Je suis hydrologue et toujours un peu gêné par le terme de « ressource en eau » : malgré son apparente simplicité, la question est assez complexe et parfois mal posée.
Vous avez évoqué deux chiffres, l'agriculture représentant 9 % des prélèvements et 45 % de la consommation. En fait, il ne s'agit pas de pourcentages calculés sur une ressource mal définie, mais sur la totalité des écoulements de la France, qui ne peut constituer une « ressource » au sens anthropique. La ressource, c'est ce que nous, les hommes, pouvons utiliser. Le fait de qualifier la ressource de naturelle ne change rien à la situation.
La question se complexifie en parlant de ressources souterraines et de ressources de surface. Les ressources souterraines constituent à la fois un stock et un flux, les ressources de surface essentiellement un flux. Les ressources souterraines et les ressources de surface ne sont pas indépendantes. Si l'on excepte les ressources souterraines qui alimentent directement les océans, que je pense négligeables, les ressources souterraines sont également en été des ressources de surface. Il n'a pas plu en juillet et pourtant, dans beaucoup de rivières, il y avait de l'eau, même s'il y en avait peu. L'eau souterraine réapparaissait, drainée par les rivières.
Qualifier l'ensemble des écoulements de ressource entraîne une surestimation de la ressource mobilisable. Lors d'une crue cévenole très intense, une quantité faramineuse d'eau passe dans les ruisseaux et les rivières sans pouvoir être stockée. Nous ne disposons pas des moyens pour cela et ne sommes pas en mesure d'utiliser de telles quantités.
Enfin, le terme de ressource renvoie à la notion d'utilisation. L'eau est utilisable de nombreuses façons quand on la prélève, mais aussi quand on la laisse là où elle est ; c'est le cas par exemple de la navigation.
En tant qu'êtres humains, nous avons la possibilité de mobiliser une plus grande part de l'écoulement naturel en développant des stockages. On le fait depuis toujours, comme dans le bassin de la Seine, qui constitue une bonne illustration des stockages réalisés.
Les grands lacs de Seine permettent de réalimenter la Seine tout l'été. Nous n'avons pas eu de problème de production d'eau ni de navigation sur la Seine parce que près de 60 % de l'écoulement provient en réalité d'un écoulement qui avait été stocké pendant l'hiver et qui était livré à la rivière.
Certains noteront que je n'ai pas parlé d'écologie. C'est parce que je suis gêné par le terme de « ressource », qui me semble peu adapté, mais il va de soi que, lorsqu'on mobilise les écoulements naturels, il est essentiel d'en laisser une part non négligeable aux écosystèmes aquatiques, qui constituent une source très importante de biodiversité à laquelle les Français sont, je pense, très attachés.