Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui le commissaire européen à l'agriculture, M. Janusz Wojciechowski, que je tiens à remercier pour sa présence cet après-midi. Monsieur le Commissaire, vous êtes aujourd'hui à Paris où se tient en ce moment le Salon international de l'agriculture. Plusieurs d'entre nous nous y sommes rendus, à la rencontre des agriculteurs et des éleveurs français, et nous avons pu entendre leur inquiétude. En effet, la nouvelle politique agricole commune, décidée par l'Union européenne pour la période 2021-2027, est entrée en vigueur il y a tout juste deux mois. La Commission européenne a validé tous les plans stratégiques nationaux. Il ressort selon moi trois motifs d'inquiétude légitime :
- la soutenabilité du renforcement des ambitions environnementales ;
- la concurrence déloyale au sein de l'Union, du fait du nouveau mode de mise en oeuvre décentralisé de la PAC, mais aussi de la part des pays tiers bénéficiaires d'accords commerciaux ;
- la baisse en termes réels du budget de cette nouvelle PAC, baisse que nous avions déjà déplorée en 2021 mais qui est encore plus forte que nous le redoutions, puisque l'inflation annuelle dépasse aujourd'hui largement l'hypothèse de 2 % sur laquelle était construit le cadre financier pluriannuel de l'Union européenne.
Sur tous ces points, le Sénat français a sonné l'alarme à plusieurs reprises. Dans une résolution du 6 mai 2022, notre assemblée a notamment posé la question de la soutenabilité économique du Pacte vert qui, selon plusieurs études indépendantes, risque de faire reculer la production agricole européenne de 5 % à 20 % d'ici 2030, suivant les filières et les scénarios étudiés. Monsieur le Commissaire, quand la Commission européenne publiera-t-elle enfin les résultats de l'étude d'impact complète du volet agricole du Pacte vert ? Renoncer d'ici 2030 à 10 % de la surface agricole utile européenne, tout en diminuant de plus de 50 % l'utilisation des pesticides et en quadruplant (à 25 %) les terres converties au « bio », n'est-ce pas opter nécessairement pour la décroissance ? Pourtant, la guerre en Ukraine change la donne : déjà, elle renchérit fortement le prix des engrais et celui de l'énergie et provoque un afflux d'importations de produits agricoles ukrainiens exemptés de droits de douane. Mais surtout, cette guerre rappelle à l'Union l'impératif de souveraineté alimentaire, reconnu par les 27 au sommet de Versailles il y a un an. Dès lors, comment justifiez-vous que le volet agricole du Pacte vert n'ait fait, depuis lors, l'objet d'aucune réorientation de fond, mis à part quelques ajustements à la marge ?
Le deuxième défi auquel notre agriculture est donc confrontée est celui des accords commerciaux. Le Pacte vert repose sur le postulat qu'une hausse de la qualité des produits garantira de meilleurs revenus à nos agriculteurs. Or, Monsieur le Commissaire, les accords commerciaux conclus par l'Union favorisent les importations de produits bon marché qui ne répondent pas aux mêmes standards environnementaux et sanitaires que les produits de l'Union. Je pense notamment à l'accord de libre-échange avec le Mercosur, qui, s'il était ratifié, faciliterait les importations de viande bovine en provenance du Brésil, alors que des antibiotiques activateurs de croissance y sont encore utilisés. Dans quelle mesure soutenez-vous l'insertion de clauses miroirs dans les accords commerciaux, engageant les pays tiers à mettre en conformité leurs modes de production avec ceux que nous nous imposons au titre du Pacte vert ? Le Président de la République française a annoncé samedi un nouveau plan destiné à diminuer l'usage des pesticides, dans la droite ligne des exigences européennes. Dernièrement, la décision de la Cour de justice de l'Union européenne d'en finir définitivement avec les néonicotinoïdes a pris de court les planteurs de betteraves français, qui vont assurément perdre des cultures, faute de pouvoir les protéger efficacement contre la jaunisse. À court terme, prévoyez-vous d'activer une mesure de crise pour leur venir en aide ? Et, à plus long terme, comment comptez-vous les préserver contre toute distorsion de concurrence en matière d'usage de tels pesticides que l'Europe s'interdit mais que d'autres continuent d'utiliser ?
Ma troisième préoccupation est d'ordre budgétaire : le taux d'inflation avoisine actuellement 10 % dans la plupart des États membres. Selon une étude de Farm Europe, le budget de la PAC diminuerait ainsi de plus de 85 milliards d'euros en termes réels au cours de la période 2021-2027 par rapport à 2020, soit une baisse de l'ordre de 22 %. La Commission entend-elle tirer parti de la révision obligatoire du cadre financier pluriannuel à mi-parcours pour proposer de réévaluer le budget de la PAC en termes réels, alors même que le contexte géopolitique risque de plaider pour d'autres priorités budgétaires ?
