Je ne ferai offense à personne en rappelant combien de parlementaires, dans cet hémicycle, attachés à un droit de propriété absolue, ont estimé, dans un passé récent, que l’absolu ne l’était finalement pas tant que ça !
Lors de l’examen du texte sur l’expropriation des biens manifestement à l’abandon, nous avons bien noté que le droit de ne rien faire de son bien resterait sacro-saint quand il s’agit de biens construits, finis et entretenus susceptibles de participer à l’hébergement des mal-logés, mais ne saurait être toléré quand une collectivité peut y voir une opportunité de développement. Il s’agit donc d’un droit absolu à géométrie variable.
La volonté de mélanger domicile, local d’habitation et local ayant d’autres destinations nous pousse sur une pente dangereuse. Elle aboutit à un texte qui n’a que faire de l’équilibre entre les propriétaires, les bailleurs et les locataires, équilibre mis en place en 1989, constamment amélioré depuis lors et protégé par tous les acteurs institutionnels et professionnels du secteur. Cet équilibre sera mis à mal, voire détruit, par ce texte.
L’autre hypocrisie des auteurs de ce texte est la tentative très maladroite et fragile constitutionnellement, d’après l’aveu même du garde des sceaux, de confondre protection de la propriété et protection du domicile.
Le domicile et la propriété sont protégés de manière différenciée. Pour tous les cas affreusement tristes et scandaleux de propriétaires ne pouvant intégrer leur domicile, c’est non pas le manque de protection dans notre droit qui est en jeu, mais une méconnaissance des mécanismes de protection, comme le rappelle le président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, dans un courrier adressé aux membres du Sénat : « Il semble la plupart du temps que les propriétaires, en particulier les plus modestes, souffrent d’un manque de moyens de la justice et d’accès aux dispositifs de prévention des expulsions plutôt que d’un droit inefficace. »
Venons-en à la criminalisation des locataires en difficulté. Elle est non seulement totalement indécente, mais aussi inutilement indécente, car elle ne peut pas apporter une solution à ce problème. Faire endosser une responsabilité pénale aux personnes en difficulté, qui n’ont pas été aidées par l’État, est d’un cynisme rare !
Les mesures d’aide sociale relatives à l’hébergement des familles en graves difficultés économiques ou de logement relèvent de la responsabilité de l’État, qui est parfois trop défaillant. Les collectivités ne peuvent se substituer à la puissance publique nationale.
Une décision récente du Conseil d’État a rappelé que la carence avérée et prolongée de l’État est caractérisée. En tant que chambre des territoires, nous savons combien les collectivités tentent, si elles le peuvent et si l’État les laisse faire, de pallier les nombreux manquements de l’État, particulièrement pour ce qui concerne les mises à l’abri.
Mais où est ce gouvernement ? Où est la politique du logement, maintes fois annoncée et toujours reportée ? Supprimée du projet de loi confortant le respect des principes de la République, dit aussi projet de loi Séparatisme, c’est l’Arlésienne du président Macron. En 2018, celui-ci avait déclaré : « Je veux que nous puissions apporter un toit toutes celles et ceux qui sont aujourd’hui sans abri. » En 2022, le ministre délégué chargé de la ville et du logement, M. Olivier Klein, a réduit cet objectif aux seuls enfants. Depuis, toujours rien, monsieur le ministre.
« Le locataire reste parce que l’État est incapable de respecter ses propres obligations en matière de droit au logement ou à l’hébergement », observe Claire Hédon, la Défenseure des droits, …