À partir de 2030, nous avons décidé de façon consensuelle de faire des hypothèses concernant la croissance de la productivité horaire du travail, laquelle détermine le niveau des salaires et celui du PIB.

Le spectre sur lequel nous avons travaillé comprend quatre hypothèses, de la plus défavorable, soit 0,7 % de croissance annuelle de la productivité horaire du travail - la situation de 2009 à 2019 - à la plus favorable, soit 1,6 % de ladite croissance annuelle - la situation sur une période de quarante ans, de 1982 à 2022. Les résultats sont très différenciés selon les hypothèses.

Globalement, en dépit de quelques variations, les dépenses de retraite sont relativement stables. À long terme, dans trois hypothèses sur quatre, elles diminuent quelque peu : dans la plus favorable, elles représentent de 11,9 % à 12 % du PIB ; si la croissance annuelle de la productivité horaire du travail s'établit à 1 %, soit l'hypothèse qui sert de référence au Gouvernement pour la réforme des retraites, elles représentent 13,5 % du PIB.

Dans l'hypothèse d'une croissance annuelle de la productivité horaire du travail à 0,7 %, les dépenses de retraites augmentent quelque peu à l'horizon 2050, passant à 14,4 % du PIB. Je précise qu'en 2021, le PIB de la France était de 2 500 milliards d'euros : 0,1 point de PIB équivaut à 2,5 milliards d'euros et 1 % de PIB égale 25 milliards.

Les dépenses de retraite ne dérapent pas. A priori, cela suscite souvent un certain étonnement, parce que la France vieillit. Il y a aujourd'hui 1,7 cotisant pour un retraité ; en 2050, il n'y aura plus que 1,2 cotisant par retraité. Si l'on ne prenait en compte que cette évolution démographique, les dépenses de retraite augmenteraient fortement en pourcentage du PIB. Néanmoins, il faut observer un autre phénomène très important : les pensions versées à chaque retraité diminueront dans le temps par rapport à la rémunération de chaque actif, et ce d'autant plus que la croissance sera forte. En effet, dans le régime général, les pensions sont indexées sur les prix ; quand les salaires augmentent rapidement, se produit un décrochage des pensions par rapport aux salaires et donc par rapport au PIB ; par ailleurs, des mesures ont été prises pour faire baisser durablement le rendement technique de l'Agirc-Arrco ; enfin, dans la fonction publique, les périodes de gel du point d'indice pèsent aussi sur le niveau des pensions par rapport aux salaires. Si les dépenses de retraite ne dérapent pas, c'est parce que ces deux forces s'exercent en sens contraire et s'équilibrent.

Le fait que les pensions relatives des retraités baissent par rapport aux rémunérations est une question en soi. Aujourd'hui, le niveau de vie des retraités est légèrement supérieur à celui de l'ensemble de la population ; ils sont ainsi plus nombreux à être propriétaires. De par la baisse relative des pensions, leur niveau de vie diminuerait.

Si les dépenses de retraite ne dérapent pas dans l'actuel contexte de vieillissement, il y a donc un revers : la baisse relative du niveau des pensions, et du niveau de vie relatif des retraités.

Deuxième élément : le niveau du solde de l'ensemble du système de retraite.

Ce niveau a atteint un point bas dans les années 2010. En 2019, le système frôlait l'équilibre. En 2020, il s'est creusé du fait de la crise du covid. En 2021, on est à l'équilibre - en fait, un peu en deçà mais à hauteur d'à peine 0,1 point de PIB.

Dans les quatre groupes de régimes qui existent, les uns sont excédentaires - les régimes complémentaires du secteur privé - et d'autres déficitaires - les régimes de base du même secteur. Quant à l'ensemble constitué par les régimes de la fonction publique et des indépendants, il est très proche de l'équilibre.

S'agissant de ce solde, je tenais à apporter une précision. Peut-être avez-vous entendu dire que le COR cachait 30 milliards d'euros de déficit. Franchement, je ne cache rien et je n'ai rien à cacher ! Les données sur lesquelles nous travaillons sont celles qui servent de base pour les lois de financement de la sécurité sociale, lesquelles ne prennent pas en compte les régimes complémentaires et font apparaître une branche vieillesse en déficit.

Le COR, en revanche, prend en considération l'ensemble des régimes de retraite, y compris complémentaires, un ensemble qui est à l'équilibre en 2021. Pour ce qui est des régimes de base, on prend en compte les conventions qui servent de base aux lois de financement de la sécurité sociale. S'il y avait 30 milliards d'euros cachés, ils le seraient par le Gouvernement lorsqu'il transmet au Parlement les documents afférents à la loi de financement de la sécurité sociale, et ce avec la complicité de tous les groupes parlementaires ; en effet, je n'ai jamais vu remettre en cause, lors des débats sur ces textes, la nature des soldes qui vous sont présentés et la manière dont ils sont construits.

Nous présentons ces soldes tels qu'ils le sont dans la loi de financement de la sécurité sociale. Si de tels montants étaient cachés, ce serait de nature à provoquer une vraie crise institutionnelle parce que cela signifierait que l'on ment aux Français...

Troisième élément : le solde projeté.

En 2022, ce solde était en excédent, à hauteur de 0,1 point de PIB. Après 2022, il se creuse, différemment selon les hypothèses économiques, suivant la dynamique des dépenses par rapport au PIB.

Comment puis-je dire, à la fois, que les dépenses ne dérapent pas, que l'équilibre est atteint dans la période initiale et que, pour autant, il y aura un déficit ?

