Mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour clore notre cycle d'auditions sur la gestion de l'eau dans un contexte de changement climatique, après plusieurs tables rondes consacrées aux multiples défis et enjeux qui pèsent sur la gestion durable et équitable d'une ressource dont nous savons désormais qu'elle se raréfiera inexorablement dans les années et les décennies à venir.
Au terme des quatre auditions plénières consacrées à la ressource en eau, je formule le voeu que les échanges aient permis à chacun d'entre vous d'être « comme un poisson dans l'eau » quand il s'agit d'envisager les enjeux hydriques. Notre cycle au long cours engagé toutes ces semaines a démontré qu'il n'était pas exagéré de considérer l'eau, dans tous ses aspects, comme l'un des défis du XXIe siècle.
La sécheresse inédite de l'été dernier a mis en évidence les fragilités hydriques des territoires et le manque de robustesse de certains réseaux de distribution d'eau. Cette crise a heureusement pu être surmontée grâce à l'implication des acteurs de l'eau, de l'État et des élus locaux, mais nous devons y voir un indicateur de la fin de l'abondance aquatique dans notre pays. La raréfaction de la ressource en eau ouvre une nouvelle ère qui nous impose de changer de paradigme pour la gestion de l'eau.
Nous devons, sans plus attendre, préparer le futur hydrique de la France à l'aide de nouveaux instruments, réglementaires, administratifs et surtout financiers, et en simplifiant ce qui est inutilement complexe.
Les conflits d'usages ne sont plus l'apanage des pays aux climats désertiques ou semi-arides. Les sécheresses estivales récurrentes sont la preuve que l'eau peut devenir source de conflits, à travers les tensions hydriques entre différents usages aussi vitaux les uns que les autres : la souveraineté alimentaire, la résilience et l'autonomie de notre mix énergétique à travers la production d'hydroélectricité et le refroidissement des centrales nucléaires, le développement du fret fluvial, que la commission appelle de ses voeux pour favoriser le report vers des modes de transport moins intenses en carbone, ou le nécessaire maintien de la biodiversité aquatique et des trames bleues, pour ne citer que les usages les plus intuitifs de l'eau.
Face à cette crise révélatrice des fragilités hydriques de nos territoires, une prise de conscience commence à s'opérer. Les acteurs de l'eau, publics et privés, y ont vu une mise en garde, douloureuse mais salutaire, dans la mesure où elle contribue à faire figurer à l'agenda politique les enjeux de résilience hydrique au niveau national, mais également à l'échelle locale.
Après les assises de l'eau, le Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique et la séquence de planification écologique consacrée à l'eau, les constats sont clairs : il n'est plus envisageable de continuer comme avant. La sobriété devient indispensable, la réutilisation des eaux usées traitées doit être encouragée et il faut organiser le partage de l'eau de façon claire et lisible. En somme, la politique de gestion de l'eau doit gagner en agilité et en adaptabilité.
Mais prise de conscience ne signifie pas connaissance : si nous entrevoyons les enjeux de la raréfaction de la ressource en eau, ils ne nous apparaissent pas encore « clairs comme de l'eau de roche ». La question mérite en effet d'être explorée sous l'angle des défis concrets et des incidences sur les pratiques et les usages.
D'ailleurs, la commission avait envisagé de lancer une mission d'information au « format flash » consacrée au petit cycle de l'eau, avec pour points d'attention l'état et la performance des réseaux ainsi que la qualité de traitement des eaux usées avant rejet dans le milieu naturel.
Entre-temps, le groupe socialiste, écologiste et républicain a souhaité exercer son droit de tirage sur ce thème central et demandé la création d'une mission d'information consacrée à la « gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement », qui sera présidée, ce dont je me félicite puisqu'il s'agit de membres de la commission, par notre collègue Rémy Pointereau et dont le rapporteur est Hervé Gillé, que je salue.
Il m'a donc paru opportun de laisser cette mission mener à bien ses travaux et d'attendre les conclusions et les recommandations qu'elle versera au débat public, afin de ne pas multiplier les instances travaillant sur des sujets similaires, conformément aux recommandations du groupe de travail sur la modernisation de nos méthodes de travail, présidé par notre collègue Pascale Gruny. À l'issue des travaux qui vont s'engager, il nous sera loisible, au besoin, d'approfondir le sujet si la mission commune d'information fait le choix de ne pas l'aborder.
Mais revenons à l'objet de notre table ronde d'aujourd'hui. Pour aborder ces questions, nous avons le plaisir d'accueillir :
- Frédéric Veau, délégué interministériel chargé du suivi des conclusions du Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique ;
- Maximilien Pellegrini, président de la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau (FP2E) ;
- Vazken Andréassian, directeur de l'unité hydrosystèmes continentaux anthropisés (INRAE) ;
- et Bruno Chergé, directeur relations institutionnelles, régulations et coordination de l'eau (EDF Hydro).
J'invite chaque intervenant, au cours de son bref propos liminaire afin de laisser du temps aux échanges, à présenter les défis concrets que pose la raréfaction de la ressource hydrique au regard de sa position institutionnelle ou scientifique. Grâce à la diversité des intervenants, les angles d'approche concernent aussi bien les enjeux agricoles et de souveraineté alimentaire, que les questions que devront résoudre les gestionnaires du petit cycle de l'eau, les implications concrètes de la raréfaction et de la saisonnalité plus marquée de la ressource pour la production électrique, et enfin les défis tels qu'entrevus par un scientifique spécialiste de la modélisation mathématique du comportement des bassins versants, grâce à laquelle peuvent être produites des connaissances en matière de prévision des crues, d'étiages, d'évaluation des impacts du changement d'occupation des sols et du climat. C'est dire la richesse des points de vue.