Cela va s’arranger, monsieur le sénateur. C’est précisément l’objet de ce texte.
La proposition de loi entend aller au-delà de la protection du domicile, en protégeant également la propriété en tant que telle. Cette évolution est indispensable pour mettre fin aux situations injustes que j’évoquais précédemment. Il nous faut toutefois nous assurer que ces infractions sont suffisamment ciblées et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire.
Il s’agit ainsi non pas de faire primer le droit de propriété sur tout autre droit social, mais de répondre de manière proportionnée et adaptée à des situations individuelles profondément injustes.
À cet égard, je tiens à souligner l’important travail des commissions des lois et des affaires économiques, dont je veux ici saluer les rapporteurs, le sénateur Reichardt et la sénatrice Estrosi Sassone, engagés de longue date sur ces sujets. Leurs travaux ont permis de resserrer le champ du délit d’introduction ou de maintien dans un local autre que le domicile et d’aboutir à un texte qui me semble satisfaisant à plusieurs égards.
Il restreint le champ de la répression aux seuls actes frauduleux en prévoyant, s’agissant des locaux autres que le domicile, que seule l’introduction, à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, ou le maintien après une telle introduction sont réprimés. Cette restriction permet de répondre aux inquiétudes exprimées par certains et aux réserves que j’avais émises lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, en excluant de la répression les locataires défaillants qui ne font l’objet d’aucune mesure d’expulsion.
Nos débats, à n’en point douter, permettront d’améliorer le texte en précisant le terme « local à usage économique », qui ne correspond à aucune notion connue dans notre droit. Il me semble également opportun de réserver la protection aux seuls locaux effectivement exploités.
Dans la lutte contre les squats, la commission des lois a également procédé à une gradation dans l’échelle des peines qui me semble tout à fait bienvenue.
Sur l’aspect pénal du texte, il m’apparaît donc que les travaux de vos commissions ont permis d’aboutir à un équilibre entre la défense de la propriété immobilière, qui concerne aussi les petits propriétaires, et le droit au logement, dans le respect de nos principes constitutionnels.
En complément des outils offerts par notre procédure pénale, nous disposons de deux voies pour expulser le squatteur du logement d’autrui : une voie civile et une voie administrative.
La voie civile permet de saisir le juge des référés. Celui-ci, lorsqu’il constate l’existence d’un trouble manifestement illicite, c’est-à-dire l’occupation du bien, peut ordonner les mesures conservatoires qui s’imposent, dont l’expulsion. Le délai moyen de cette procédure est de cinq mois.
Nous disposons également, depuis la loi instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dite loi Dalo, d’une procédure administrative d’évacuation forcée. Son article 38 permet aux préfets, lorsqu’une plainte a été déposée pour violation de domicile, d’ordonner l’évacuation des squatteurs sans attendre qu’une décision judiciaire ait été rendue.
À la suite de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi Asap, qui est venue compléter la loi Dalo, nous avons pris l’initiative, avec mes collègues des ministères de l’intérieur et du logement, d’adresser, le 22 janvier 2021, une instruction aux préfets pour détailler la mise en œuvre de cette procédure et leur enjoindre d’assurer la rapidité de son exécution. Plus que jamais, l’exécutif est donc mobilisé pour lutter contre les squats.
Tout en conservant l’esprit de la proposition de loi du président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, M. Kasbarian, votre commission a recentré son application aux squatteurs.
Je m’en félicite, car la procédure de l’article 38 n’est pas adaptée à l’évacuation des autres types d’occupants – les locataires, les concubins… – en raison de son caractère expéditif et non contradictoire.
Je pense notamment à la situation dans laquelle se serait trouvée une femme victime de violences conjugales dont le compagnon violent serait parti sur ordre de la justice, mais aurait quand même pu exiger du préfet une évacuation forcée de sa victime.
La nouvelle rédaction de l’article 2 de la proposition de loi a également clarifié l’extension du périmètre de cette procédure : elle sera mobilisable pour la libération des domiciles, mais également pour celle des logements vacants.
La question des expulsions pour impayés de loyers est, quant à elle, bien distincte de celle du squat. Il faut garder à l’esprit que notre droit civil protège les locataires qui cessent temporairement de payer leur loyer. La difficulté à régler une échéance de loyer, en raison d’un accident de la vie ou de factures imprévues, ne doit pas compromettre définitivement le logement familial.
Le texte adopté en commission rétablit sur ce point le pouvoir du juge d’accorder d’office des délais avant d’en arriver à l’expulsion. Il faut toutefois que le locataire soit en situation de régler ses dettes à l’égard du propriétaire et qu’il ait au minimum repris le paiement du loyer courant.
En cela, la condition ajoutée par la commission des lois à l’octroi de délais par le juge s’inscrit, me semble-t-il, dans l’équilibre que nous recherchons entre droit au logement et droit de propriété. Pour autant, cet équilibre est fragile, car on sait que 40 % de locataires en impayés de loyer ne se présentent pas à l’audience et ignorent leur droit de demander des délais.
Dès lors que l’expulsion est ordonnée, le juge peut encore octroyer de façon exceptionnelle des délais supplémentaires, afin de permettre à des familles en situation de précarité de se reloger dans des conditions dignes.
Le droit civil fait également obstacle aux expulsions durant la trêve hivernale. C’est là un acquis non négligeable – j’insiste sur ce point –, car la loi veille ainsi à répondre à des situations individuelles qui peuvent se révéler dramatiques.
Il ne paraît pas souhaitable que la légitime lutte contre les abus de locataires de mauvaise foi conduise à modifier ces équilibres.
La proposition de loi tend à réduire certains délais de procédure, afin d’accélérer le traitement de ces affaires. Si j’étais favorable à la réduction des délais à deux mois, je considère comme trop court, et difficile à calculer, celui de six semaines adopté en commission.
Enfin, s’agissant des propriétaires, il est important de sécuriser leur situation face aux occupations illicites de leur bien, et donc de les décharger, dans certaines circonstances, de leur responsabilité. C’est l’objet de l’article 2 bis de la proposition de loi.
Néanmoins, les décharger totalement de l’obligation d’entretenir leur bien nuirait de manière injustifiée aux tiers subissant un dommage. Ces tiers doivent pouvoir être indemnisés sans supporter les conséquences d’une occupation illicite. Une nécessaire adaptation de ce texte devra être envisagée. C’est le sens de certains amendements, dont un sur l’initiative du Gouvernement, qui seront proposés à votre vote.
Dans la lutte contre les squats et la préservation du droit de la propriété, ce texte est une nouvelle étape intéressante. Faisons en sorte, tous ensemble, qu’il apporte des solutions efficaces, concrètes, dans le respect de nos grands principes constitutionnels.