Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’examen de la proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite nous donne l’occasion de revenir sur deux sujets auxquels le Sénat est depuis longtemps attentif : la lutte contre le squat et la sécurisation des rapports locatifs.
Il y a deux ans, à quelques jours près, le Sénat débattait, sur le rapport d’Henri Leroy, de la proposition de loi de notre collègue Dominique Estrosi Sassone tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat. Plusieurs dispositions que le Sénat avait alors adoptées sont reprises dans le texte qui nous est transmis, et c’est tant mieux.
Nous sommes nombreux à regretter, monsieur le garde des sceaux, que le Gouvernement n’ait pas été plus tôt à l’écoute des propositions du Sénat, ce qui nous aurait permis de gagner un temps précieux pour lutter contre le phénomène du squat. Ce dernier affecte régulièrement de petits propriétaires, lesquels – je reprends un exemple que vous avez vous-même mentionné – découvrent en rentrant de vacances que leur résidence principale est occupée.
La première partie du texte qui nous est soumis vise à prévenir et à réprimer plus efficacement le squat. La commission des lois ainsi que la commission des affaires économiques saisie pour avis ont veillé à mieux distinguer la situation du squatteur de celle du locataire défaillant, dont le bail a été résilié, mais qui s’était introduit régulièrement dans les locaux.
Le texte contient d’abord une série de dispositions en matière pénale. Certaines, d’ailleurs, avaient déjà été adoptées par le Sénat en janvier 2021, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques ; je pense, notamment, à l’alourdissement de la peine encourue en cas de squat d’un domicile, ainsi qu’à la création d’une infraction pour punir d’une amende la propagande ou la publicité en faveur de méthodes tendant à inciter ou à faciliter le squat.
Vous savez comme moi que l’on peut trouver sur internet de véritables guides du squat, visant à donner des conseils sur la manière de s’introduire illégalement dans un logement et d’échapper à l’expulsion. Ce type de pratiques serait désormais pénalisé.
Actuellement, vous le savez également, le code pénal sanctionne seulement le squat du domicile, sur le fondement du droit à la protection de la vie privée. Afin de mieux garantir le droit de propriété, qui est aussi un principe fondamental de notre République, le texte résultant des travaux de la commission crée une nouvelle infraction pour sanctionner le squat de locaux qui ne constituent pas un domicile.
Le texte tend également à rendre passibles d’une peine les locataires du parc privé qui se maintiennent sans droit ni titre dans leur logement, alors qu’ils sont sous le coup d’une décision définitive d’expulsion et qu’ils ont épuisé tous les délais accordés par le juge.
Je sais que cette dernière mesure est contestée, mais je pense qu’elle peut envoyer un signal à l’encontre de certains locataires d’une particulière mauvaise foi. Je sais pouvoir faire confiance à la justice pour l’appliquer avec discernement.
Le texte revient ensuite sur la procédure d’évacuation forcée des squatteurs, sous l’égide du préfet, prévue à l’article 38 de la loi Dalo. Cette procédure permet à celui dont le domicile est squatté de saisir le préfet afin que ce dernier mette en demeure, dans un délai de quarante-huit heures, le squatteur de quitter les lieux. Cette procédure dérogatoire, qui ne fait pas intervenir une décision de justice, a été utilisée, nous dit-on, environ 170 fois au cours de l’année écoulée.
Sur ce point, la commission a décidé de réintroduire des dispositions que nous avions adoptées il y a deux ans et qui n’avaient pas été reprises.
L’objectif est d’abord d’élargir le champ d’application de cette procédure à l’hypothèse du squat de logements qui ne constituent pas un domicile, ce qui est cohérent avec les mesures envisagées en matière pénale. Ainsi, un logement qui est squatté alors qu’il est vide entre deux locations pourra être libéré rapidement.
Il s’agit ensuite de permettre à la préfecture de solliciter l’administration fiscale afin d’établir les droits du propriétaire dont le bien est squatté lorsque l’occupation illicite empêche ce dernier d’accéder aux documents lui permettant de prouver que le bien lui appartient.
