Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie pour votre présence, après quelques soirées particulièrement tardives qui nous ont occupés ces derniers jours, et pour cette invitation à échanger à propos des sujets que vous avez évoqués, incontournables pour nos territoires.
Je pense au déploiement des réseaux et en particulier de la fibre, à la question des raccordements complexes, des retards de déploiement dans certaines parties de la zone d'initiative privée et à la question de l'inclusion numérique, thème sur lequel madame la sénatrice Patricia Demas et vous-même, monsieur le président, avez rendu il y a quelque mois un rapport qui rejoint de très près l'analyse que le Gouvernement a portée sur cette question fondamentale.
Je précise avant d'entrer dans le détail que j'ai engagé depuis quelques semaines une série de visites afin d'aller à la rencontre de nos concitoyens pour échanger avec eux sur les enjeux du numérique, les questions qu'ils soulèvent, les inquiétudes et les interrogations qu'ils génèrent. Cette démarche rejoint les préoccupations de votre commission. C'est pourquoi je serai ravi de compter sur votre présence lors des prochains déplacements, dont je ne manquerai pas de vous tenir informés.
La priorité de ce tour de France est de rendre visite aux territoires et bassins de vie dont nous savons qu'ils souffrent davantage d'éloignement, tant en matière de connectivité, de couverture mobile, de raccordement à la fibre qu'en matière de facilité d'usage des outils numériques.
Outre les besoins et les difficultés des habitants de ces territoires éloignés de ces usages, nous faisons également face à de nouvelles pratiques professionnelles depuis la crise sanitaire liée à la covid avec l'instauration du télétravail.
Il est de notre devoir de donner à chacun de nos concitoyens les moyens d'accéder au réseau et d'en profiter pour revitaliser certains de nos territoires. C'est une question d'attractivité de notre pays, mais également d'aménagement du territoire, puisqu'il s'agit de permettre à chaque région, chaque département, chaque bassin de vie d'offrir à ses habitants la capacité d'être connecté, protégé et actif dans la société numérique.
C'est pour répondre à ces enjeux que le Gouvernement a lancé deux de ces politiques publiques, le plan France Très haut débit, lancé il y a dix ans, et le New Deal mobile, initié il y a cinq ans.
Ces deux démarches ont été saluées pour leur efficacité, leur mode de gouvernance et leur bonne maîtrise budgétaire, l'une par France stratégie lors de son rapport remis en janvier sur le plan France Très haut débit, l'autre par la Cour des comptes, en septembre 2021 pour le New Deal mobile.
En 2017, le Président de la République s'est exprimé pour mettre fin aux zones blanches et, plus récemment, pour faire une promesse forte, celle de la généralisation de la fibre à l'horizon 2025. Cet engagement a permis de placer la France dans le peloton de tête des pays européens les mieux connectés et les plus fibrés. 80 % des Français ont désormais accès à un abonnement fibre. Ce succès a été possible grâce à l'action collective de tous, et je tiens à remercier à travers vous les élus qui ont largement contribué à la mise en oeuvre de ces deux plans aux côtés des opérateurs, tant d'infrastructures que commerciaux, et aux côtés de l'État.
Ma conviction et ma mission consistent à permettre à l'ensemble des Français d'avoir accès au très haut débit. Cela passe par une mobilisation de l'ensemble des acteurs sur les enjeux d'achèvement de l'installation des réseaux, mais aussi de vigilance dans le cadre du plan de décommissionnement du cuivre.
Dès mon arrivée, suite aux nombreuses sollicitations et réclamations dont vous-mêmes êtes les premiers récepteurs concernant la qualité parfois décevante du déploiement de la fibre, j'ai orienté mon action en priorité sur cet enjeu capital, en lien étroit avec les parlementaires les plus investis sur ce sujet, au premier rang desquels Patrick Chaize, que je remercie de sa présence.
