Intervention de Bruno Tertrais

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 8 mars 2023 à 9h30
Audition conjointe de Mm. Thomas Gomart directeur de l'institut français des relations internationales ifri et bruno tertrais directeur adjoint de la fondation pour la recherche stratégique frs sur les enjeux de la loi de programmation militaire

Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) :

Si j'ai globalement approuvé les grandes lignes du projet de LPM présentées par le Président de la République, je m'empresse cependant d'ajouter que le diable se trouve dans les détails. On peut se féliciter des grandes orientations mais cela ne vaut pas approbation par avance de ce que sera le projet de loi.

Aux yeux de nos alliés, la dépense c'est bien, la présence c'est encore mieux. En dépit de la diversité des moyens permettant de nous présenter comme un allié exemplaire, le bean counting (comptage de haricots, soit l'évaluation de nos effectifs militaires) reste central dans la perception que nos partenaires ont de la France.

Vous nous faites l'honneur et l'amitié de nous solliciter fréquemment pour des auditions. Je confirme que vos rapports sont précieux. Nos experts sont à votre disposition, y compris à titre personnel. La consultation informelle d'un expert de la FRS sur un sujet précis est gracieuse.

La crise de septembre 2013, après l'utilisation d'armes chimiques en Syrie, est un Suez à l'envers. Cela a été un choc pour la France, le président François Hollande évoquant encore régulièrement cet épisode. Je me méfie de l'argument selon lequel ce précédent aurait été un encouragement pour Vladimir Poutine à intervenir en Ukraine. L'idée d'une faiblesse ou d'un manque de résolution occidentale provient de l'accumulation de non décisions, de pusillanimité, d'hésitations, de retraits... Je pense donc qu'il s'agit d'un argument cumulatif.

Pour rendre audible le récit français, je crois que nous gagnerions à ne pas répéter sans arrêt que le retrait américain est inévitable. Nous ne convaincrons pas nos partenaires de l'urgence de l'Europe de la défense en répétant cet argument.

La Grèce a avant tout besoin d'être rassurée sur le fait qu'elle n'est pas seule. Un accord de défense a aussi des aspects politiques et psychologiques. Je crois savoir que l'état-major des armées a su prendre en compte cette nouvelle réalité politico-juridique. Il a raison d'anticiper la possibilité d'une crise majeure dans laquelle la France serait impliquée, y compris par des combats de haute intensité.

Je partage l'opinion de Thomas Gomart sur le format des armées. L'échantillonnage a ses vertus et l'importance réside dans la cohérence. L'abandon de capacités n'est pas une option pour la France. Après l'avoir coupé, un bras ne repousse pas. Les Britannique l'ont appris à leurs dépens.

Taiwan n'a jamais été un enjeu énergétique et n'est devenu un enjeu majeur sur le plan économique et technologique que très récemment. L'entreprise TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company) était encore un nain il y a quelques années. Un débat existe sur les capacités que TSMC pourrait transférer sur le territoire des États-Unis. Certaines analyses font valoir que la présence de TSMC sur le territoire de Taiwan joue le rôle d'une police d'assurance pour la sauvegarde de l'intégrité de ce pays. Pour les États-Unis, Taiwan constitue surtout un enjeu réputationnel sur leur capacité à maintenir leurs engagements de défense en Asie-Pacifique. Il s'agit d'un enjeu stratégique avant d'être un intérêt économique.

Sur la dissuasion, l'adaptation doit passer par le développement des défenses anti-missiles et anti-aériennes mais aussi par la deuxième génération d'armes nucléaires sans essai. Je ne vois pas de raison pour qu'il y ait un changement de doctrine, celle-ci étant déjà assez souple à de nombreux points de vue. En revanche, je suis toujours extrêmement perplexe et critique sur l'idée de faire preuve de « pédagogie » en matière de dissuasion. Ce mot est à éviter, en politique étrangère comme en politique intérieure. Nous ne sommes pas dans une salle de classe ; nos concitoyens et nos alliés ne sont pas des élèves.

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