Intervention de Marie Mercier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 8 mars 2023 à 10h00
Proposition de loi adoptée par l'assemblée nationale visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Marie MercierMarie Mercier, rapporteur :

La proposition de loi que nous examinons a été déposée par la députée Isabelle Santiago et les membres du groupe Socialistes et apparentés. Elle a été adoptée à l'unanimité, le 9 février dernier, par l'Assemblée nationale, ce qui traduit l'attachement de tous les députés, quelle que soit leur appartenance politique, à améliorer la situation des enfants victimes de violences intrafamiliales.

Le texte proposé entend intervenir ponctuellement sur deux mécanismes : la suspension provisoire de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale, créée par la loi du 28 décembre 2019, et le retrait de l'autorité parentale par les juridictions pénales.

Je me réjouis que le Gouvernement n'ait pas engagé la procédure accélérée, ce qui nous permettra de travailler sur un temps long. Je vous rappelle à ce sujet la recommandation de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes formulée en 2020, dans le cadre de son rapport d'information consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants au sein de la famille pendant le confinement : elle mettait en garde contre les trop nombreuses interventions législatives et appelait de ses voeux une loi-cadre abordant les violences dans toutes leurs dimensions. Avec raison, elle relevait que, bien souvent en la matière, les nouveaux textes étaient destinés à corriger des imperfections juridiques que des débats parlementaires trop brefs n'avaient pas permis d'anticiper.

La question de l'autorité parentale et de l'exercice de l'autorité parentale est éminemment complexe, et je voudrais que nous nous attachions à clarifier et à améliorer les deux dispositifs dont nous sommes saisis, sans trop nous disperser.

Si nous arrivons à rendre plus lisibles et, surtout, plus opérantes ces dispositions pour les professionnels qui doivent s'en saisir, alors ce serait déjà un grand progrès en faveur de la protection des enfants.

La loi du 28 décembre 2019 a introduit une distinction entre le retrait de l'autorité parentale et celui de l'exercice de cette autorité, afin d'offrir aux juridictions pénales un choix plus large de mesures et de les inciter à prononcer ces mesures de nature civile au moment de la condamnation.

Le retrait de l'autorité parentale prive un parent de l'ensemble de ses attributs, y compris les plus symboliques comme le droit de consentir au mariage ou à l'adoption de son enfant ; c'est donc la titularité qui est remise en cause.

Le retrait de l'exercice de l'autorité parentale revient à confier exclusivement à l'autre parent le devoir de protéger l'enfant dans sa sécurité, sa moralité et sa santé, de fixer sa résidence et de conduire son éducation. Le parent privé de l'exercice de l'autorité parentale en reste cependant titulaire. À ce titre, il conserve le droit d'entretenir des relations personnelles avec l'enfant via les droits de visite et d'hébergement, qui lui sont accordés sauf « motifs graves » appréciés par le juge aux affaires familiales (JAF). Il conserve aussi un droit de surveillance, qui oblige l'autre parent à le tenir informé de tous les choix importants relatifs à la vie de l'enfant.

La loi précitée a également introduit un mécanisme de suspension provisoire de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement en cas de poursuite ou de condamnation, même non définitive, pour un crime commis sur l'autre parent. Il s'agissait principalement de régler les cas où le parent survivant était le meurtrier de l'autre parent afin d'éviter qu'il n'exerce l'autorité parentale.

La proposition de loi vise à modifier ces deux mécanismes afin de les étendre à d'autres cas de mise en danger grave de l'enfant.

L'article 1er prévoit tout d'abord d'étendre la suspension provisoire de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement aux cas de poursuites ou de condamnation pour un crime ou une agression sexuelle incestueuse commis sur l'enfant. Cette suspension courrait jusqu'à la décision du JAF, éventuellement saisi par le parent poursuivi, ou jusqu'à la décision de non-lieu ou la décision de la juridiction de jugement.

Cet article met également en place un régime distinct en cas de condamnation pour des violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de plus de 8 jours sur l'autre parent. Il prévoit dans ce cas une suspension provisoire de l'autorité parentale jusqu'à la décision du JAF, qui devrait être saisi par l'un des parents dans les six mois à compter de la décision pénale, mais seulement lorsque l'enfant a assisté aux faits.

Si je partage sans réserve l'objectif poursuivi d'une meilleure protection de l'enfant, je souhaiterais tout d'abord que nous en restions à la position que la commission avait adoptée en 2020, c'est-à-dire accepter une suspension de plein droit, mais uniquement pour six mois et d'exiger une intervention du juge pour la suite. Il semble en effet disproportionné au regard de la présomption d'innocence et du droit de chacun de mener une vie familiale normale de permettre une suspension automatique tout le temps de la procédure pénale, qui peut durer plusieurs années, et sans intervention obligatoire d'un juge, seul à même d'apprécier l'intérêt de l'enfant. Cette durée maximale de six mois est celle qui est actuellement prévue en cas de crime sur l'autre parent. Nous ne savons d'ailleurs pas comment cette mesure est appliquée, car très peu de cas ont été recensés. Les magistrats du tribunal judiciaire de Lille que nous avons auditionnés ont évoqué trois ou quatre dossiers depuis deux ans.