La réponse s'est faite sans tarder. La filière des télécommunications, à l'automne, a pris un certain nombre d'engagements devant moi et devant la présidente de l'Arcep s'agissant du renforcement de la qualité des interventions, des contrôles et de la reprise des infrastructures dégradées.
Ces engagements sont en bonne voie. Le premier porte sur le renforcement des contrôles à la fois par la transmission par les opérateurs commerciaux de leur planning d'intervention et par la mise en oeuvre de comptes rendus des interventions réalisées permettant le contrôle mutuel entre opérateurs.
Ceci est très important car, comme vous le savez, une grande partie des problèmes rencontrés par nos concitoyens en matière de coupure de la fibre est liée à la répartition des responsabilités entre l'opérateur d'infrastructures et l'opérateur commercial dans le branchement, puis dans la résolution du problème.
La difficulté vient du fait qu'il s'agit d'entreprises différentes, qui avaient jusqu'à présent parfois tendance à se rejeter l'une sur l'autre la faute concernant le défaut de raccordement ou l'interruption de la fibre. Désormais, les plannings sont partagés et les comptes rendus font l'objet de photographies qui sont également partagées. La responsabilité est immédiatement établie et les erreurs plus facilement corrigées.
Le deuxième engagement, qui porte sur la reprise des infrastructures dégradées, que ce soit au niveau des points de mutualisation ou des réseaux vieillissants ou mal dimensionnés, est également en bonne voie. Ce problème, qui explique les mécontentements de nos concitoyens, provenait du fait que certains réseaux avaient parfois été déployés avant même le lancement du plan France Très haut débit. Je pense par exemple au département de l'Essonne.
Ces départements précurseurs, paradoxalement, se sont retrouvés dans une situation où les réseaux avaient été conçus sur la base d'un cahier des charges peut-être un peu moins protecteur que celui établi au moment du lancement du plan France Très haut débit. Ces réseaux apparaissent donc comme particulièrement accidentogènes, les défauts de service étant plus nombreux que sur d'autres réseaux plus récents.
Les opérateurs concernés par ces réseaux accidentogènes et défaillants ont tous remis à l'Arcep un plan de reprise qui concerne 1 000 points de mutualisation correspondants à 450 000 locaux. J'ai pu constater que, dans certains départements la reprise de ces réseaux est en très bonne voie.
Le troisième engagement est celui d'une amélioration de la qualité des interventions par le biais d'une meilleure formation et de l'habilitation des techniciens. La mise en oeuvre de cet engagement n'est pas totalement aboutie, et je souhaite que les opérateurs accélèrent à ce sujet. Ils ont travaillé à la rédaction d'un cahier des charges définissant une certification et les compétences minimales requises sur le raccordement final. Cette mesure vise à terme une revalorisation générale de la filière et une exigence de qualité au service d'une connexion efficace et fiable.
En principe, d'ici avril, cet engagement devrait être respecté. J'y veillerai très attentivement, car c'est le troisième élément de ce triptyque constitué par la reprise des réseaux défaillants, le partage efficace de l'information pour l'attribution des responsabilités en cas de défauts de service et l'amélioration de la qualité de l'intervention par les techniciens.
Ceci nous a beaucoup occupés au deuxième semestre 2022. Nous sommes dorénavant à un moment charnière dans le déploiement du très haut débit et surtout de la fibre. La plupart des prises facilement déployables ont été déployées et nous devons dorénavant faire face aux raccordements complexes et aux retards dans les engagements du déploiement, notamment dans les zones AMII.
Les opérateurs ont chacun annoncé un plan de décommissionnement 2G et 3G entre 2025 et 2026 pour la première technologie, et à l'horizon 2030 pour la seconde. Orange a officialisé son plan de décomissionnement du cuivre. De premières expérimentations ont d'ores et déjà commencé. D'autres prendront la suite dès 2024, avec notamment une zone très dense incluant la ville de Rennes et celle et Vanves.