La clé de cette énigme, c'est l'évolution des ressources. Ce que je vais vous dire n'est pas immédiatement évident. Si l'on ne fait rien, le taux de prélèvement des ressources affectées aux retraites diminuera sous l'effet de trois phénomènes qui ne sont pas intuitifs. A priori, on pourrait se dire que, les ressources pour les régimes de retraite ayant pour origine des taux de cotisation, si ces derniers ne bougent pas, les ressources augmenteront au même titre que le PIB. Or il faut signaler quelques particularités.

Premier phénomène : pour ce qui est du régime des fonctionnaires et d'autres régimes spéciaux qui sont en équilibre car ils sont abondés par des subventions de l'État, les ressources ne dépendent pas d'une base économique sur laquelle on prélèverait des cotisations, mais elles sont ajustées sur les dépenses. En effet, selon l'une des conventions qui sert de base à tous nos textes, le régime de retraite des fonctionnaires de l'État est en permanence équilibré. Les ressources dépendant des dépenses et les dépenses de retraite des fonctionnaires diminuant progressivement - elles représentent aujourd'hui 2 % du PIB ; dans cinquante ans, elles représenteront 1 % du PIB -, les ressources affectées aux retraites diminuent également.

Deuxième phénomène : dans le régime de retraite des agents des collectivités territoriales et des hôpitaux, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), le taux de cotisation est bien plus élevé, soit 41 %, que dans le régime général et dans le régime Agirc-Arrco dans lesquels ce taux est de 28 %, en prenant en compte les cotisations salariés et employeurs. Or la part des rémunérations des agents des collectivités territoriales et des agents hospitaliers dans l'ensemble des rémunérations va diminuer, selon les hypothèses qui nous sont communiquées par la direction du budget sur l'évolution des rémunérations et des effectifs : cet effet de structure explique la baisse globale des ressources du système.

Troisième phénomène, d'une moindre ampleur : la diminution des contributions de la branche famille et de l'Unédic au système de retraite - dédiées respectivement à la prise en charge des avantages familiaux et des allocations chômage Agirc-Arrco -, qui représentent environ 7 % des ressources du système de retraite. Comme il y aura, demain, moins d'enfants, selon les projections de l'Insee sur la fécondité, et moins de chômeurs, selon l'hypothèse du Gouvernement, qui prévoit un taux de chômage de 5 % en 2027 - une projection que nous avons prolongée en nous basant sur un taux de chômage à 4,5 % stabilisé ; auparavant, nous nous basions sur un taux de 7 % -, nous prévoyons une diminution des contributions de la branche famille et de l'Unédic.

On peut donc dire, à la fois, que les dépenses de retraites ne dérapent pas, que le système est aujourd'hui à l'équilibre et que, pour autant, le déficit va se creuser.

Si l'on suit l'hypothèse posée par le Gouvernement, l'évolution du solde sera la suivante : en 2027, pour le solde, -0,4 % du PIB ; pour les dépenses ; -0,1 % du PIB ; pour les ressources, -0,3 % du PIB. En 2046, pour le solde, -0,7 % du PIB, ce qui correspond à l'évolution des ressources que je vous ai exposée, tandis que le niveau de dépenses sera le même que celui de 2021, lorsque la situation était à l'équilibre.

Quatrième élément : les dépenses de retraite ne dérapent pas, mais, pour autant, elles évoluent à un niveau qui n'est pas compatible avec les objectifs de finances publiques du Gouvernement. Celui-ci, comme le prévoit son dernier programme de stabilité, souhaite : réduire le déficit public à 2,9 % du PIB, en 2027 ; stabiliser, voire réduire légèrement, les prélèvements obligatoires ; enfin, limiter - un objectif affiché par Bruno Le Maire - l'augmentation des dépenses publiques, dans leur globalité, à 0,6 % par an. Or, si les dépenses de retraite ne dérapent pas au regard du PIB, elles augmentent de 1,8 %.

Rappelons que les dépenses de retraite représentent 25 % des dépenses publiques. Il est quasiment impossible de limiter l'augmentation des dépenses publiques à 0,6 % par an dans ces conditions, sauf à mener une politique extrêmement restrictive dans les autres domaines de dépenses publiques que sont la défense, l'éducation, la santé, la justice, la police, etc. Le COR a noté cette difficulté, mais certains de ses membres ont tenu à préciser qu'ils ne s'estimaient pas liés par les objectifs de finances publiques du Gouvernement.

Pour ce qui concerne la situation patrimoniale nette du système de retraite, on constate qu'il y a des réserves dans les régimes en répartition, soit les régimes complémentaires, à hauteur de 180 milliards d'euros - constituées pour la moitié de réserves Agirc-Arrco - et dans le Fonds de réserve pour les retraites (FRR), à hauteur de 26 milliards. La Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) a une dette de 43 milliards d'euros, qui correspond à l'accumulation des déficits qu'elle a repris.

Au total, la situation patrimoniale nette du système de retraite fait apparaître des crédits à hauteur de 163 milliards d'euros. Il s'agit d'une partie de la situation patrimoniale nette des administrations publiques, publiée chaque année par l'Insee, laquelle est également positive, à hauteur de 375 milliards d'euros - situation établie après bilan de ce que l'ensemble de ces administrations possèdent et doivent.

Il n'est pas possible d'utiliser ces réserves pour combler le déficit à venir du régime général. En effet, ces réserves appartiennent à des régimes qui sont actuellement excédentaires et qui le seront également demain, et ce d'autant plus après la réforme des retraites prévue ; ainsi, le bilan Agirc-Arcco pour 2030, après réforme, s'établit à hauteur d'environ 3,7 milliards d'euros.

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