Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à féliciter les auteures du rapport d’information sur la pornographie et son industrie de leur excellent travail.
En quelques clics sur leur téléphone, les petits Marceau, Lou ou Noé peuvent aujourd’hui visionner très facilement des contenus pornographiques disponibles gratuitement en ligne, même lorsque ceux-ci mettent en scène des pratiques violentes, douloureuses, humiliantes, voire des viols. Est-ce acceptable ?
Les conséquences sur nos enfants, sur leur développement affectif, psychologique et sexuel sont alarmantes ; nous l’avons constaté.
Nos mineurs peuvent accéder à des contenus gratuits, mais pas à des sites pornographiques payants. N’est-ce pas curieux ?
En 2020, le Sénat a examiné une proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, présentée par des députés de la majorité. Rapporteur de ce texte, j’ai fait en sorte qu’il traite aussi de l’accès des mineurs aux sites pornographiques. J’ai alors mené des auditions complémentaires, afin de proposer au Sénat un dispositif à la hauteur des enjeux.
M’inspirant d’une mesure en vigueur depuis dix ans pour les jeux en ligne, j’ai déposé un amendement visant à instaurer une nouvelle procédure destinée à obliger les éditeurs des sites pornographiques à mettre en place un contrôle de l’âge de leurs clients.
Mes chers collègues, vous avez voté mon amendement à l’unanimité le 10 juin 2020. Je vous en remercie : le dispositif adopté donne des prérogatives à l’Arcom que je ne détaillerai pas ici.
Quel bilan depuis le vote de cette loi du 31 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales ? Pourquoi faut-il déployer tant d’énergie pour être entendue, alors qu’il s’agit là d’une priorité publique, d’une loi votée, de la protection de l’enfance ?
Rappel des faits : le décret d’application de la mesure introduite à la suite du vote de mon amendement n’a été publié que le 7 octobre 2021, soit quatorze mois plus tard ! Pourquoi ?
Cinq sites pornographiques parmi les plus consultés ont alors été sommés de se plier à cette loi. Les mises en demeure sont restées sans effet malgré les constats d’huissier : plus de 500 !
Le président du tribunal judiciaire de Paris a par ailleurs été saisi. En septembre 2022, la justice française a examiné la demande de blocage de ces sites et a finalement enjoint à l’Arcom de rencontrer un médiateur. Oui, vous avez bien entendu : un médiateur ; c’est du jamais vu !
De leur côté, les sites ont déposé une question prioritaire de constitutionnalité. La Cour de cassation a heureusement rejeté leur argumentaire le 5 janvier 2023. C’est une petite victoire pour nos enfants.
L’Arcom, confrontée à des sites pornographiques usant de manœuvres dilatoires pour éviter un blocage par la justice, a récemment mis fin à ce processus de médiation inutile, incompréhensible et choquant.
Le ministre Jean-Noël Barrot a annoncé tester fin mars un système de vérification de l’âge en double anonymat, qui me laisse perplexe.
Tester, mais jusqu’à quand ? Cette solution devra faire ses preuves avant d’être généralisée. Quand sera-t-elle définitivement mise en place ? En attendant, que fera la justice ? Reportera-t-elle ses décisions, et jusqu’à quand ? Pendant ce temps, nos petits Jules, Gabin et Daphné pourront continuer à visionner des contenus pornographiques gratuits.
Enfin, et pour moi, c’est le plus important, ce système déresponsabilise les sites pornographiques gratuits. Mon amendement visait pourtant à imposer aux plateformes de vérifier l’âge de leurs visiteurs, comme d’autres sites savent le faire.