Nous examinons ce matin un texte original parmi les différentes initiatives parlementaires que nous avons pu avoir à traiter ces derniers mois. En effet, s'il s'agit une fois encore de répondre à une situation sanitaire jugée insatisfaisante, le moyen proposé est une participation de la collectivité aux compétences de l'État.
Saint-Barthélemy est un territoire des Antilles qui compte plus de 10 000 habitants pour une superficie de 21 kilomètres carrés. Ancienne commune de la Guadeloupe, Saint-Barthélemy en est toutefois géographiquement éloigné, puisque 230 kilomètres séparent les deux îles. L'île de Saint-Martin, seconde « Île du Nord », se situe, elle, à 31 kilomètres.
Depuis son accession au statut de collectivité d'outre-mer en 2007, la question des compétences de ce territoire doté de l'autonomie revient régulièrement, notamment dans le champ de la protection sociale.
La situation sanitaire de l'île, jugée insatisfaisante par les élus territoriaux, conduit aujourd'hui à différentes demandes d'évolutions des compétences en matière de santé et de sécurité sociale.
Quelle est-elle ? L'offre de soins repose sur une centaine de professionnels de santé, toutes catégories confondues. Si Saint-Barthélemy n'est pas un désert médical, des problèmes d'accès aux soins sont cependant constatés, avec un déficit d'offre en secteur 1 notamment. Certaines spécialités, comme la cardiologie, ne sont en outre pas représentées.
L'hôpital Irénée de Bruyn, seul établissement de santé de l'île, compte 10 lits d'hospitalisation de courte durée et 7 lits de soins de suite et de réadaptation (SSR). Il est de fait le pivot de l'offre de soins sur le territoire et reçoit 7000 passages aux urgences par an. Il n'existe pas d'offre de maternité. Cette offre hospitalière est soutenue par la collectivité, avec la mise à disposition de locaux ou de foncier, mais aussi par le biais d'une association de donateurs, le Femur, qui finance des équipements hospitaliers.
Du fait de l'insularité et de l'offre réduite sur place, la prise en charge des patients est pour partie réalisée à Saint-Martin ou en Guadeloupe, les deux territoires servant de recours. Comme dans d'autres territoires ultramarins insulaires, les évacuations sanitaires sont souvent nécessaires, voire indispensables pour les urgences lourdes. On dénombre 183 évacuations sanitaires réalisées en 2022.
Je le disais à l'instant, cette offre ne satisfait pas les élus territoriaux. Elle ne correspond pas aux standards de la clientèle de luxe de l'île et nuit à son attractivité, pour partie. Mais, et c'est là la préoccupation de notre collègue sénatrice, une dégradation de la situation est constatée depuis plusieurs années avec des ruptures dans la continuité de la prise en charge des patients. Si le bâtiment de l'hôpital reste marqué par les conséquences de l'ouragan Irma, la question principale est celle de la présence en nombre suffisant, en tout temps, de médecins urgentistes à l'hôpital. Ce problème se pose particulièrement, semble-t-il, depuis l'application du droit en matière de gardes et de récupérations, là où la pratique s'en était largement émancipée.
Cette dégradation est la conséquence notamment des difficultés d'attractivité du territoire pour les praticiens, avec l'isolement et l'absence de lycée par exemple, mais aussi et surtout du fait de coûts de logement prohibitifs. Ces mêmes contraintes immobilières pèsent aujourd'hui sur le laboratoire d'analyse médicale.
D'autres problèmes plus structurels ou durables cristallisent les revendications.
Le premier est propre aux évacuations sanitaires. Celles-ci sont prises en charge selon des règles qui trouvent mal à s'appliquer sur le territoire, avec une prise en charge limitée aux lignes régulières, ne correspondant pas à l'offre aérienne.
Surtout, celles-ci sont souvent rendues impossibles la nuit, aucun avion n'étant autorisé à atterrir de nuit à Saint-Barthélemy, et aucun n'étant positionné pour y décoller. L'hélicoptère, basé en Guadeloupe, n'est qu'une solution de repli fragile du fait du temps de transport et de son indisponibilité fréquente. De plus, l'envoyer à Saint-Barthélemy prive la Guadeloupe de ses moyens durant plusieurs heures - huit au minimum, la durée de l'aller et retour.
