La mission d'information nous a par ailleurs fait prendre conscience d'une problématique majeure pour notre société : celle des stocks de procédure dans nos commissariats - il y en a 2,6 millions -, qui sont autant de bombes à retardement pour la société. La contestation de la réforme de la police nationale en a été le révélateur, puisque les personnels des services de police judiciaire craignaient - et craignent encore - que la réforme ne conduise à les mettre à contribution pour résorber le stock d'affaires accumulées dans les services de la sécurité publique. Une telle orientation serait déraisonnable, inefficace et profondément nuisible à la société. C'est la raison pour laquelle nous estimons qu'un rééquilibrage des moyens entre voie publique et investigation est indispensable.
Le doublement des effectifs sur la voie publique n'aura de sens que si les effectifs des services judiciaires qui traitent les enquêtes et ceux des juridictions sont augmentés de manière proportionnelle. Sans cela, c'est toute la chaine pénale qui sera engorgée, sans amélioration de la réponse pénale. Il est certes important d'arrêter le délinquant en bas de l'immeuble, mais il faut aussi monter plus haut dans la hiérarchie de la délinquance, ou bien l'action ne sert à rien. Ce renforcement des effectifs devra être particulièrement important s'agissant de la hiérarchie intermédiaire dans les services d'investigation.
Nous considérons également que la réforme, par la création d'une filière judiciaire unifiée, constitue une opportunité : si elle est saisie, elle offrira aux personnels de véritables parcours de carrières, tant en matière de formation que de perspectives d'évolution de carrière et d'avancement.
Enfin, la réforme doit aussi être l'occasion de rappeler et de mieux garantir le respect des prérogatives de l'autorité judiciaire.
Le procureur de la République est chargé de mettre en oeuvre la politique pénale dans son ressort. Or, la définition des priorités assignées par les parquets aux services d'enquêtes se heurte parfois aux priorités définies par le préfet aux services de voie publique. Il convient de rétablir les procureurs de la République dans leur rôle de décisionnaires, en demandant aux préfets d'ajuster leurs orientations en fonction de la définition des priorités de politique pénale sur un territoire. Un dialogue croissant entre préfets et procureurs est ainsi nécessaire pour assurer la bonne déclinaison territoriale de la mise en oeuvre de la politique pénale définie par l'autorité judiciaire.
S'agissant du libre choix du service enquêteur, qui est une exigence posée par l'article 12-1 du code de procédure pénale, ce principe se heurte déjà fréquemment aux capacités de traitement limitées de certains services spécialisés. C'est donc en fait l'affectation et la répartition dans le temps des moyens humains entre les différents services appelés à réaliser des investigations qui sont en jeu.
Nous proposons donc de renforcer l'effectivité de ce principe par plusieurs moyens : en assurant un suivi du maintien des moyens matériels et humains affectés aux missions de police judiciaire, en inscrivant dans les textes règlementaires l'intégralité des services que l'autorité judiciaire pourra saisir dans la nouvelle organisation de la police nationale, en prévoyant l'information systématique du procureur et du juge d'instruction des moyens alloués par enquête.
Plus avant, nous demandons à ce que les doctrines nationales en cours d'élaboration rappellent formellement et solennellement les grands principes des relations entre l'autorité judiciaire et les services de police judiciaire. Ces grands principes sont : le placement de la police judiciaire sous la direction, le contrôle et la surveillance de l'autorité judiciaire, qui a valeur constitutionnelle ; les prérogatives de l'autorité judiciaire s'agissant notamment de la mise en oeuvre des priorités de politique pénale ; le secret de l'enquête et de l'instruction ; la préservation de la possibilité pour le procureur de la République ou le juge d'instruction de choisir librement le service d'enquête en charge des investigations ; la préservation d'une capacité à lutter contre l'ensemble du spectre de la criminalité, depuis la criminalité organisée ou financière à la délinquance du quotidien, en passant par la délinquance intermédiaire présentant un ancrage interdépartemental ou interrégional.
Voilà les recommandations que nous avons formulées d'un commun accord sur cette réforme.