Intervention de Valérie Boyer

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 8 mars 2023 à 10h00
Proposition de loi organique visant à permettre à saint-barthélemy de participer à l'exercice des compétences de l'état — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Valérie BoyerValérie Boyer, rapporteure :

Ce texte entend répondre à un problème réel, qui mérite toute notre attention : les difficultés que rencontrent au quotidien nos compatriotes de Saint-Barthélemy pour accéder à une offre de soins complète et adaptée à l'insularité du territoire.

Le problème est pourtant connu de longue date. L'île de Saint-Barthélemy, située à 25 kilomètres au sud-est de Saint-Martin, à 230 kilomètres au nord-ouest de la Guadeloupe « continentale » et à 6 500 kilomètres de Paris, est très dépendante des territoires voisins de Saint-Martin et de la Guadeloupe pour la prise en charge des cas graves ou complexes. Ainsi, environ 200 évacuations sanitaires sont organisées chaque année.

Les élus locaux et particulièrement les sénateurs de Saint-Barthélemy - notre ancien collègue Michel Magras et aujourd'hui Micheline Jacques - ont régulièrement alerté quant au manque d'adaptation des règles nationales aux réalités locales et à la dégradation de l'offre de soins, préjudiciable aux habitants de l'île.

Lors des auditions que j'ai menées avec Alain Milon, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, nous avons constaté que les difficultés rencontrées par les habitants et les personnels soignants persistaient aujourd'hui encore et qu'elles étaient de quatre ordres.

En premier lieu, certaines prestations et actes, comme le dépôt de sang, ne sont pas réalisés sur l'île alors qu'ils sont indispensables au travail quotidien d'un hôpital.

En deuxième lieu, les services de soins font face à des difficultés techniques et opérationnelles, qui nuisent à la prise en charge optimale des assurés de Saint-Barthélemy. Ainsi, faute d'éclairage des pistes des aérodromes de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, les évacuations sanitaires ne peuvent avoir lieu la nuit, ce qui entraine des pertes de chances pour les patients.

En troisième lieu, des obstacles réglementaires empêchent la pleine adaptation de l'offre de soins au territoire, malgré les demandes exprimées de façon répétée par les élus et les acteurs locaux de la santé. Ainsi, en application d'une disposition réglementaire nationale, la pharmacie de l'hôpital Irénée de Bruyn ne peut être gérée que par un pharmacien disposant de la qualification spécifique de pharmacien hospitalier. Toutefois, compte tenu de la raréfaction de ces praticiens et de l'existence d'officines pharmaceutiques sur l'île, le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) souhaiterait déroger à cette règle afin de faciliter le recrutement d'un pharmacien d'officine. Faute d'une telle possibilité, l'activité de la pharmacie hospitalière est aujourd'hui menacée.

En dernier lieu, les services de soins peinent à fidéliser les praticiens hospitaliers, l'attractivité du territoire étant grevée par des contraintes d'exercice et le coût exorbitant des logements. La direction de la sécurité sociale (DSS) le reconnait en ces termes : « l'hôpital de Saint-Barthélemy dispose du personnel dont il a besoin, mais au prix du recrutement de contractuels, qui ne s'investissent pas à très long terme et ne participent de fait pas au projet médical du territoire ».

La présente proposition de loi apporte une première solution pragmatique et équilibrée à cet ensemble de difficultés, en prévoyant de confier à la collectivité de Saint-Barthélemy - plus précisément à son conseil territorial - un pouvoir de proposition dans les domaines de la sécurité sociale et du financement des établissements de santé relevant de la compétence de l'État.

En ce qu'elle confie à la collectivité un nouvel outil, en particulier pour répondre au défaut d'adaptation des règles régissant l'organisation des soins aux spécificités de Saint-Barthélemy, je ne peux qu'être, sur le principe, favorable à cette proposition de loi.

Reposant sur une approche « ascendante », que je sais chère à notre commission, cette proposition de loi trouve un point d'équilibre satisfaisant, entre l'exigence d'une adaptation trop longtemps attendue des normes aux réalités locales et la nécessité de conserver un cadre garant des grands principes de la sécurité sociale, sur l'ensemble du territoire national.

La présente proposition de loi emporte donc mon accord sur le fond. Je vous proposerai néanmoins d'adopter des amendements, auxquels Alain Milon et moi avons travaillé et qui ont reçu l'assentiment de l'auteur de la proposition de loi, Micheline Jacques. Les modifications proposées poursuivent deux objectifs principaux.

D'abord, une telle modification statutaire, bien que d'ampleur limitée, gagnerait à être expérimentée pendant cinq ans afin d'en évaluer les effets avant d'envisager sa pérennisation. D'autre part, la proposition de loi me semble présenter des fragilités juridiques que nous souhaiterions corriger.

