Monsieur le président, chers collègues, notre proposition de résolution européenne aborde un sujet d'intérêt général, qui est aussi un sujet très douloureux : celui des abus sexuels sur les enfants, plus spécifiquement sur internet, qui font l'objet de la proposition de règlement visant à prévenir et à combattre les abus sexuels sur les enfants en ligne, présentée par la Commission européenne, le 11 mai dernier, et en cours d'examen au Conseil.
Pourquoi une telle réglementation européenne ? Il nous faut déjà rappeler que les abus sexuels sur mineurs constituent « une délinquance de masse » : c'est ce qu'a déploré le commandant Frank Dannerolle, chef de l'office central pour la répression des violences aux personnes de la police judiciaire lors de son audition. Il a fait état, en France, de 100 000 recensements annuels. Ces abus recouvrent une grande diversité d'actes. Il n'est d'ailleurs pas possible d'établir un profil type des abuseurs, en dehors du fait que ce sont quasi exclusivement des hommes.
Par ailleurs, l'Union européenne détient un triste record : elle est aujourd'hui le premier hébergeur de contenus à caractère pédopornographique dans le monde. Elle est également l'un des principaux lieux de consultation de tels contenus : le nombre de signalements d'abus sexuels commis contre des enfants en ligne au sein de l'Union européenne est ainsi passé de 23 000 en 2010 à plus de 725 000 en 2019, impliquant plus de 3 millions d'images et de vidéos.
Face à ce fléau, le législateur européen a voulu fixer un cadre de règles minimales afin de mettre fin aux distorsions en la matière entre États membres, avec la directive 2011/93/UE , qui définit les infractions liées aux abus sexuels et à l'exploitation sexuelle des enfants, ainsi que celles liées à la pédopornographie et à la sollicitation d'enfants à des fins sexuelles. Elle demande aux États membres de « prendre les mesures nécessaires » pour les punir.
Au niveau opérationnel, l'agence européenne de coopération policière Europol, qui fait l'objet de l'attention de notre commission, dispose de l'une des bases de données les plus importantes au monde sur l'exploitation sexuelle des enfants et a fait de la lutte contre la production et la diffusion de contenus pédopornographiques en ligne, l'une de ses priorités, avec une unité opérationnelle 24h/24h pour soutenir les enquêtes des services compétents des États membres.
Simultanément, et sous l'impulsion du Sénat, la France a renforcé les sanctions pénales contre la pédopornographie, qui est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende. Notre pays est également à la pointe de ce combat avec la plateforme de signalement PHAROS (Plateforme d'Harmonisation, d'Analyse, de Recoupement et d'Orientation des Signalements), qui peut demander aux éditeurs et aux hébergeurs en ligne de retirer les contenus pédopornographiques. En cas de non-retrait de ces contenus, leur accès peut être bloqué sans délai et les services hébergeant ces contenus peuvent faire l'objet d'un déréférencement. Cette procédure administrative s'exerce sous la surveillance d'une personnalité qualifiée indépendante, chargée de vérifier le bien-fondé des demandes de retrait, et qui a la possibilité d'exercer un recours devant le tribunal administratif contre une demande injustifiée. À l'heure actuelle, Mme Laurence Pécaut-Rivolier que nous avons eu l'honneur de rencontrer et qui est membre de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), est cette personnalité qualifiée. Lors de nos échanges, elle a évoqué un volume de 150 000 contenus litigieux traités en 2021, dont environ 70 % de contenus à caractère pédopornographique.
Enfin, certains fournisseurs de services en ligne ont décidé, sur une base volontaire, de procéder à la détection de contenus pédopornographiques diffusés sur leurs services et de les retirer, dans le cadre de leurs politiques internes de modération. En outre, conformément à la loi américaine, ils signalent ces contenus au Centre américain pour les enfants disparus et exploités (NCMEC), qui partage les images pédopornographiques signalées avec les autorités répressives d'environ 150 pays dans le monde, notamment en Europe. Je précise qu'en 2022, la France a été destinataire de 100 000 de ces signalements.
Toutefois, des dispositifs existent mais sont insuffisants. En effet, le développement d'Internet dans les dernières décennies a permis une prolifération de contenus en ligne relatifs à des abus sexuels commis sur mineurs.
En France, le Sénat est leader dans la lutte contre les violences sexuelles sur les enfants et a su tirer à temps la sonnette d'alarme : on peut citer le rapport d'information de notre collègue Marie Mercier au nom de la commission des lois sur la protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles et la proposition de loi qui a en résulté, le rapport de la délégation aux droits des femmes sur l'industrie de la pornographie, publié en septembre dernier, ou les travaux récents de nos collègues Catherine Morin-Desailly et Florence Blatrix Contat sur la législation sur les services numériques qui ont été appréciés, notamment au sujet du DSA (Digital services act).
De son côté, le Président de la République a demandé une meilleure protection des enfants face aux menaces en ligne, en particulier dans son discours du 20 novembre 2019 à l'UNESCO, et a pris plusieurs initiatives en ce sens, à l'exemple du Laboratoire pour la protection de l'enfance en ligne, lancé le 10 novembre dernier avec les acteurs du secteur et les organisations non gouvernementales (ONG) de protection de l'enfance.
Pourquoi les résultats se font-ils attendre ? Plusieurs explications peuvent être avancées : en premier lieu, on peut constater une application inégale de la directive 2011/92/UE selon les États membres. « Le diable se cache toujours dans les détails » et certains États membres ont été plus réticents à mettre en oeuvre cette législation européenne contraignante. Ensuite, force est de déplorer l'impossibilité d'évaluer objectivement l'efficacité des actions volontaires des fournisseurs de communications électroniques car ces derniers n'autorisent pas une telle évaluation. En troisième lieu, la pandémie de covid-19 a conduit à une nette augmentation des abus sexuels contre les enfants en raison des confinements. Enfin, en quatrième lieu, l'intégration des courriers électroniques, des messageries instantanées, et de la téléphonie par internet, à partir du 21 décembre 2020, dans le champ d'application de la directive dite « vie privée et communications électroniques », a mieux garanti la confidentialité de ces communications mais a fragilisé la sécurité juridique des actions volontaires de détection effectuées par les fournisseurs.
C'est pourquoi l'Union européenne a adopté, le 24 juillet 2020, une stratégie européenne pour lutter plus efficacement contre les abus sexuels commis contre des enfants. Dans ce cadre, afin de répondre aux urgences et sécuriser les actions volontaires mises en place par les fournisseurs, elle a adopté une réglementation dérogatoire temporaire aux dispositions de la directive « vie privée et communications électroniques », qui permet aux fournisseurs de détecter et de signaler tout abus sexuel commis contre un enfant en ligne, et de bloquer le compte de l'utilisateur concerné ou de suspendre son accès au service. Ce règlement intérimaire arrive cependant à expiration le 3 août 2024 et l'adoption d'une réglementation pérenne plus ambitieuse est donc urgente et nécessaire.
La première partie de cette réponse pérenne est intervenue avec la législation sur les services numériques (Digital services act - DSA) qui prévoit que les autorités compétentes des États membres peuvent demander aux fournisseurs d'agir contre les contenus illicites, sans que ces derniers aient une obligation de retrait systématique de ces contenus.
La suite de cette réponse pérenne va intervenir en deux temps : le présent texte vise une meilleure prévention et un renforcement de la lutte contre ces abus en ligne. Il sera complété avant la fin de l'année par une révision de la directive 2011/93/CE relative à la lutte contre les abus sexuels sur enfants. Je vous remercie et cède la parole à mon collègue André Reichardt.