Par ailleurs, il me semble que le dispositif proposé en cas de condamnation pour violences volontaires ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours n'est pas cohérent à cause de la condition liée à la présence de l'enfant et de l'exclusion des violences volontaires sur l'enfant lui-même. Enfin, je rappelle que les juridictions doivent d'ores et déjà se prononcer sur l'autorité parentale en cas de condamnation pour cette infraction. Prévoir une suspension automatique en cas de condamnation n'a donc pas beaucoup d'intérêt pratique.

Je souligne à ce sujet que les pratiques judiciaires changent. Les magistrats sont de plus en plus sensibilisés à l'importance des mesures relatives à l'autorité parentale, et le nombre de mesures prononcées augmente selon les chiffres transmis par la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice.

Compte tenu de cette analyse, je vous proposerai un amendement visant à revenir au régime actuel, tout en l'étendant aux infractions de crimes et agressions sexuelles incestueuses sur l'enfant, comme le souhaite la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Le JAF serait ainsi tenu d'intervenir au bout de six mois pour apprécier la suspension du retrait de l'autorité parentale au regard de l'intérêt de l'enfant et de l'évolution de la procédure pénale.

L'article 2 prévoit ensuite de rendre plus « automatique », sans toutefois l'imposer au juge pénal, le retrait de l'autorité parentale ou de son exercice en cas de condamnation pour un crime ou une agression sexuelle commise sur l'enfant ou pour un crime commis sur l'autre parent.

Cette disposition a le mérite d'inciter plus fortement les juges à prononcer un retrait d'autorité parentale en cas d'infraction grave contre l'enfant ou l'autre parent, sans toutefois les priver de leur liberté de moduler leur décision au regard de l'intérêt de l'enfant, à charge pour eux de la motiver spécialement.

Je vous proposerai de revoir la rédaction de cette disposition afin de rendre le dispositif plus intelligible, et donc d'en favoriser son application par les juridictions pénales. L'amendement que je vous soumettrai aurait également le mérite de bien poser le principe du retrait total de l'autorité parentale en cas de condamnation pour un crime ou une agression sexuelle commise sur l'enfant ou pour un crime commis sur l'autre parent et d'obliger les juridictions à se prononcer dans tous les cas de condamnation d'un parent pour crime ou délit commis sur son enfant ou pour crime commis sur l'autre parent.

Dans le prolongement de cette mesure et des dispositions existantes, je vous proposerai d'adopter un nouvel article afin d'instituer un « répit » pour l'enfant en cas de retrait de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement. Celui-ci prévoit qu'aucune demande au juge aux affaires familiales ne puisse être présentée par le parent moins de six mois après le jugement. Une disposition similaire existe en cas de retrait de l'autorité parentale.

L'article 2 bis vise à ajouter un nouveau cas de délégation forcée de l'exercice de l'autorité parentale à un tiers en cas de poursuite, de mise en examen ou de condamnation pour un crime ou une agression sexuelle incestueuse commis sur l'enfant par un parent qui est seul titulaire de l'exercice de l'autorité parentale. J'y suis favorable, sous réserve d'un amendement rédactionnel.

L'article 3 procède à diverses modifications dans le code pénal, à des fins de coordination avec l'article 2. Cet article me semble l'occasion de mettre fin au décalage qui existe entre le code civil et le code pénal en matière de retrait de l'autorité parentale. Actuellement, le code pénal ne prévoit pas que les juridictions de jugement aient à se prononcer sur l'autorité parentale à chaque fois qu'elles entrent en voie de condamnation contre un parent pour un crime ou délit commis sur son enfant ou un crime commis sur l'autre parent. Cette obligation repose sur des dispositions spéciales prévues pour certaines infractions uniquement. Je vous proposerai donc d'adopter une disposition générale dans le code pénal visant à remédier à cette incohérence et à procéder à une meilleure coordination avec les dispositions du code civil.

Enfin, l'article 4 concerne une demande de rapport au Gouvernement sur le repérage, la prise en charge et le suivi psychologique des enfants exposés aux violences conjugales et sur les modalités d'accompagnement parental. Je vous proposerai de le supprimer non seulement du fait de la position constante de la commission sur les demandes de rapport, mais également en raison de son absence de lien avec les dispositions initiales du texte au titre de l'article 45 de la Constitution.

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