Intervention de Arnaud de Belenet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 1er février 2023 à 8h30
Proposition de résolution européenne sur l'avenir de l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes frontex — Examen du rapport et du texte de la commission sur le texte de la commission des affaires européennes

Photo de Arnaud de BelenetArnaud de Belenet, rapporteur :

Jean-François Rapin et François-Noël Buffet ont présenté leur initiative à la commission des affaires européennes et à la commission des lois le 14 décembre dernier. À l'issue de cette réunion, la commission des affaires européennes a adopté la PPRE qui nous réunit ce matin. Celle-ci aurait pu être adoptée de manière tacite, mais elle a fait l'objet d'une demande d'examen en séance publique par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et par le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires. Compte tenu de son objet, cette proposition de résolution nous a donc été renvoyée afin que nous adoptions un texte dans la perspective de la séance.

Je rappelle que nous sommes à un moment charnière pour Frontex, puisque cette institution traverse aujourd'hui une crise sans précédent, qui est à la fois une crise de croissance et une crise de confiance.

La crise de croissance de Frontex est liée à l'augmentation de ses moyens, elle-même consécutive à l'élargissement de son mandat. Depuis sa création en 2004, celle-ci est progressivement devenue l'agence la plus puissante de l'Union européenne. Cela est directement lié aux évènements de 2015, où l'on a pu constater un certain échec de la gestion de la crise migratoire. En réaction, le législateur européen a alors décidé de réviser le mandat de Frontex, d'étendre encore son champ d'intervention et de la doter d'une capacité opérationnelle propre. Deux règlements adoptés en 2016 et 2019 permettent ainsi à Frontex de se déployer sur le terrain non plus uniquement en réaction à un évènement donné, mais également sur le long terme. L'agence peut également intervenir aujourd'hui sur le sol de pays tiers ayant passé un accord avec l'Union européenne. En conséquence, Frontex a vu son budget augmenter considérablement : il atteint environ 850 millions d'euros en 2023.

Surtout, le législateur européen a décidé de doter Frontex d'un contingent permanent de garde-frontières, dont le nombre devrait atteindre 10 000 personnels en 2027. C'est là une grande première, puisque jamais une agence européenne n'a disposé de telles prérogatives de puissance publique, et encore moins d'agents vêtus d'uniforme à ses couleurs.

Mais ce changement de dimension ne s'est pas fait sans difficulté ; de même que l'adaptation de son organisation et la montée en puissance de ses moyens matériels et humains qu'il implique.

Ces problèmes pratiques n'ont fait que renforcer la crise de confiance née de la suspicion de refoulement des migrants dans la mer Égée. Vous vous en rappelez, cette crise a atteint son apogée avec la démission du directeur exécutif de l'agence Fabrice Leggeri en avril 2022. Frontex a par la suite fait l'objet de plusieurs contrôles, qui ont conclu qu'il n'était pas possible d'affirmer qu'elle avait a participé directement à des opérations de refoulements. On peut en revanche considérer que sa direction a échoué dans sa gestion managériale et que ses dispositifs de traitement des incidents n'étaient pas adaptés en l'espèce.

De plus, il existe aujourd'hui un débat au sein des institutions européennes sur les priorités de Frontex. Deux visions s'affrontent : l'une centrée sur la protection des droits fondamentaux, l'autre sur l'obtention de résultats plus probants en matière de lutte contre l'immigration irrégulière.

J'en viens au corps de la proposition de résolution européenne présentée par nos deux présidents. Elle vise trois objectifs.

Le premier est politique : adopter une position sur le sens à donner au mandat de Frontex et formuler des pistes de sortie de crise. D'après les auteurs de la PPRE, le débat sur les priorités de l'agence est en grande partie artificiel ; je partage leur avis. Le contrôle des frontières et le respect absolu des droits fondamentaux vont évidemment de pair.

Le deuxième objectif était diplomatique : il s'agissait de peser sur la future nomination du directeur exécutif. Ce dernier ayant été nommé depuis, il convient de conserver l'esprit de la proposition sur ses objectifs prioritaires, mais d'en amender le texte pour tenir compte de cette nomination.

Le troisième objectif est juridique : il s'agit de se positionner sur l'opportunité de réviser le mandat de Frontex. Nos deux présidents ont formellement exclu cette révision afin que l'agence ait le temps d'absorber l'élargissement de son mandat. Là encore, je ne peux qu'être parfaitement aligné avec leur position.

Avant de conclure, je souhaite mettre en exergue trois points saillants.

Premièrement, la proposition marque un soutien fort à l'agence Frontex et au développement de ses prérogatives. Cela est nécessaire du fait de la pression migratoire aux frontières extérieures de l'Union, qui a rarement été aussi forte. En 2022, 330 000 franchissements irréguliers ont été constatés, soit une hausse de 64 % - cette augmentation a même atteint 150 % sur la route des Balkans. Par ailleurs, la France s'appuie sur Frontex pour la mise en oeuvre de sa politique migratoire et bénéficie aujourd'hui de ses interventions dans cinq aéroports et à la frontière avec le Royaume-Uni.

Il est également important de rappeler que la mission de Frontex n'est jamais de surveiller un État partenaire : l'intervention de l'agence se fait toujours sous l'autorité de cet État et à sa demande.

Le deuxième point qu'il me semble important de mettre en avant est le renforcement du pilotage politique de Frontex. Il convient de rehausser assez rapidement le rôle de son conseil d'administration et le rang hiérarchique de ses membres. La France est au rendez-vous de cette exigence qualitative - ce n'est pas forcément le cas de tous nos partenaires. Organiser des réunions du Conseil de l'Union européenne spécifiquement dédiées au pilotage de Frontex irait également dans le bon sens.

Le troisième et dernier point a trait au dispositif de protection des droits fondamentaux. Frontex a besoin d'un officier aux droits fondamentaux indépendant. Frontex y a même intérêt ! Mais il convient évidemment d'organiser les choses de façon à ce qu'il n'y ait pas de risque de doublon, à ce que l'on ne crée pas deux chaînes hiérarchiques concurrentes. Aujourd'hui, il semble que les personnes en poste soient attentives à ce que ce risque ne se matérialise pas.

Je vous proposerai enfin d'adopter un amendement de précision s'agissant de l'officier aux droits fondamentaux, pour que son profil corresponde davantage à son rôle de direction, avec une moindre exigence en matière d'expérience opérationnelle de garde-frontière que pour les contrôleurs eux-mêmes.

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