Intervention de Bruno de Chergé

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 15 février 2023 à 10h00
Défis posés par la raréfaction de la ressource en eau — Audition de Mm. Frédéric Veau préfet délégué interministériel en charge du suivi du varenne agricole de l'eau » et de l'adaptation au changement climatique ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire maximilien pellegrini président de la fédération professionnelle des entreprises de l'eau fp2e vazken andréassian directeur de l'unité hydrosystèmes continentaux anthropisés inrae et bruno de chergé directeur relations institutionnelles régulations et coordination de l'eau edf hydro

Bruno de Chergé, directeur relations institutionnelles, régulations et coordination de l'eau d'EDF Hydro :

Nous avons eu l'occasion d'échanger sur les enjeux de l'eau et du changement climatique lors du rapport produit par la délégation sénatoriale à la prospective. Des sénateurs membres de cette délégation ont visité un aménagement hydroélectrique, ce qui permet de comprendre ce qui se passe sur nos territoires.

EDF Hydro est l'entité qui gère les aménagements hydroélectriques en France métropolitaine. L'hydroélectricité, on l'oublie trop souvent, est la première des énergies renouvelables (EnR). C'est une énergie souveraine, flexible, stockable : elle coche donc beaucoup de cases. Il s'agit sans conteste d'une énergie fort ancienne, mais elle a encore de très beaux atouts dans le cadre de la transition énergétique que la France est en train de mener.

Par ailleurs, elle s'inscrit dans le temps long de la vie des territoires et contribue à leur dynamisme, avec l'emploi, la fiscalité, le multi-usage de l'eau.

Fort heureusement, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, vous avez contribué à l'y introduire. Soyez-en remerciés. Nous comptons sur vous, durant cette année 2023, pour promouvoir son déploiement dans les différents véhicules législatifs que vous aurez à examiner.

L'autre spécificité de la production hydroélectrique est qu'elle touche à l'eau, qui constitue aussi un bien commun essentiel. Nous sommes, en tant qu'hydroélectriciens, à la croisée de ces deux biens communs que sont l'énergie et l'eau.

EDF Hydro gère ainsi, pour le compte de la collectivité, quelques milliards de m3 d'eau de surface stockée dans les barrages et les retenues en France métropolitaine. Cette eau sert principalement à la production hydroélectrique, notamment pour adapter le système électrique aux variations de consommation journalières, mais aussi aux pointes en hiver.

Cette eau sert également à d'autres usages comme l'irrigation, l'eau potable, le tourisme, la navigation ou la préservation de la biodiversité ; nous sommes donc à la croisée d'un certain nombre de chemins. Elle contribue enfin au refroidissement des centrales, comme cela a été indiqué.

Deux tiers de nos concessions hydroélectriques permettent déjà d'autres usages que la production d'hydroélectricité. EDF veille en permanence à assurer la gestion des aménagements hydroélectriques en concertation avec les accords locaux de l'eau. Elle participe aux instances de gouvernance et de gestion nationale et locale de l'eau. Elle a su montrer cet été son sens du service public et de l'intérêt général puisque, sur la Durance, nous avons arrêté de produire de l'électricité dès la fin du mois de février pour accélérer le remplissage du lac de Serre-Ponçon et permettre les usages vitaux pour l'été, comme l'agriculture.

L'hydroélectricité ne consomme pas d'eau, il est important de le garder en tête. On la retient quand elle est abondante et on la relâche en cas de besoin. Elle participe donc à l'atténuation des effets du changement climatique.

Durant l'été, qui a été difficile, le rôle d'EDF a été salué dans l'accompagnement de l'État et des collectivités locales. C'est sans doute une chance pour la France de bénéficier d'un acteur hydroélectrique au service de la gestion de l'eau sur les territoires de montagne.

EDF a accumulé une expérience de gestion de l'eau qui peut servir dans les temps compliqués vers lesquels nous nous dirigeons collectivement. Il faut néanmoins intégrer les différentes temporalités de la gestion de l'eau et les différents niveaux de décision et d'enjeux.

Du point de vue énergétique, le stockage derrière le mur des barrages vise à conserver l'eau pour produire de l'électricité principalement l'hiver. Du point de vue des autres usages, cette eau doit être relâchée pour le multi-usage plutôt l'été, même s'il ne faut pas négliger les équilibres entre l'offre et la demande qui peuvent survenir l'été. Durant cet été 2022, il a fallu faire face plusieurs fois à la nécessité de produire de l'hydroélectricité pour apporter de la puissance au système, notamment début juillet.

Nous devons aussi répondre à des enjeux de sécurité du système électrique à la maille nationale, voire régionale et, en même temps, répondre à des enjeux de multi-usage de l'eau au niveau local.

Concilier ces deux dimensions dans des contextes temporels et spatiaux aussi différents n'est pas chose aisée. Nous avons, depuis des années, adapté notre gestion pour y faire face. Nous relâchons des centaines de millions de m3 chaque année pour d'autres usages, tout en assurant les besoins de flexibilité du système électrique. La mobilisation des réservoirs hydrauliques est déjà largement activée. Deux tiers des concessions ont déjà d'autres usages de l'eau que la production d'énergie.

Dans beaucoup d'endroits, le fait que les barrages servent à d'autres usages a ainsi masqué le besoin d'adaptation au changement climatique des bénéficiaires. Nous avons connu, durant l'été 2022, une sécheresse exceptionnelle qui nous a conduits à déstocker plus que la normale - 800 millions de m3, soit 60 % de plus que la moyenne 2015-2021, plusieurs retenues ayant été totalement vidées, à la limite de la vidange - et, en même temps, à gérer un risque pour l'hiver qui risquait d'être très tendu, ce qui sera de nouveau le cas en 2023. Ceci nous a amenés à constituer des réserves d'eau suffisantes pour anticiper l'hiver et les pointes de consommation.

Dernièrement, les limites physiques de ce genre d'exercice sont apparues. Les éventuelles mobilisations supplémentaires des retenues hydroélectriques ne sont pas une solution miracle, d'une part parce que les installations ne sont pas toujours géographiquement localisées où se trouvent les besoins en eau, d'autre part parce que les volumes seraient insuffisants pour couvrir l'ensemble des besoins, accrus sous l'effet du changement climatique.

Il ne saurait être question de sacrifier l'une des dimensions eau ou énergie de l'eau au bénéfice de l'autre. Notre défi collectif est de mener à bien, de front, la transition énergétique et la gestion durable de la ressource en eau.

Au-delà de la contribution des réservoirs en régime normal et des nouvelles solutions face aux besoins en eau, qu'elles soient fondées sur la sobriété des usages ou reposent sur la constitution de nouvelles capacités de stockage, il est nécessaire de continuer à développer l'hydroélectricité, notamment parce que le besoin de flexibilité du système électrique s'accroîtra.

Nous considérons qu'il existe encore en France et dans les outre-mer un gisement de développement potentiel pour l'hydroélectricité, que ce soit dans un cadre énergétique ou multi-usage équilibré, comme nos prédécesseurs ont su le faire sur la Durance où, au titre du multi-usage de l'eau, un bel ensemble a pu voir le jour.

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