Intervention de Anne-Catherine Loisier

Commission mixte paritaire — Réunion du 15 mars 2023 à 9h30
Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat :

Nous sommes, une fois encore, réunis pour tenter de clarifier et de renforcer le cadre applicable aux relations commerciales entre industriels et distributeurs ; nous l'avons tous vu ces derniers temps, les tensions sont toujours présentes et certains n'hésitent pas faire l'étalage de leurs griefs respectifs sur la place publique, ce qui ne facilite pas la tenue de nos débats. C'est pour cette raison, rendue plus prégnante encore cette année avec le niveau d'inflation, que nous devons de nouveau assumer un rôle d'arbitre.

Je tiens tout d'abord à saluer le travail des députés, au premier rang desquels bien entendu l'auteur et le rapporteur de cette proposition de loi, Frédéric Descrozaille. J'ai eu grand plaisir à travailler avec lui tout au long du processus législatif, et je souhaite vraiment le remercier pour son écoute et la qualité de nos échanges. Les solutions que nous avons trouvées ensemble sur un bon nombre d'articles témoignent de notre volonté commune de parvenir à un texte consensuel, au service de l'intérêt général.

Les dispositions de la proposition de loi initiale sont majeures. Je pense bien entendu au fait d'inscrire dans le marbre qu'une partie importante de notre droit commercial est d'ordre public et que nul ne peut espérer le contourner en s'installant à l'étranger ou en prétendant négocier sous un autre droit ; je pense également à la poursuite de l'encadrement des promotions sur l'alimentaire, ainsi qu'au fait de faire évoluer les modalités de transparence entre industriels et distributeurs.

Comme l'a rappelé la présidente, les doutes du Sénat quant à l'efficacité du SRP+ 10, et donc quant à la nécessité de prolonger cette expérimentation, sont connus. Aucun acteur, aucun rapport, n'a démontré à ce jour son efficacité réelle en matière d'amélioration du revenu des agriculteurs ; certaines filières sont même perdantes, mais nous y reviendrons. En tout état de cause, le Sénat a souhaité mettre en évidence cette carence, sans pour autant perturber le déroulement des négociations commerciales en cours. C'est pourquoi il a adopté la prolongation de l'expérimentation du SRP+ 10 jusqu'en 2025. Persiste toutefois une légère différence d'appréciation quant au traitement qui doit être réservé à la filière des fruits et légumes.

L'article 3 est un autre article majeur de la proposition de loi. Le constat sur lequel il se fonde est entièrement juste. Aujourd'hui, en effet, le droit est trop silencieux quant à savoir ce qui se passe durant un préavis de rupture déclenché en cas d'absence d'accord entre les deux parties au 1er mars. L'auteur et rapporteur a entièrement raison de rappeler que ce vide, déjà peu sécurisant en temps normal, devient franchement problématique en période d'inflation du coût des intrants supporté par l'industriel. Le droit actuel permet au distributeur d'exiger d'être livré, durant ce préavis, à l'ancien tarif, c'est-à-dire celui de l'année n-1. Or, dans certains cas, ce tarif est déjà devenu caduc, car il coûte bien plus cher de produire en 2023 qu'en 2022.

Il était donc nécessaire de clarifier le droit sur ce point, et je salue le souhait de M. Descrozaille de s'y atteler. La solution proposée par le Sénat diverge de celle qui a été adoptée par l'Assemblée nationale, mais les deux rapporteurs sont animés par la même intention, à savoir qu'un fournisseur ne peut être contraint de livrer à perte.

Pour ce faire, le Sénat a adopté un dispositif qui évite trois écueils : l'obligation pour le fournisseur de livrer à l'ancien tarif, le risque de déréférencement des petites et moyennes entreprises (PME), et le risque de rupture d'approvisionnement, qui pourrait déboucher sur des rayons vides. Nous avons donc introduit dans le droit le fait que le préavis doit tenir compte des conditions économiques du marché. Ces conditions évoluant d'une année à l'autre, le distributeur ne pourra donc plus exiger l'application de l'ancien tarif.

Nous avons également prévu que, en cas de litige sur les conditions du préavis, le médiateur soit obligatoirement saisi pour trouver une solution consensuelle ; si cette médiation échoue, le juge devra tenir compte des recommandations du médiateur. Permettre à l'une des deux parties d'arrêter de livrer du jour au lendemain en cas de désaccord est porteur de risque, même si cette rupture intervient à l'issue d'une médiation. D'une part, le risque de rupture dans les rayons persisterait ; et, d'autre part, les distributeurs pourraient profiter de ce nouvel outil, à savoir la disparition du préavis, pour déréférencer sèchement et brutalement nombre de PME - de nombreux acteurs n'ont pas caché leurs craintes.

C'est la raison pour laquelle le Sénat a adopté une nouvelle version de l'article 3, qui nous semble la plus équilibrée possible, mais nous allons en débattre.

Je me félicite par ailleurs des nombreux consensus auxquels nous sommes parvenus, qu'il s'agisse de l'encadrement des promotions sur les produits non alimentaires, de la non-négociabilité des matières premières agricoles pour les produits vendus sous MDD, du cadre applicable aux pénalités logistiques ou de la pérennisation des conventions tripartites. Ces dispositions importantes et utiles sont de nature à améliorer grandement le cadre des relations commerciales et contribueront à une meilleure rémunération de nos agriculteurs.

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