Madame la sénatrice Robert, avec les membres de votre groupe, vous avez souhaité inscrire à l’ordre du jour du Sénat un débat sur la mixité sociale au sein des établissements scolaires. Je vous en remercie, puisque j’ai érigé ce sujet, dès mon arrivée au ministère, en priorité de mon action.
Ce sujet nécessite la mobilisation, l’engagement et la persévérance de tous, en particulier des collectivités locales que vous représentez au sein de cette assemblée. En effet, la mixité sociale et scolaire dans les écoles et les établissements est une des conditions de la réussite de chaque élève. La diversité des parcours familiaux, la multiplicité des origines sociales, leurs mélanges et leurs interactions sont une force et non une faiblesse pour l’école.
L’école doit porter – tel est son rôle – une vision émancipatrice de son action auprès des élèves ; elle doit lutter contre les déterminismes de naissance, d’origine ou de genre. Elle doit permettre à chaque enfant d’étendre ses ambitions au-delà de ce à quoi son environnement le restreint, voire le contraint.
Malgré les efforts engagés depuis plusieurs années, la France est l’un des pays de l’OCDE où les déterminismes sociaux pèsent le plus sur la réussite scolaire des élèves. Au-delà même de la réussite scolaire, les phénomènes ségrégatifs privent la société de talents, brident les ambitions, découragent les efforts et participent aux replis identitaires.
Venons-en brièvement aux constats : la situation sociale est en partie polarisée dans les établissements publics.
À la rentrée scolaire de 2021, la proportion d’élèves issus de milieux défavorisés était en moyenne de 37, 4 % au collège. Toutefois, si nous examinons la situation en détail, on retrouve ces élèves les plus défavorisés à hauteur de 61 % dans un dixième des collèges les plus défavorisés, alors que les établissements les plus favorisés n’en accueillent que 14, 6 %. En miroir, les 23, 9 % d’enfants issus de milieux très favorisés ne sont présents qu’à hauteur de 6, 6 % dans les collèges les plus défavorisés, alors qu’ils sont près de 45 % dans quelque 10 % des établissements les plus favorisés.
La différenciation sociale est encore plus marquée entre le public et le privé. La proportion moyenne des élèves de milieux défavorisés est de 42, 6 % dans le public, mais seulement de quelque 18 % dans le privé. Et les écarts se creusent depuis le début des années 2000. L’IPS, l’indice de position sociale moyen, est de 106 dans le public hors réseaux d’éducation prioritaire (REP), alors qu’il est de 121 dans le privé sous contrat.
Ces constats implacables s’observent particulièrement au collège et concernent à la fois l’enseignement privé sous contrat et l’enseignement public, dans un contexte où l’écart entre les deux n’a cessé de s’accroître depuis plusieurs décennies.
Afin de faire de l’égalité des chances et de la réussite de tous les élèves une priorité, j’ai entamé un cycle de concertations et de consultations avec l’ensemble des acteurs concernés par le champ de la mixité sociale et scolaire : les organisations syndicales représentatives de la communauté éducative de l’enseignement public et privé sous contrat, les collectivités locales, les élus et les ministères partenaires.
Jouant un rôle essentiel, les concertations avec les collectivités locales s’inscrivent dans le cadre de l’instance de dialogue entre le ministère et les collectivités locales que j’ai souhaité instaurer en septembre 2022. Je situe résolument ce cycle de consultations et de concertations dans une démarche collective.
Il nous faudra passer des bonnes intentions à des solutions pragmatiques, compréhensibles et acceptables par tous.
Pour cela, il n’existe pas, c’est évident, de « modèle clés en main ». Les expériences menées, même les plus réussies, n’ont pas vocation à être dupliquées sans adaptation, quels que soient le territoire, ses ressources ou ses particularités. Il est de mon rôle et de mon devoir de donner une impulsion et de proposer des leviers d’actions variés. Ils existent. Je ne doute pas que les acteurs sauront s’en emparer, voire en inventer d’autres.
Le plus évident de tous ces leviers est, bien évidemment, la détermination de la sectorisation au moyen de la carte scolaire.
Peut-être, d’ailleurs, faut-il s’interroger avant même cette étape sur le rôle joué par les politiques d’habitat et sur le choix géographique d’implantation des établissements scolaires. Le département de la Haute-Garonne – vous l’avez cité, madame la sénatrice –, qui a mené un travail résolu et réussi pour créer les conditions d’une mixité scolaire, n’a par exemple pas hésité à détruire des établissements enclavés et connotés de longue date pour les reconstruire ailleurs.
Si la prise en compte de l’objectif de mixité dans l’affectation des élèves avec des secteurs multicollèges est une solution qui porte ses fruits et qui, moyennant des explications aux familles et la prise en compte des temps de trajets ou des moyens de transport, produit assez vite des effets mesurables, la fusion d’établissements, voire la création de binômes de collèges peu éloignés géographiquement, avec des configurations variées ou des jumelages d’établissements, permet également d’améliorer l’hétérogénéité sociale des élèves – nous avons identifié quelque deux cents binômes potentiels.
L’implantation d’offres de formation attractives dans les établissements défavorisés reste aussi un outil extrêmement efficace. Concernant les sections internationales, par exemple, on assiste en une année scolaire à une hausse de trois à huit points de l’IPS moyen dans les établissements où elles sont créées. Quarante-trois sections internationales nouvelles ont donc été ouvertes dans des collèges d’éducation prioritaire en 2022 ; seize autres le seront en 2023.
L’absence de mixité existe aussi en milieu rural. Il faut trouver des moyens particuliers d’action. Je pense par exemple au rapprochement d’établissements isolés avec ceux des bourgs plus importants par des projets communs ou des échanges pédagogiques.
En parallèle, parce que l’argent public finance l’enseignement privé sous contrat, il est normal d’exiger de ce dernier qu’il favorise aussi la mixité des élèves en s’engageant dans une démarche volontaire et contractualisée.
C’est d’ailleurs ce que recommande le rapport du président Laurent Lafon et du sénateur Jean-Yves Roux, rendu en 2019, sur les nouveaux territoires d’éducation. J’ai donc entamé une discussion constructive avec l’enseignement catholique pour établir un protocole d’engagements, qui, je l’espère, sera signé dans quelques semaines. Je mène aussi ce travail auprès des autres confessions, ainsi qu’avec des établissements privés laïques.
Même si, bien sûr, il existe des a priori, des préjugés, des volontés d’entre-soi et des représentations négatives et stigmatisantes contre lesquels nous devons lutter, et même s’il faut dire et redire que la mixité sociale ne fait pas baisser le niveau des élèves, il faut aussi entendre le souhait des parents d’offrir le meilleur à leurs enfants. La seule réponse, c’est de renforcer l’attractivité des établissements publics, pour permettre aux parents un choix rassurant.
J’ai conscience des enjeux et je ne nie pas les raisons qui poussent certaines familles à choisir soit de contourner la sectorisation, soit de recourir à l’enseignement privé, parfois pour certains au prix de sacrifices importants.
Comme vous l’avez compris, faire de la mixité sociale une réalité, ce n’est pas remettre en cause la liberté scolaire. Ce n’est pas non plus faire gagner un camp contre un autre ou une catégorie contre une autre. C’est au contraire permettre l’enrichissement de tous, offrir un socle commun pour tous, assurer les conditions de l’altérité et continuer à faire de la France une nation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais pouvoir compter sur le soutien de tous ceux qui veulent faire vivre en actes la belle devise de notre République.