Intervention de Sylvie Robert

Réunion du 1er mars 2023 à 21h45
Mixité sociale à l'école — Débat organisé à la demande du groupe socialiste écologiste et républicain

Photo de Sylvie RobertSylvie Robert :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les établissements scolaires français sont touchés par un phénomène puissant de ségrégation sociale, qualifié de « bombe à retardement pour la société française » par Nathalie Mons, ancienne présidente du Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco).

Ce constat, dressé en 2015, n’est malheureusement pas nouveau. Depuis près de vingt ans, les études successives soulignent que les indicateurs de mixité sociale à l’école ne s’améliorent pas. Pis, la dernière étude Pisa, à savoir celle de 2018, démontrait que, sous le poids des déterminismes sociaux, le système scolaire français devenait gravement inégalitaire.

Avec Israël et le Luxembourg, la France est le pays de l’OCDE où l’origine sociale des parents influence le plus le parcours scolaire. Or nous ne pouvons nous satisfaire d’une telle représentation, à moins d’estimer que le retour à une société de classes, figée, est un projet politique d’avenir.

La récente publication des indices de position sociale (IPS) des collèges et des lycées a jeté une lumière crue sur le déclin de la mixité sociale dans notre système scolaire. Ainsi, sur les 100 lycées de France présentant les IPS les plus élevés, 82 sont des établissements privés sous contrat.

Nous sommes face à une véritable saignée du secteur public, qui s’accompagne d’un double mouvement de fond.

Premièrement, l’on constate de terribles disparités au sein même du système scolaire, notamment entre, d’une part, la filière professionnelle et, de l’autre, les filières générales et technologiques ; la moyenne des IPS des lycées généraux et technologiques, public et privé confondus, s’élève à 114, 21, quand celle des lycées professionnels n’est que de 87, 5. L’écart atteint donc près de trente points.

Mes chers collègues, mesurons-nous bien ce que dévoilent ces chiffres ? Les sociologues de l’éducation ont une expression spécifique pour désigner cette dichotomie au sein du système scolaire : le « tri social ».

Deuxièmement, de très fortes inégalités territoriales sont à l’œuvre, certaines académies concentrant la plupart des établissements à faible ou fort IPS. Apparaît ainsi en filigrane l’importance des politiques de logement et d’aménagement du territoire – j’y reviendrai.

Désormais, la question qui nous est adressée en tant que décideurs politiques est la suivante : voulons-nous réellement renforcer la mixité sociale à l’école, facteur déterminant de réussite scolaire, singulièrement pour les élèves défavorisés ? Ou, à l’inverse, estimons-nous qu’il s’agit là d’un sujet mineur, voire d’une fatalité ?

Monsieur le ministre, si j’en crois vos propos, vous avez clairement opté pour la première hypothèse, et les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’en réjouissent.

En effet, nous sommes convaincus que l’absence de mixité sociale à l’école n’est ni acceptable ni soutenable. Elle n’est aucunement acceptable, car elle induit une conception séparatiste de notre société, ainsi qu’une indifférence généralisée aux inégalités qu’elle suscite. Elle n’est aucunement soutenable, car elle gangrène l’idéal cardinal d’égalité des chances, qui se trouve au fondement de notre pacte républicain.

Si l’école ne permet plus d’assurer la mobilité sociale, c’est l’ensemble de notre édifice sociétal et démocratique qui est en danger.

Pourtant, depuis l’adoption, en 2013, de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, la mixité sociale est un objectif du service public de l’éducation : ce dernier doit « veiller à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements », tout en « contribuant à l’égalité des chances » et à la lutte « contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative ».

Dès lors, comment combler l’écart entre la théorie et la pratique ou, si vous préférez, entre la loi et la réalité constatée ?

Le gouvernement socialiste, en collaboration avec les collectivités territoriales volontaires, s’est attelé à apporter une première réponse. En 2016, à la suite du plan pour la mixité sociale dans les collèges lancé par la ministre de l’éducation nationale de l’époque, dix-sept départements ont mené des expérimentations pour lutter contre la ségrégation sociale dans le secondaire.

À cet égard, le plan mis en œuvre par le département de la Haute-Garonne présente des résultats remarquables. Une conclusion incontestable peut en être tirée : la mixité sociale permet aux élèves défavorisés de mieux réussir scolairement, sans pour autant faire baisser la réussite des élèves plus favorisés. En pratique, elle établit donc un système gagnant-gagnant.

