Plusieurs rapports sur le sujet, venus des corps d'inspection et de nos collègues députés, ont été publiés depuis que nous avons lancé nos travaux, et nous avons pu en tenir compte. Chacun se souvient ici que le projet de réforme avait été à l'origine de vives contestations de la part de la police judiciaire et des magistrats à l'été dernier, contestations qui se sont poursuivies jusqu'à aujourd'hui. En lançant notre mission d'information, nous avions pour objectif d'évaluer la pertinence de l'organisation actuelle mais aussi et surtout de nous positionner sur le projet de réforme.
Nous avons entendu, avec mon collègue co-rapporteur Jérôme Durain, plus de 120 personnes et réalisé deux déplacements. Nous avons en particulier entendu l'ensemble des représentants de la police et de la justice des départements expérimentant la nouvelle organisation proposée.
Premier constat : l'organisation des missions judiciaires dans la police nationale ne répond plus aux enjeux actuels de la criminalité. De nouvelles formes de criminalité émergent, marquées par un lien très fort entre délinquance locale et trafics d'envergure internationale. Or, l'exercice de la police judiciaire dans la police nationale est aujourd'hui séparé en deux directions : la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), en charge de la petite et moyenne délinquance et qui traite près de 98 % des infractions enregistrées par les services de police ; et la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), qui est une direction spécialisée en charge de la lutte contre la criminalité organisée, le terrorisme, la cybercriminalité ainsi que les formes graves et complexes de la délinquance spécialisée. Ces deux directions disposent d'une grande autonomie de fonctionnement, chacune d'elle ne rendant en pratique compte qu'à sa direction centrale. Le manque d'interactions entre services au niveau local pèse sur l'efficience de l'action de la police nationale.
À cela s'ajoute une perte d'attractivité croissante de la filière judiciaire dans la police nationale. Les causes de la « désaffection » de la police judiciaire sont multiples et bien connues : complexification de la procédure, forte responsabilisation personnelle des enquêteurs, déception des enquêteurs devant les décisions prises par les tribunaux, découragement face à la priorité affichée depuis quelques années en faveur des services de voie publique au détriment de ceux de l'investigation, afin de « mettre davantage de bleu sur le terrain ».
Cela se combine et entretient un phénomène préoccupant d'engorgement des procédures. Les stocks de procédures sont aujourd'hui très importants et concernent tant les contentieux de masse que les infractions délictuelles et criminelles graves. Cela conduit à une dégradation constante de la qualité des procédures pénales, des délais de traitements accrus et incompatibles avec les attentes des justiciables, ainsi que des modalités de traitement dégradées.