Je tiens à remercier nos rapporteurs pour avoir su éclairer le débat et présenter leurs désaccords avec loyauté. Ce projet de loi n'est pas à la mesure de l'aggravation de la pression migratoire ni de la dégradation des mécanismes d'intégration dans notre pays : nous avons délivré 3,5 millions de visas en 2019, contre 1,8 million en 2009 ; 170 000 titres de séjour ont été délivrés en 2007, mais 270 000 en 2021 ; 36 000 demandes d'asile ont été déposées en 2010, mais 120 000 en 2021, dont un tiers résultent de mouvements secondaires au sein de l'Union européenne ; 60 % des demandeurs d'asile sont déboutés. Le taux d'exécution des OQTF est très faible, pourtant le nombre de mesures exécutées - 19 000 - n'a jamais été aussi élevé. C'est le signe que, face à l'afflux des immigrés clandestins, notre système est saturé. Les préfectures comme les tribunaux sont engorgés. La délinquance est nettement plus forte parmi les étrangers.
Les procédures légales relatives au droit d'entrée et de séjour sont détournées de leur objet et deviennent des sources d'immigration irrégulière. Il faut s'interroger sur ces procédures en pensant à la manière dont elles pourraient être détournées pour permettre une installation frauduleuse en France. Ce projet de loi manque sa cible : il ne choisit pas entre fermeté et ouverture, et les deux dimensions se neutralisent. Le message qui ressort est que la France n'a pas une politique de dissuasion claire de l'immigration irrégulière. Finalement, on aboutit à un texte technique - certaines mesures vont d'ailleurs dans le bon sens, et nous devrons les adopter -, mais il ne suffira pas à rassurer les Français ni à dissuader les candidats à l'immigration irrégulière. Prenons garde à ce que nos débats parlementaires ne deviennent un théâtre d'ombres sans lien avec la réalité vécue par nos concitoyens.
Certes on peut se féliciter du rétablissement de la double peine, du non-renouvellement des titres de séjour des étrangers qui ne respectent pas les principes de la République, du rejet des demandes de cartes de séjour pluriannuelles lorsque la maîtrise du français est insuffisante - le remplacement d'une obligation de moyens par une obligation de résultat est pertinent -, du retrait des titres de séjour en cas de menace grave pour l'ordre public, de l'aggravation des sanctions contre les passeurs et les marchands de sommeil, etc. Mais ces dispositions, que nos rapporteurs comptent encore améliorer, concernent des étrangers déjà en France et n'affecteront qu'à la marge les flux migratoires irréguliers.
Ce projet de loi ne contient rien sur les abus du regroupement familial : on continue à utiliser le modèle de la cellule familiale européenne pour traiter le regroupement familial d'étrangers dont le mode de vie diffère pourtant profondément du nôtre. Ce texte ne comporte rien non plus sur les mariages frauduleux : on ne peut que déplorer l'absence de données statistiques sur la manière dont ils sont prononcés en France et à l'étranger. On aimerait connaître la part de ces mariages prononcée dans les consulats français et celle qui l'est dans les pays d'origine.
Il n'y a rien sur l'aide médicale de l'État (AME), alors que l'excellent rapport annuel de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) pour 2021 relatif aux procédures d'admission au séjour pour soins dénonce une réalité qui ne cesse de se dégrader et un laxisme unique en Europe, qui profite à beaucoup d'étrangers en séjour régulier dans des pays de l'Union européenne autres que la France, avec des dépenses que personne n'a réussi à chiffrer, mais qui sont extrêmement élevées.
Il n'y a rien non plus sur les demandes d'asile injustifiées, à part le souci d'accélérer de nouveau des procédures qui ne cessent de l'être ; et pourtant, le système est encore engorgé.
Il n'y a rien sur les faux mineurs étrangers isolés qui ne cessent d'occuper les dispositifs d'urgence de l'aide sociale à l'enfance (ASE) dans nos départements.
Ce texte doit être examiné non seulement en fonction de ce qu'il contient, mais aussi de ce qu'il ne contient pas, à savoir, malheureusement, l'essentiel.
Pire, certaines dispositions peuvent inciter les migrants à rejoindre notre pays pour s'y intégrer.
Le titre « métiers en tension » est en réalité une prime au travail illicite ; c'est une récompense à la persévérance dans la clandestinité, et un système profondément pervers. Pourquoi ne pas donner la priorité à la mise en place d'un examen paritaire - syndicats et patronat - par région, par département, sur les besoins d'emplois non pourvus et les formations qui permettraient à des nationaux d'accéder à ces emplois ?
Enfin, il y a la possibilité, pour une partie des demandeurs d'asile, d'exercer un emploi avant leur sixième mois de présence en France. C'est un moyen de consolider, pour les futurs déboutés du droit d'asile, leur présence dans notre pays, même si l'on a pris soin de réserver cette possibilité de travail à des personnes originaires de pays où des persécutions réelles ont lieu et dont ils pourraient être victimes.
Le texte ne mentionne pas non plus d'actions de la France pour que le retour dans le pays d'origine des étrangers en situation irrégulière, pourtant la clé de l'efficacité, se fasse dans de meilleures conditions grâce à l'obtention de laissez-passer consulaires.
J'entends les propos de Jean-Yves Leconte : les intérêts de la France, dans les relations bilatérales avec les pays d'origine des migrants, ne se réduisent pas aux flux migratoires. Ils peuvent être géopolitiques, économiques ou militaires. Bien sûr, ce n'est pas simple, sinon il y a longtemps que nous aurions fait pression, efficacement, pour que les laissez-passer consulaires soient délivrés. Pour autant, exercer une contrainte grâce à l'appui de la loi sur les pays d'origine est une nécessité absolue pour éviter que notre dispositif d'éloignement ne reste lettre morte.
Tout en approuvant certaines dispositions intéressantes du projet, il y a loin entre ce projet de loi et la mise en oeuvre d'une politique de l'immigration en rupture avec ce que nous avons pu faire en France durant les années récentes en vue d'une plus grande efficacité, à la fois dans le contrôle des entrées, dans les mesures d'éloignement, et dans notre capacité d'intégration des étrangers pour que ceux qui sont en situation régulière puissent prendre leur place dans la communauté nationale et respecter nos valeurs.
Le Gouvernement s'est constamment opposé à l'inscription dans la Constitution d'une règle simple et pourtant essentielle : nul ne peut se prévaloir de ses origines pour obtenir qu'il soit dérogé en sa faveur à la norme commune. Et pourtant, si nous n'affichons pas cette volonté d'intégration par le respect de nos normes et de nos lois, nous continuerons à subir le développement du communautarisme sans lui faire échec. Ce serait très grave. Il y a un palier à franchir pour faire de cette loi une loi efficace pour préserver la cohésion de notre société face à des courants migratoires de plus en plus envahissants.