Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme vous le savez, depuis 2020, la commission des affaires sociales a souvent réclamé que le Gouvernement dépose un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, afin que le Parlement puisse se prononcer en temps utile sur les bouleversements que cette crise a entraînés sur les comptes sociaux.
Trois années de suite, les prévisions et objectifs de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) ont été rendus caducs en cours d’exercice, aussi bien en recettes qu’en dépenses.
Pourtant, nous n’avons pas été entendus et c’est en ce début d’année 2023 que nous sommes saisis d’un « collectif social » afin de porter la réforme des retraites, alors même que les prévisions de la dernière LFSS n’ont pas été modifiées en profondeur.
Je sais que cet apparent paradoxe motive le dépôt d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, motion dont nous débattrons tout à l’heure. J’indique tout de suite qu’à mes yeux un tel véhicule législatif peut contenir de telles dispositions. La commission des affaires sociales aurait d’ailleurs mauvaise grâce à prétendre le contraire, puisque cela fait des années qu’elle propose une telle réforme lors de l’examen du PLFSS de l’automne.
Sur le fond, peu de mesures pourraient avoir un impact sur les comptes de la sécurité sociale supérieur à celui d’une réforme paramétrique des retraites.
Qu’un texte budgétaire soit le cadre dans lequel le Parlement débat de la pérennité financière de notre système de retraite ne me choque pas, au contraire.
Il n’empêche, la plupart des mesures dont nous allons discuter auront un impact financier à terme et la rectification des comptes de l’année 2023 ne sera que mineure. En effet, le Gouvernement n’a pas fait évoluer les prévisions macroéconomiques sur lesquelles il s’est appuyé cet automne. Il ne fait que tirer les conséquences, pour la seule année 2023, de la réforme des retraites proposée par le présent texte. Or celles-ci sont faibles et font apparaître une légère dégradation du solde de la branche vieillesse de 0, 4 milliard d’euros. C’est le résultat de l’augmentation des dépenses à hauteur de 600 millions d’euros, en raison notamment de la majoration des minima de pension, et, à l’inverse, d’une économie de 200 millions d’euros, grâce à la première application du relèvement des bornes d’âge à compter du 1er septembre.
Au total, le déficit consolidé des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) serait dégradé de ce montant, passant de 7, 1 milliards d’euros à 7, 5 milliards d’euros.
J’ajoute simplement que le Gouvernement a déposé à l’Assemblée nationale un amendement, qui n’a pas été examiné, visant à augmenter l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour 2023 de 750 millions d’euros. En prenant en compte ce recalibrage, la dégradation du solde pourrait donc dépasser 1 milliard d’euros par rapport à la LFSS pour 2023.
Les débats sur l’article 15, si, comme je l’espère, nous parvenons jusque-là, vous permettront, monsieur le ministre, d’expliquer pourquoi cet Ondam pour 2023 doit être revalorisé dès à présent, alors qu’en novembre le Gouvernement soutenait, contre l’avis du Sénat, qu’il était parfaitement calibré.
Bien entendu, le cadrage financier le plus important intervient à terme, puisque l’objet même de ce texte est d’organiser le retour à l’équilibre financier de notre système de retraite à l’horizon de 2030, et ce dans un contexte démographique délicat.
À titre personnel, je souscris à cet objectif, qui me semble cohérent avec les positions que notre commission et, au-delà, le Sénat ont défendues depuis longtemps. Je relève qu’au fil de ces années le message du Gouvernement a varié bien davantage, puisqu’il s’est agi, successivement, de refonder le système sans objectif financier, puis de refonder le système en l’assortissant d’un âge pivot, ensuite de le réformer de façon paramétrique afin de financer toute sorte de dépenses publiques et, enfin, comme le Sénat, de présenter une réforme paramétrique pour équilibrer le seul système de retraite.
Dès lors, il est difficile de reprocher à nos concitoyens d’avoir du mal à suivre. La pédagogie, ce mot est à la mode, naît de la répétition et non des changements de pied.
Je reviens rapidement aux chiffres.
Les projections pour l’année 2030 font apparaître un déficit du système, pris dans son ensemble, de quelque 13, 5 milliards d’euros en l’absence de réforme. Il s’agit bien d’un chiffre annuel, dont le cumul, année après année, creuserait une dette susceptible de remettre en cause la pérennité du système par répartition créé à la Libération, un système fondé sur le principe de solidarité entre générations, qui fait que chaque génération d’actifs finance par ses cotisations les retraites de ses aînés, en comptant sur le fait que les générations suivantes feront de même.
Face à ce trou de 13, 5 milliards d’euros, le relèvement de l’âge légal et l’accélération de la mise en œuvre de l’allongement de la durée de cotisation devraient rapporter 17, 7 milliards d’euros en 2030, ce qui se traduirait par un excédent théorique de 4, 2 milliards d’euros à cette échéance.
Néanmoins, le présent PLFRSS contient diverses mesures dites d’accompagnement pour un total de 5, 9 milliards d’euros. Le « trou » de 1, 7 milliard qui en résulte a été comblé dans le projet initial par deux mesures, d’ailleurs d’ordre réglementaire : d’une part, l’augmentation de 0, 12 point des cotisations patronales vieillesse, qui sera compensée par la baisse à due concurrence des cotisations AT-MP ; d’autre part, l’augmentation de 1 point des cotisations patronales de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).
C’est donc d’un projet tout juste à l’équilibre en 2030, par ailleurs fondé sur des hypothèses qu’il est permis de juger optimistes, que l’Assemblée nationale a été saisie le 23 janvier dernier.
Comme vous le savez, les débats n’ont pas permis aux députés d’aller au-delà de l’examen de l’article 2 ter, et seule une mesure adoptée par l’Assemblée nationale aura un impact financier significatif : l’harmonisation à 30 % du taux de la contribution assise sur les indemnités de mise à la retraite d’un salarié sur l’initiative de l’employeur et de celles qui sont versées à l’occasion d’une rupture conventionnelle, prévue à l’article 2 bis. Le rendement de cette mesure en 2030 est estimé à 300 millions d’euros.
Cependant, nous le savons aussi, le Gouvernement a déposé des amendements à l’Assemblée nationale, qui n’ont pas pu être examinés, mais qui auraient eu un coût de l’ordre de 850 millions d’euros s’ils avaient été adoptés.
Mes chers collègues, cette présentation quelque peu aride vise à montrer que le Sénat disposera de fort peu de latitude, en recettes comme en dépenses, pour imposer ses propres marqueurs et adopter des mesures généreuses. Les quelques marges de manœuvre existantes ont déjà été utilisées et il ne serait pas responsable de notre part de voter une réforme ne rétablissant pas véritablement la trajectoire budgétaire de notre système de retraite, alors que le pays est déjà en émoi.