Premièrement, m'inspirant de dispositions que nous avions déjà votées en 2018, après présentation du rapport de Mathieu Darnaud lors de l'examen de la proposition de loi déposée par Michel Magras, je propose de conférer un caractère expérimental au dispositif tendant à confier au conseil territorial de Saint-Barthélemy un pouvoir de proposition dans de nouveaux champs de compétences de l'État.

Deuxièmement, il m'apparait souhaitable de restreindre le champ des compétences susceptibles de faire l'objet de propositions de la part du conseil territorial à la seule assurance maladie et aux seules fins de garantir la continuité des soins comme l'adaptation aux particularités et besoins spécifiques de l'offre, liés à l'insularité et à l'éloignement. Ce point me semble très important.

Troisièmement, je propose d'inclure le domaine des services de santé dans cette nouvelle faculté de proposition, corrigeant ainsi un oubli de la proposition initiale, qui visait les seuls établissements de santé.

Quatrièmement, s'agissant des garanties applicables aux propositions d'actes formulés par le conseil territorial, je suggère de les renforcer, en excluant expressément la prise d'actes administratifs individuels et en imposant à ces propositions d'actes le respect des principes définis par la législation relative à la sécurité sociale, en particulier les principes de solidarité nationale, d'égalité de traitement, de non-discrimination et de continuité de la prise en charge.

Par ailleurs, il nous est apparu utile de soumettre pour avis à l'ARS compétente tout projet d'acte du conseil territorial, afin d'assurer la compatibilité d'une telle proposition avec l'organisation existante et régionalisée de l'offre de soins.

Enfin, la proposition de loi ambitionnait d'imposer au conseil territorial la définition d'un objectif annuel de dépenses, pour la couverture des surcoûts des établissements de santé liés à l'insularité et à l'éloignement. Faisant peser une obligation nouvelle sur une collectivité qui ne dispose ni de moyens ni des compétences pour procéder à une telle évaluation, ces dispositions n'apparaissent pas opportunes ; je vous propose de les supprimer.

Pour conclure, ces quelques assouplissements, qui me semblent relever du bon sens, permettraient à la collectivité de disposer d'un nouvel outil pour renforcer la prise en compte par l'État des spécificités de l'île, sans pour autant battre en brèche le principe d'une compétence étatique en la matière. Cet équilibre paraît important.

À ce stade de mon propos, je me dois néanmoins d'être franche : malgré les quelques modifications que je vous propose d'adopter, la présente proposition de loi n'offrira pas de réponse à tout et ne sera pas une panacée. Si ce dispositif marque une première avancée salutaire vers une meilleure prise en compte par l'État des spécificités et des nécessaires adaptations de l'offre de soins à Saint-Barthélemy, il ne saurait régler seul l'ensemble des difficultés rencontrées en raison de la spécificité, de l'isolement et de la taille de ce territoire.

Je déplore en particulier l'inertie de l'État sur ce sujet. À titre d'exemple, l'expérimentation, lancée en 2017, qui visait à accorder aux directeurs généraux d'ARS un pouvoir de dérogation pour adapter certaines normes aux réalités locales de leur territoire, a été menée de façon concluante et le Gouvernement s'est engagé en novembre 2021 à la pérenniser, en généralisant ses dispositions à l'ensemble du territoire national. L'ensemble des élus et des acteurs locaux de la santé que nous avons entendus ont souligné l'importance de ce décret pour améliorer l'offre de soins de Saint-Barthélemy, ainsi que leur souhait de s'en saisir sans plus attendre ; comment expliquer que le Gouvernement n'ait toujours pas pris ce décret ? Cette situation parait incroyable. L'État doit se montrer à la hauteur des enjeux et jouer pleinement le rôle qui lui incombe.

J'en viens pour finir à un point sur lequel je souhaite insister. Nous avons dû mener nos travaux sans disposer des conclusions d'un rapport, demandé par le Parlement il y a plus d'un an, sur l'organisation du système de santé et de la sécurité sociale à Saint-Barthélemy et sans disposer des chiffres de la consommation de soins par les assurés de l'île, que le Gouvernement s'obstine à ne pas publier. Cette façon de faire n'est pas acceptable pour le législateur que nous sommes et illustre le peu de considération que porte le Gouvernement à la situation de cette île, mais aussi à notre endroit.

La présente proposition de loi n'en reste pas moins nécessaire. Le texte que je vous propose d'adopter, travaillé en parfaite coopération avec Micheline Jacques et Alain Milon est équilibré, négocié et consensuel. Il me semble à même d'emporter une large adhésion sur un sujet d'importance pour cette île.

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