Enfin, le texte ramène de quarante-huit heures à vingt-quatre heures le délai prévu pour procéder à la mise en demeure.
Dans un autre registre, mes chers collègues, la commission a approuvé le régime dérogatoire de responsabilité civile applicable au propriétaire d’un logement occupé sans droit ni titre en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien, en prévoyant néanmoins une exception pour les marchands de sommeil. Il ne nous paraît pas normal, en effet, qu’un propriétaire qui ne peut plus accéder à son bien soit condamné en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien.
La commission s’est également prononcée en faveur de la pérennisation du dispositif expérimental, créé en 2009, de mise à disposition temporaire de locaux vacants, même si nous regrettons, messieurs les ministres, que l’évaluation que le Gouvernement devait produire n’ait jamais été réalisée.
Les auditions auxquelles Mme Dominique Estrosi Sassone et moi-même avons procédé montrent que ce dispositif joue un rôle utile : quelque 10 000 personnes – ce n’est pas rien ! – en ont bénéficié jusqu’à présent. Les auditions ont également montré que ce dispositif contribue, indirectement, à la lutte contre le squat en favorisant l’utilisation de locaux provisoirement inoccupés.
La seconde partie du texte vise à sécuriser les rapports locatifs en améliorant la procédure contentieuse.
À l’heure actuelle, le contentieux locatif est soumis à une procédure complexe, qui dure parfois des années, dont les objectifs premiers sont, dans l’intérêt du propriétaire comme du locataire, le maintien des rapports locatifs et l’apurement de la dette. L’expulsion reste, à nos yeux, la solution de dernier recours, a fortiori si le locataire en difficulté est de bonne foi.
Il s’agit d’un contentieux de masse, qui entraîne chaque année la délivrance – tenez-vous bien – de 500 000 commandements de payer et de 150 000 assignations en justice, pour 70 000 décisions d’expulsion ferme, dont 16 000 nécessitent le concours de la force publique.
La réforme contribuera, nous l’espérons, à redonner confiance aux propriétaires, qui hésitent parfois à mettre leur bien en location de peur de ne pas pouvoir le récupérer en cas d’impayés de loyers. Ce rétablissement de la confiance est indispensable, alors que des millions de nos concitoyens sont mal logés. Les locataires n’ont pas non plus intérêt à ce que les procédures judiciaires s’éternisent s’ils veulent éviter d’accumuler une dette locative qu’ils ne parviendront certainement plus à rembourser.
Dans un souci de sécurité juridique, il est d’abord proposé de généraliser les clauses résolutoires de plein droit dans les baux locatifs. En cas d’inexécution du contrat, la présence d’une clause résolutoire permettra au propriétaire de saisir rapidement le juge pour qu’il en constate la résiliation.
L’Assemblée nationale avait, par ailleurs, souhaité réduire certains délais. Elle avait subordonné certaines facultés reconnues au juge à une demande expresse du locataire, dans le but affiché de le responsabiliser.
La commission des lois a retouché ces dispositions : beaucoup de locataires connaissent mal leurs droits et ne sont pas familiers de la procédure, comme cela nous a été régulièrement répété au cours de nos auditions. Il nous a donc paru important que le juge puisse, de sa propre initiative, leur accorder un délai avant la résiliation du bail, pour qu’il puisse, d’une part, vérifier les éléments constitutifs de la dette locative, d’autre part, s’assurer de la décence du logement.
Nous avons également décidé de relever d’un mois à six semaines le délai entre le commandement de payer et l’assignation devant le tribunal, car ce délai est mis à profit pour régler à l’amiable les litiges locatifs dans plus des deux tiers des cas. Lors de l’examen d’amendements tendant à aller en sens inverse, j’expliquerai les raisons motivant ce délai de six semaines.
Sur proposition de la commission des affaires économiques, nous avons enfin introduit dans le texte un nouveau chapitre destiné, là encore, à améliorer l’accompagnement social des locataires en difficulté, notamment en renforçant les prérogatives des Ccapex, lesquelles existent dans chaque département. Il est important que ces commissions puissent travailler plus en amont si l’on veut que leurs efforts de prévention des expulsions produisent vraiment leurs effets.