Intervention de Bruno Tertrais

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 8 mars 2023 à 9h30
Audition conjointe de Mm. Thomas Gomart directeur de l'institut français des relations internationales ifri et bruno tertrais directeur adjoint de la fondation pour la recherche stratégique frs sur les enjeux de la loi de programmation militaire

Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) :

La clause de revoyure est d'autant plus nécessaire que la future LPM portera sur six années.

Les parlementaires n'ont pas été les seuls exclus de l'élaboration de la revue nationale stratégique. Les chercheurs comme les think tanks n'ont pas été associés à sa rédaction. La première commission du Livre blanc, par sa diversité et sa représentativité, était un formidable exercice de fertilisation intellectuelle croisée. J'en ai un excellent souvenir. Cela ne signifie pas qu'il faille absolument un nouveau Livre blanc. Mais rien ne remplace l'ouverture intellectuelle et politique. Ces exercices confidentiels, associant think tanks, personnalités et parlementaires, devraient être maintenues. Par ailleurs, si le contenu de la revue nationale stratégique n'est pas mauvais, il y manque une plume et de la lisibilité. Il y a trop d'éléments pour qu'on puisse y distinguer ceux qui sont saillants.

La Pologne sera ce que l'Allemagne était dans les années 1960/1970. Ce pays est en première ligne et sera potentiellement une grande puissance militaire en 2030. Il faut s'en féliciter. Mais je n'irai pas jusqu'à dire que le centre de gravité de l'Europe se déplace à l'est. Cette expression est utilisée un peu trop facilement dans les débats européens. Les réalités économiques ne doivent pas être négligées.

S'agissant du pivot vers l'Asie, j'oppose les faits au récit. La réalité est que la présence militaire américaine en Europe a augmenté dans les dernières années de la présidence Obama, a continué d'augmenter sous Trump, et s'est encore accentuée - pas nécessairement de manière permanente - avec la guerre en Ukraine. Le récit d'un délaissement de l'Europe par les États-Unis est ancien mais les faits le démentent pour l'instant.

Nous ne pouvons pas avoir pour ambition de tenir le Pacifique. Nous y avons deux objectifs : la défense de la souveraineté et des ressources de nos DROM COM et la défense de la liberté de navigation en haute mer. La comparaison entre Méditerranée et Pacifique n'est donc à mon sens pas très féconde.

La probabilité de simultanéité de scénarios graves impliquant directement ou indirectement les Européens est plus grande aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a une dizaine d'années.

Il est vrai que les think tanks français ont un rapport coût efficacité en termes d'influence particulièrement bon. Malgré les soutiens réels dont nous bénéficions dans les administrations et l'attention qui nous est porté, la France ne se donne pas les moyens de ses ambitions. Nous nous lamentons sur le fait que nous perdons en influence ici ou là. Nous regrettons de n'avoir pas identifié certaines campagnes de désinformation. Les think tanks peuvent contribuer à la nouvelle fonction Influence récemment érigée en fonction stratégique, même si notre travail ne consiste pas à être les porte-paroles de l'exécutif.

S'agissant de la guerre informationnelle, vous avez évoqué la coupe du monde. Il faut également nous préparer en la matière dans la perspective des jeux olympiques de 2024.

S'agissant du ratio des 2 %, je rappelle qu'un rapport au PIB ne veut rien dire puisque le PIB évolue. Si nous ne consacrerons que 2 % du PIB en 2025 à l'effort de défense, c'est parce que le PIB a considérablement évolué depuis les années 1950. Par ailleurs, à l'occasion des crises, le PIB se rétracte, ce qui fait automatiquement gonfler la part de l'effort de défense et permet d'atteindre les 2 %. Il est néanmoins vrai qu'il s'agit d'un signal politique et d'un moyen de mobilisation pour la population. Bien plus pertinentes sont la part des dépenses d'équipement comparées aux dépenses de personnel ou encore la part des dépenses de l'État consacrées à la défense. Mais ces critères obligent à de complexes comparaisons internationales. Les critères qualitatifs, sur le pourcentage de capacités opérationnelles ou de disponibilité opérationnelle sont également bien plus intéressants que le critère du 2 %.

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