Intervention de Jean-François Rapin

Commission des affaires européennes — Réunion du 1er mars 2023 à 17h00
Agriculture et pêche — Audition de M. Janusz Wojciechowski commissaire européen à l'agriculture

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, Président :

Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui le commissaire européen à l'agriculture, M. Janusz Wojciechowski, que je tiens à remercier pour sa présence cet après-midi. Monsieur le Commissaire, vous êtes aujourd'hui à Paris où se tient en ce moment le Salon international de l'agriculture. Plusieurs d'entre nous nous y sommes rendus, à la rencontre des agriculteurs et des éleveurs français, et nous avons pu entendre leur inquiétude. En effet, la nouvelle politique agricole commune, décidée par l'Union européenne pour la période 2021-2027, est entrée en vigueur il y a tout juste deux mois. La Commission européenne a validé tous les plans stratégiques nationaux. Il ressort selon moi trois motifs d'inquiétude légitime :

- la soutenabilité du renforcement des ambitions environnementales ;

- la concurrence déloyale au sein de l'Union, du fait du nouveau mode de mise en oeuvre décentralisé de la PAC, mais aussi de la part des pays tiers bénéficiaires d'accords commerciaux ;

- la baisse en termes réels du budget de cette nouvelle PAC, baisse que nous avions déjà déplorée en 2021 mais qui est encore plus forte que nous le redoutions, puisque l'inflation annuelle dépasse aujourd'hui largement l'hypothèse de 2 % sur laquelle était construit le cadre financier pluriannuel de l'Union européenne.

Sur tous ces points, le Sénat français a sonné l'alarme à plusieurs reprises. Dans une résolution du 6 mai 2022, notre assemblée a notamment posé la question de la soutenabilité économique du Pacte vert qui, selon plusieurs études indépendantes, risque de faire reculer la production agricole européenne de 5 % à 20 % d'ici 2030, suivant les filières et les scénarios étudiés. Monsieur le Commissaire, quand la Commission européenne publiera-t-elle enfin les résultats de l'étude d'impact complète du volet agricole du Pacte vert ? Renoncer d'ici 2030 à 10 % de la surface agricole utile européenne, tout en diminuant de plus de 50 % l'utilisation des pesticides et en quadruplant (à 25 %) les terres converties au « bio », n'est-ce pas opter nécessairement pour la décroissance ? Pourtant, la guerre en Ukraine change la donne : déjà, elle renchérit fortement le prix des engrais et celui de l'énergie et provoque un afflux d'importations de produits agricoles ukrainiens exemptés de droits de douane. Mais surtout, cette guerre rappelle à l'Union l'impératif de souveraineté alimentaire, reconnu par les 27 au sommet de Versailles il y a un an. Dès lors, comment justifiez-vous que le volet agricole du Pacte vert n'ait fait, depuis lors, l'objet d'aucune réorientation de fond, mis à part quelques ajustements à la marge ?

Le deuxième défi auquel notre agriculture est donc confrontée est celui des accords commerciaux. Le Pacte vert repose sur le postulat qu'une hausse de la qualité des produits garantira de meilleurs revenus à nos agriculteurs. Or, Monsieur le Commissaire, les accords commerciaux conclus par l'Union favorisent les importations de produits bon marché qui ne répondent pas aux mêmes standards environnementaux et sanitaires que les produits de l'Union. Je pense notamment à l'accord de libre-échange avec le Mercosur, qui, s'il était ratifié, faciliterait les importations de viande bovine en provenance du Brésil, alors que des antibiotiques activateurs de croissance y sont encore utilisés. Dans quelle mesure soutenez-vous l'insertion de clauses miroirs dans les accords commerciaux, engageant les pays tiers à mettre en conformité leurs modes de production avec ceux que nous nous imposons au titre du Pacte vert ? Le Président de la République française a annoncé samedi un nouveau plan destiné à diminuer l'usage des pesticides, dans la droite ligne des exigences européennes. Dernièrement, la décision de la Cour de justice de l'Union européenne d'en finir définitivement avec les néonicotinoïdes a pris de court les planteurs de betteraves français, qui vont assurément perdre des cultures, faute de pouvoir les protéger efficacement contre la jaunisse. À court terme, prévoyez-vous d'activer une mesure de crise pour leur venir en aide ? Et, à plus long terme, comment comptez-vous les préserver contre toute distorsion de concurrence en matière d'usage de tels pesticides que l'Europe s'interdit mais que d'autres continuent d'utiliser ?

Ma troisième préoccupation est d'ordre budgétaire : le taux d'inflation avoisine actuellement 10 % dans la plupart des États membres. Selon une étude de Farm Europe, le budget de la PAC diminuerait ainsi de plus de 85 milliards d'euros en termes réels au cours de la période 2021-2027 par rapport à 2020, soit une baisse de l'ordre de 22 %. La Commission entend-elle tirer parti de la révision obligatoire du cadre financier pluriannuel à mi-parcours pour proposer de réévaluer le budget de la PAC en termes réels, alors même que le contexte géopolitique risque de plaider pour d'autres priorités budgétaires ?

J'en reste là et vous laisse la parole, mais je suis convaincu que nous aurons encore d'autres questions importantes à aborder dans l'échange qui suivra votre propos liminaire. Je vous cède donc la parole, Monsieur le Commissaire.

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