Autre sujet rappelé par l'ensemble des interlocuteurs, aucun dépôt de sang n'est aujourd'hui possible à Saint-Barthélemy sans dérogation au droit commun.
Pour partie, ces problèmes peuvent trouver écho à des préoccupations que nous connaissons bien : ne débat-on pas chaque mois de textes relatifs à l'attractivité de nos territoires pour les professions de santé ou concernant l'attractivité des carrières hospitalières ? Pour partie, ces problèmes s'inscrivent dans des contraintes fréquentes des territoires ultramarins et je me permets de rappeler l'une des préconisations de la mission de notre commission à Mayotte l'an dernier : accroître le pouvoir de dérogation des directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS) outre-mer pour répondre aux besoins d'adaptations de certaines situations locales.
Face à ces problèmes bien connus, la réponse de l'État n'est pas jugée suffisante et suscite des réactions parfois vives.
Le conseil exécutif a ainsi adopté en novembre 2022 une délibération appelant à « partager la compétence santé » et à doter Saint-Barthélemy d'une agence territoriale de santé pilotée conjointement par le préfet et le président de la collectivité, mais aussi d'une caisse de prévoyance sociale « de plein exercice ». Ces propositions ont par ailleurs été transmises au Gouvernement dans le cadre du comité interministériel des Outre-mer, le CIOM.
Notre collègue Micheline Jacques, sénateur de Saint-Barthélemy, a déposé la présente proposition de loi organique visant à permettre à la collectivité de participer à l'exercice de certaines compétences de l'État. J'insiste sur cette nuance. Il ne s'agit pas d'un partage de compétences, encore moins d'un transfert. Je constate que Micheline Jacques ne revendique pas non plus d'autonomisation de la caisse de prévoyance sociale, qui était il y a quelques années encore souhaitée.
J'en viens donc au texte que nous examinons ce matin.
L'article 1er de la PPLO prévoit ainsi de permettre à la collectivité de prendre des actes dans deux champs : la sécurité sociale et le financement des établissements de santé. Une finalité commune à ces deux participations à l'exercice de compétences de l'État est revendiquée : la prise en compte des surcoûts liés à l'insularité et à l'éloignement. En d'autres termes, l'auteur souhaite, plutôt qu'un transfert de la compétence santé, que le conseil territorial soit en capacité de proposer des adaptations aux règles de prise en charge et aux règles de financement par l'assurance maladie de l'hôpital de Saint-Barthélemy. Avec, pour but, que l'assurance maladie puisse financer davantage les besoins de l'hôpital, particulièrement le logement des praticiens et personnels hospitaliers.
Participation, la nuance est importante. La compétence demeurant bien celle de l'État, les actes devraient nécessairement, pour prendre effet, recevoir l'approbation du Gouvernement.
Ce que propose donc notre collègue auteur de la PPLO s'apparente ainsi à un « droit de proposition » formel dans le champ des compétences de l'État. L'intention de Mme Jacques me semble claire : ce n'est pas parce que les besoins de santé de la population de Saint-Barthélemy ne trouvent pas de réponse adaptée de la part des services de l'État qu'il serait pertinent de transférer la compétence pour autant. Surtout, ce transfert hypothétique paraîtrait pour le moins hasardeux dans le contexte d'une dépendance aussi forte à l'égard de Saint-Martin et de la Guadeloupe. La solution réside donc selon elle dans une capacité à proposer des adaptations, y compris dans le domaine de la loi, au titre de l'autonomie dont jouit le territoire en vertu de son statut organique.
J'ai pu le rappeler à différentes occasions et encore l'an dernier lors de l'examen de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi « 3DS », je demeure convaincu que la santé et la sécurité sociale doivent rester des compétences de l'État. Je reste constant sur cette position et si je souhaite que les collectivités puissent prendre leur part aux côtés de l'État, je suis plus que réservé sur les projets suggérés par la collectivité et les intentions sous-jacentes de poursuivre des projets hospitaliers qui pourraient se trouver sans cohérence avec la configuration du territoire. En outre, Saint-Pierre-et-Miquelon, parfois pris pour modèle, n'est à mon sens pas comparable. Certes, la collectivité dispose d'une direction territoriale propre et d'une caisse autonome, mais elle ne s'inscrit pas dans un contexte régional de plusieurs collectivités françaises voisines !