J'en reste là et vous laisse la parole, mais je suis convaincu que nous aurons encore d'autres questions importantes à aborder dans l'échange qui suivra votre propos liminaire. Je vous cède donc la parole, Monsieur le Commissaire.
Je vous remercie, Monsieur le Président. Chers membres de la commission, je vous remercie de votre invitation et je suis très honoré de pouvoir m'exprimer devant vous à nouveau. Je suis également très heureux de pouvoir le faire directement : la fois précédente, les circonstances différaient et je n'avais donc pu vous rencontrer qu'à distance. La période actuelle est un moment clef pour l'agriculture européenne, comme vous l'avez dit, Monsieur le Président. Elle marque l'entrée en vigueur de la politique agricole commune dans sa nouvelle version. Elle repose, comme vous le savez, sur 28 stratégies puisqu'en Belgique, il y a deux stratégies différentes correspondant à chacune des deux régions principales constituant ce pays.
Je souhaiterais cependant formuler une remarque d'emblée : grâce aux agriculteurs, la sécurité alimentaire est assurée malgré la crise que nous vivons actuellement et la crise sanitaire qui a frappé l'Union européenne et le monde en 2020 et 2021. Nous sommes confrontés, avec la guerre entre la Russie et l'Ukraine, à de grands risques pouvant mettre en danger le système alimentaire mondial. Les producteurs et les exportateurs de céréales jouent un rôle important dans la sécurité alimentaire mondiale. Grâce aux agriculteurs européens, et tout particulièrement aux agriculteurs français, les produits agricoles sont restés disponibles partout en Europe. Nous devons leur être reconnaissants.
Cela étant, les perspectives qui s'offrent à l'agriculture européenne peuvent légitimement susciter de grandes inquiétudes aux citoyens de l'Union et à leurs représentants. Tout d'abord, nous avons pris connaissance du recensement agricole au sein de l'Union européenne. Cette étude a donc été conduite dans tous les pays de l'Union dans lesquels nous avons comparé l'évolution de la situation agricole entre 2010 et 2020. Nous pouvons constater des tendances négatives durant cette décennie. En premier lieu, le nombre de fermes dans l'Union européenne a diminué puisque nous avons perdu 3 millions d'exploitations entre 2010 et 2020. En 2010, nous en comptabilisions 12 millions contre seulement 9 millions à présent. Nous perdons 800 exploitations par jour. En France, plus de 24 % des exploitations agricoles ont disparu en dix ans. Tandis qu'on en comptabilisait 516 000 en 2010, on en recensait 393 000 dix ans plus tard. Les situations diffèrent selon les pays de l'Union, mais, s'il est un constat sur lequel nous pouvons tous nous accorder, c'est que le nombre d'exploitations agricoles qui ont disparu sur le territoire de l'Union européenne est beaucoup trop important. La concentration des exploitations est un phénomène dont il faut tenir compte : le nombre de celles dont la surface est supérieure à cent hectares a crû entre 2010 et 2020. On en comptabilisait 286 000 en 2010, contre 327 000 en 2020. Enfin, les surfaces cultivées représentaient plus de 76 millions d'hectares au total en 2010 contre 82 millions d'hectares en 2020. En France, nous sommes passés, sur la même période, de 16 millions d'hectares à 18,5 millions d'hectares.
La réduction des zones agricoles constitue une autre tendance inquiétante. En 2010, on comptabilisait 159 millions d'hectares de zones agricoles. En 2020, elles ne représentaient plus que 157,5 millions d'hectares. En une décennie, nous avons donc perdu 1,5 million d'hectares de zones agricoles sur le territoire de l'Union. Cette réduction concerne aussi la France, où elles sont passées de 27,8 millions d'hectares à 27,3 millions d'hectares, soit une diminution de l'ordre de 2 %. Par ailleurs, il nous faut évoquer le faible renouvellement générationnel chez les agriculteurs : l'âge moyen au sein de l'Union européenne est passé de 55 à 57 ans et33 % d'entre eux ont plus de 65 ans. Nous devons donc répondre à de nombreux défis.
S'agissant des plans stratégiques de la PAC, la France est, comme vous le savez, un des premiers pays dont le plan national a été accepté. Notre ambition est d'anticiper l'avenir de la PAC après 2027, si possible avant la fin du mandat actuel de la Commission européenne. Il convient donc d'engager des discussions et des échanges, notamment avec vous.