Aussi, le plan haut-garonnais témoigne que plusieurs ingrédients sont indispensables pour garantir le succès de telles initiatives.

Tout d’abord, le temps de la concertation, cher à notre collègue Émilienne Poumirol, en particulier avec les parents, est fondamental.

Ensuite, la coconstruction avec la communauté éducative fait évoluer positivement le projet et assure son acceptabilité globale.

Par ailleurs, il est impératif de disposer de moyens budgétaires, lesquels peuvent être utilisés pour des politiques publiques connexes, telles que la mobilité – je pense aux bus scolaires, par exemple.

Enfin, l’appui, y compris financier, du ministère de l’éducation nationale est primordial.

Monsieur le ministre, allez-vous par conséquent soutenir de façon plus massive ces expérimentations territoriales, qui ont des effets éducatifs et sociaux évidents ? Êtes-vous prêt à dégager des moyens substantiels pour accompagner les collectivités territoriales volontaires ?

Cette question est d’autant plus légitime que nous savons que vos chantiers sont nombreux – rémunération des professeurs, généralisation de « l’école du futur », même si je n’entends plus beaucoup cette expression…

Concrètement, de quel budget disposez-vous pour accroître la mixité sociale à l’école ? J’y insiste, car ce point est essentiel : au-delà des adaptations organisationnelles que vous proposerez, il déterminera la portée réelle de votre action. Sans ressources budgétaires adéquates, il n’est point de plan ambitieux en matière de mixité sociale !

Il y a une autre problématique que je souhaite aborder en préambule de mon intervention : la participation de l’enseignement privé sous contrat à l’objectif de mixité sociale.

Au regard de l’ampleur du phénomène de ségrégation sociale qui affecte le système scolaire, est-il encore possible de fermer les yeux et de laisser faire ? Telle est la question que je vous pose, monsieur le ministre, et que je nous pose collectivement, mes chers collègues : la liberté de recrutement du privé est-elle négociable aujourd’hui ?

J’ajouterai que, en France, sauf erreur de ma part, nulle liberté n’est absolue, si bien que, comme toute liberté, celle de recrutement peut être encadrée, dans la mesure où elle constitue un enjeu décisif pour améliorer la mixité sociale à l’école et la réussite de tous les élèves.

Ce sont l’efficacité et la crédibilité de notre politique publique éducative qui sont en jeu. En finançant les établissements privés sous contrat à hauteur de 73 %, sans contrepartie en matière de mixité sociale, l’État ne participe-t-il pas à l’éviction du public vers le privé ? L’État ne fragilise-t-il pas ses propres écoles publiques ?

Monsieur le ministre, allez-vous moduler les dotations des établissements privés sous contrat en fonction de leur action, ou plutôt de leur inaction, en matière de mixité sociale ? Du reste, êtes-vous favorable à cette conditionnalité ?

Comme vous le constatez, cette proposition ne vise nullement à punir les écoles privées, mais bien à faire en sorte qu’elles concourent à l’objectif de mixité sociale et scolaire. Plus globalement, que comprendra le protocole d’accord que vous envisagez, monsieur le ministre ?

La mixité sociale des établissements scolaires dépend des politiques de logement et d’aménagement du territoire. Aussi, avez-vous entrepris un travail interministériel avec vos collègues des ministères de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en lien avec les collectivités territoriales ? Si la réponse est positive, à quelles conclusions un tel travail pourrait-il aboutir ?

Mes chers collègues, après le combat en faveur de l’égal accès aux études, qui fut schématiquement celui du XXe siècle, celui qui est mené en faveur de l’égalité des chances est entier et probablement plus intense que dans les années 1980. Si l’école ne peut pas tout, la promesse méritocratique qui lui est attachée doit impérativement être rehaussée, ce qui implique de s’assurer que les conditions de sa réalisation pour tous soient réunies.

Passer de la partialité des chances à une réelle égalité des chances oblige le Gouvernement à un volontarisme politique très fort et affirmé, afin de briser les ghettos sociaux et scolaires, sous peine de basculer vers une société purement endogame ou de tomber dans un gouffre démocratique.

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