Je souligne en outre qu'avec la même loi 3DS, les collectivités peuvent participer au programme d'investissement des établissements de santé.
Les auditions préparatoires à l'examen de cette proposition de loi organique, menées conjointement avec ma collègue rapporteure pour la commission des lois, Valérie Boyer, ont permis d'éclaircir certains sujets et de préciser les difficultés mises en avant dans le territoire.
En tant que rapporteur pour avis, je me dois de reconnaître que la proposition d'une participation à l'exercice de compétences n'a pas trouvé un accueil particulièrement enthousiaste de la collectivité elle-même, qui bien que proposant des réécritures du code de la santé publique, revendique davantage la gestion opérationnelle que la capacité à prendre des actes.
Surtout, elle a soulevé une opposition assez claire des services de l'État. D'une part, ni l'agence de santé de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, ni les directions d'administrations centrales ne partagent le constat d'une offre de soins insuffisante. D'autre part, les problèmes identifiés peuvent, selon l'ARS, la direction générale de l'offre de soins (DGOS) et la direction de la sécurité sociale (DSS), trouver des solutions dans le cadre juridique existant.
La direction de l'hôpital met en avant une étude conduite concernant l'opportunité d'investir dans un avion sanitaire ou l'option d'un hélicoptère partagé en interministériel.
En outre, le directeur général de l'ARS a rappelé qu'un décret en conseil d'État était attendu pour permettre certaines dérogations utiles, particulièrement sur les stocks de sang.
Enfin, plusieurs acteurs ont considéré que, sur le logement des professionnels, la collectivité était peut-être en capacité financière de conduire ce projet seule...
Au-delà, un sujet a été soulevé que j'estime fondamental. Les revendications qui s'expriment depuis plusieurs années s'enracinent pour beaucoup dans l'idée que la caisse de sécurité sociale de Saint-Barthélemy serait fortement excédentaire et qu'il serait légitime que cet excédent profite d'abord au territoire.
Plusieurs choses méritent d'être précisées sur ce point. Premièrement, la direction de la sécurité n'est pas en mesure d'établir l'existence même de cet « excédent », pour de bonnes raisons. Car pour partie, par exemple, les dépenses participant à la prise en charge des habitants de Saint-Barthélemy ne sont pas retracées dans les comptes de la caisse. Comment pondérer par exemple les dépenses des hôpitaux de Guadeloupe et de Saint-Martin, calibrés aussi pour prendre en charge les besoins de Saint-Barthélemy en recours ? Pour partie aussi, les dépenses sont prises en charge par des crédits qui ne transitent nullement par la caisse, par exemple les dotations à l'hôpital de Saint-Barthélemy depuis le fonds d'intervention régional de l'ARS de la Guadeloupe. Certaines aides aux professionnels de santé ne relèvent pas de la caisse locale non plus. Une partie des cotisations n'est pas toujours recouvrée, non plus. En outre, cet excédent serait apprécié sur l'ensemble de la caisse, faisant fi du principe selon lequel, hors solidarité interbranches âprement débattue, les recettes et dépenses des branches ne sont pas fongibles.
Un élément surtout : cette logique d'excédents à réaffecter localement va à l'encontre du principe même de la sécurité sociale. Veillons à ne pas ouvrir de brèches préjudiciables dans un édifice déjà fragile : l'assurance maladie repose sur la solidarité nationale. Sinon, doit-on considérer demain que les hôpitaux de Nice doivent être mieux financés que ceux de Laon car la région serait « socialement excédentaire » ? Si nous avons pu réfléchir dans cette commission à des objectifs régionaux de dépenses d'assurance maladie (Oradam), cela ne reposait d'ailleurs pas sur les capacités contributives des territoires. J'avais demandé que ces Ordam soient locaux et complémentaires de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam).
Aussi, au regard des différentes questions substantielles que soulevait ce texte, la rapporteure de la commission des lois et moi-même avons retenu une position de prudence.