Nous devons, Gouvernement comme représentation nationale, être pragmatiques sur les retards d'installation et comprendre qu'elles ont parfois des raisons profondes et structurelles qui ont ralenti le déploiement.
Notre objectif commun doit être de rattraper ce retard et de permettre à tous nos concitoyens d'avoir accès à ces réseaux. Pour cela, nous avons deux leviers sur lesquels nous pouvons jouer. Celui qui a été le plus utilisé jusqu'à présent est celui des sanctions et du contentieux. C'est un levier qui me paraît indispensable lorsqu'il faut rappeler des acteurs à leurs engagements, en particulier les opérateurs.
Je crois qu'il nous faut doubler cette approche établie sur la sanction par une approche qui repose sur l'action et sur les incitations que nous pouvons adresser à l'ensemble des parties prenantes de ce grand chantier qu'est celui du déploiement de la fibre.
Pour cela, il est nécessaire de trouver un point d'équilibre et de prendre en compte les problématiques structurelles qui s'imposent aux opérateurs, qui finissent par produire les ralentissements qui ont été évoqués.
Il me semble que c'est ainsi que nous pourrons mener à bien le déploiement de la fibre. C'est le cap que je me fixe pour les deux années à venir, et ce travail a déjà bien commencé. Il s'agit de faire preuve de responsabilité pour engager les discussions avec l'ensemble des acteurs, trouver les compromis nécessaires pour paramétrer les derniers réglages et mener ce travail de dentelle.
En clair, l'objectif du premier semestre 2023 est de trouver un accord global avec l'ensemble des acteurs, afin de garantir la promesse présidentielle d'une généralisation de la fibre et du très haut débit.
Cette négociation globale doit permettre d'assurer la complétude sur l'ensemble du réseau. Je pense notamment à des territoires où aucun engagement d'opérateur n'est prévu, comme c'est le cas en zone très dense, mais aussi aux prises complexes, qui nécessitent du temps et des moyens.
Il convient en deuxième lieu de garantir aux ménages les moins aisés, d'autant plus en période d'inflation, un tarif abordable et accessible, comme c'était déjà le cas avec l'abonnement téléphonique simple pour le réseau cuivre.
Troisième élément : les événements récents, tant sur le plan climatique qu'énergétique, nous poussent à assurer une résilience de nos réseaux essentiels pour garantir la sécurité des communications.
Il me semble que l'ensemble de ces enjeux doit irriguer les discussions avec les opérateurs.
Vous l'aurez compris, dans cette nouvelle phase du plan France Très haut débit, dans laquelle nous devons nous atteler à la partie la plus complexe et à la bascule du cuivre vers la fibre, les opérateurs vont devoir franchir une nouvelle marche et porter une grande partie de l'effort, comme ils l'ont fait depuis le début du plan France Très haut débit.
Nous devons aussi, comme nous avons su le faire avec le plan France Très haut débit ou le New Deal mobile, soutenus par l'État, identifier un certain nombre de leviers pour accompagner la mise en oeuvre de ces engagements des opérateurs.
Il nous semble qu'une piste parmi d'autres est celle de la réforme de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer), à laquelle nous travaillons et sur laquelle nous discutons aujourd'hui avec les associations d'élus.
Les annonces récentes des opérateurs sur leur stratégie de dépose de la 2G et de la 3G dans les cinq prochaines années nous incitent à cette réforme nécessaire et indispensable. Pourquoi ?
La dépose de la 2G et de la 3G va conduire dans quelques années à une forte baisse des recettes de l'Ifer aux mains des collectivités. Il ne s'agit nullement, si nous envisageons une réforme de cet impôt, de supprimer ces ressources à destination des communes et des départements, mais au contraire de les stabiliser et de leur garantir une prévisibilité dans les années à venir.
Pour autant, le paramétrage de la réforme et l'ambition qu'elle porte dépendront avant tout de la négociation avec les opérateurs et des contreparties en termes de déploiement qu'ils sont prêts à accepter, tant sur le réseau fixe que sur le réseau mobile.