Nous le disons clairement, les besoins propres à la configuration de l'île doivent trouver des réponses concrètes et durables. Ces réponses doivent aussi intervenir rapidement. J'ai retrouvé dans un rapport sénatorial de 2005 la description du problème lié aux évacuations sanitaires nocturnes : on nous annonce une étude du centre hospitalier sur ce sujet... vingt ans plus tard. Le sujet du stock de sang est connu depuis longtemps, mais le fameux décret qui doit permettre une dérogation se fait lourdement attendre. Cette lenteur persiste, j'en veux pour preuve le rapport que nous avions demandé dans la loi 3DS sur la situation sanitaire de Saint-Barthélemy : celui-ci devait être rendu avant la rentrée 2022, il n'a pas été écrit.
Mais si ces réponses sont nécessaires, elles doivent trouver un format adapté. Je souhaite que nous suivions dans les prochains mois le sujet des adaptations prises par le directeur général de l'ARS et la publication du décret attendu. Pour ce qui relève de la loi organique, je vous propose une modification du dispositif proposé, en association avec ma collègue rapporteure de la commission des lois.
L'agenda de notre commission ayant été modifié en raison du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, vous proposer des amendements ce matin aurait conduit à leur dépôt postérieurement à la réunion de la commission des lois chargée d'établir le texte de commission, ce qui, vous en conviendrez, n'aurait eu guère de sens. C'est pourquoi j'ai choisi de déposer en mon nom les amendements issus des travaux conjoints que nous avons menés avec Valérie Boyer et qui nous ont conduits à proposer à nos commissions respectives des amendements identiques.
Nous vous proposons donc trois amendements.
Le premier amendement vise à transformer le dispositif proposé en une expérimentation. Ainsi, la rédaction de l'article 1er serait remplacée par une expérimentation.
Alors que le champ de sécurité sociale visé ne relève que de l'assurance maladie, nous avons souhaité le préciser et limiter l'habilitation à cette seule branche. En outre, considérant que, plus encore dans un petit territoire qu'ailleurs, l'offre hospitalière et la médecine de ville sont indissociables, j'ai souhaité que nous intégrions la question des services de santé, afin de permettre à la collectivité d'appréhender également, si elle souhaite s'engager sur cette expérimentation, la question de structures ambulatoires.
Surtout, nous vous proposons dans la rédaction d'insister sur la nécessaire absence, dans les actes éventuellement pris, de rupture dans la prise en charge des assurés de Saint-Barthélemy pour les soins réalisés hors de l'île, comme des assurés non résidents pour les actes reçus dans le territoire. À Saint-Pierre-et-Miquelon, l'autonomie de la caisse fait que la carte Vitale n'y est pas déployée, avec des conséquences préjudiciables. Il ne faut pas qu'une prise en charge en Guadeloupe d'un habitant de Saint-Barthélemy soit source de complexité administrative supplémentaire !
Enfin, nous avons eu à coeur d'insister sur la cohérence de l'offre de soins au niveau régional. Les îles de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont interdépendantes. C'est pourquoi nous souhaitons que l'ARS émette un avis sur les projets d'actes et que l'évaluation de l'expérimentation porte également sur l'impact de ces actes sur la définition de l'offre de soins dans les collectivités voisines.
Les deuxième et troisième amendements sont des amendements de suppression qui tirent les conséquences de cette transformation en expérimentation. L'article 2 concerne en effet la codification de la procédure d'habilitation à prendre des actes, et se trouve donc caduc.
L'article 3 prévoit lui la définition d'un « objectif de dépenses » par la collectivité, concernant la couverture des surcoûts liés à l'éloignement et à l'insularité. Je considère que cette notion d'objectif de dépenses ne peut se concevoir sans engager une réelle autonomie du territoire en matière de sécurité sociale, ce qui à ce stade ne me paraît pas pertinent.
Sous réserve de cette réécriture, je vous propose de donner un avis favorable à la présente proposition de loi organique. Si elle n'améliorera pas à elle seule la situation sanitaire du territoire, elle pourrait permettre de réaffirmer la responsabilité de l'État et contraindre ce dernier à prendre enfin certaines dispositions qui tardent à arriver.