Autrement dit, ce que nous voudrions faire avec l'Ifer, c'est obtenir à la fois une plus grande visibilité pour les collectivités comme pour les opérateurs et, en contrepartie, les engagements que j'évoquais en matière de complétude, de résilience et d'abordabilité de la part des opérateurs.
Cette réforme, si elle se fait, doit être réalisée en faveur de l'aménagement numérique des territoires. En parallèle, l'État devra s'engager pleinement sur ce sujet, car il n'est pas envisageable qu'il relève du seul ressort et de la seule responsabilité des opérateurs.
Nous avons aussi conscience que, pour certains de nos concitoyens, le passage à la fibre peut occasionner des coûts via des travaux parfois importants au sein de leur propriété. À l'instar des aides de l'État pour les ménages les moins aisés qui souhaitent installer par exemple des bornes de recharge pour les voitures électriques, nous pourrions imaginer un mécanisme similaire pour accélérer la transition de nos concitoyens du cuivre vers la fibre.
Cela répondrait aux besoins croissants en connectivité, mais aussi à la nécessité environnementale d'éteindre le réseau cuivre - et nous ne pouvons rester insensibles à cette réalité. J'ai pu l'évoquer lors de la remise du rapport conjoint de l'Arcep et de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) : passer de l'ADSL à la fibre permet de diminuer l'empreinte écologique du réseau de presque 60 %, avec une baisse de près de 8 % de la consommation électrique liée au numérique.
Voici la feuille de route s'agissant des réseaux pour ce semestre.
Il ne faut pas laisser de côté pour autant le réseau mobile. Le New Deal mobile a permis de résorber plusieurs milliers de zones blanches depuis son lancement il y a cinq ans. L'identification des sites du dispositif de couverture ciblée prendra fin en 2025, avec une mise en service des dernières antennes attribuées en 2027.
Pour autant, le New Deal mobile comporte d'autres actions de couverture qui sont essentielles pour la connectivité de nos concitoyens et pour favoriser l'attractivité de nos territoires. Les opérateurs se sont en effet engagés à une couverture des axes routiers et ferroviaires prioritaires ainsi qu'à une couverture à l'intérieur des bâtiments, des trains et des voitures. Les actions se poursuivront au-delà de 2024. La généralisation d'une très bonne couverture 4G reste un engagement fort des opérateurs. 99,6 % de la population devra bénéficier d'un accès 4G en 2027 et 99,8 % d'ici 2031.
Une version améliorée du dispositif sera peut-être nécessaire. C'est pourquoi nous avons demandé aux services de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) d'engager un travail de recensement auprès des équipes locales qui décident de la localisation des antennes New Deal mobile pour identifier le besoin encore présent d'une couverture de qualité.
Je dirai en conclusion un mot sur l'inclusion numérique. Nous avons engagé des travaux avec l'ensemble des acteurs, élus locaux, associations d'élus et associations engagées pour l'inclusion numérique, de façon à donner corps aux propositions du rapport de Patricia Demas et du président Longeot, en structurant localement cette politique nouvelle qui, jusqu'à présent, est menée de manière insuffisamment coordonnée par un grand nombre d'acteurs sur les territoires, comme le rapport d'information l'a très bien identifié.
Il nous faut donc, grâce à la première brique posée en 2021 avec le recrutement des 4 000 conseillers, donner à cette politique une visibilité, une structuration et une pérennité au niveau des bassins de vie pour que, dans chacun de nos territoires, nos concitoyens sachent vers qui se tourner lorsqu'il s'agit de trouver un accompagnement vers les usages numériques.
Ce travail va donner lieu à une restitution au début du printemps. Il nous permettra d'établir cette feuille de route, qui engagera non seulement l'État, mais aussi l'ensemble des acteurs de cette nouvelle politique publique que nous avons construite ensemble.