Quels sont ces principaux défis conditionnant l'avenir de l'agriculture en Europe ? J'en ai identifié quatre : la sécurité, la stabilité, la durabilité et la soutenabilité. Quand je parle de sécurité, je parle de sécurité alimentaire. L'agriculture a, en effet, d'abord vocation à garantir la sécurité alimentaire. Les politiques européennes doivent poursuivre aussi cet objectif. Quels sont les risques associés ? Je songe tout d'abord au budget dédié à la PAC. L'Union européenne consacre environ 60 milliards d'euros par an à sa politique agricole commune. Le budget pour la période 2023-2027 s'élève en effet à 307 milliards d'euros en incluant les cofinancements nationaux. Mais cela ne représente que 0,4 % du PIB européen. J'estime qu'un tel montant n'est pas suffisant pour garantir la sécurité alimentaire européenne. Le second défi est celui de la stabilité, celle des revenus des agriculteurs et du nombre d'agriculteurs. Le défi auquel se trouve confrontée l'agriculture européenne réside dans l'absence d'outils permettant de gérer les crises que les agriculteurs doivent affronter, notamment sur le plan géopolitique. En effet, les questions politiques ont un impact sur l'agriculture européenne et, partant, sur les agriculteurs européens. On invoque alors l'aide de l'État, mais cette dernière n'est pas suffisante. Il convient donc de renforcer les outils européens de gestion de crise, et de mettre en oeuvre davantage d'outils à la disposition de tous les agriculteurs européens pour les aider à affronter les crises.
Le troisième défi est celui de la soutenabilité. Nous devons continuer la réforme des politiques agricoles européennes, notamment sur le plan environnemental. Des programmes de valorisation de l'agriculture respectueuse de l'environnement ont été lancés. Ils doivent être, le cas échéant, soutenus car ils contribuent à la sécurité alimentaire européenne. Je me réjouis de constater que nous avons contribué à la préservation de la sécurité alimentaire mondiale. Nous devons prendre en compte le rôle de l'Union européenne qui entend en ce domaine assurer sa mission de solidarité. Ce troisième défi nous renvoie au quatrième, celui de la durabilité. Je vous remercie de votre attention et je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.
Monsieur le Commissaire, je souhaiterais vous interroger sur la problématique que rencontre la filière des betteraves avec la disparition annoncée de l'utilisation en France des néonicotinoïdes du fait de la transposition française d'une directive européenne. La Cour de justice de l'Union européenne interdit le système de dérogation qui avait été octroyé en France et qui permettait le traitement des semences par des néonicotinoïdes, créant une distorsion de concurrence entre la France et les autres pays européens dans le domaine de la production de sucres de betterave. Un important programme de recherche avait été développé pour substituer à terme de nouveaux produits aux produits chimiques. Dans l'immédiat, il nous faut trouver le moyen de soutenir notre filière de betteraves pendant trois ans, le temps que ce programme aille à son terme. La Commission européenne, Monsieur le Commissaire, envisage-t-elle de soutenir la filière française afin de rétablir une concurrence équitable ou est-elle disposée à accorder à la France une dérogation sur la règle de minimis pour soutenir à bonne hauteur les producteurs français ?
M. Olivier Rietmann. - Monsieur le Commissaire, j'ai été désigné par la présidente de la Commission des Affaires économiques en qualité de rapporteur d'une mission d'information sur la « viande issue de cultures cellulaires ». Nous publierons notre rapport à la mi-mars 2023 et j'espère qu'il sera lu avec attention à Bruxelles car il se veut dépassionné et consensuel et qu'il reviendra à la Commission européenne d'autoriser (ou non) ces produits issus de cultures cellulaires au sein de l'Union. Le 1er février 2023, vous avez répondu à une question écrite qui vous était posée par un parlementaire européenconcernant le réexamen possible de votre position en matière de protéines. Vous avez indiqué que cette révision permettrait « de promouvoir la production de protéines végétales et alternatives dans l'Union européenne ». Je souhaite savoir si vous incluez dans ce propos les viandes issues de cultures cellulaires. Il semblerait, à ma connaissance, que les seules subventions publiques à l'innovation versées en France en ce domaine ont été cofinancées sur des fonds européens. Pouvez-vous nous dire si cela relève d'un programme en particulier ? Dans l'hypothèse où le produit serait autorisé, seriez-vous prêt à établir des règles de dénomination ou d'étiquetage ? Quelles sont les pistes que vous avez pu, en la matière, d'ores et déjà envisager ? Quel est votre avis sur les réglementations qui visent à interdire l'usage du mot « viande » ou du mot « lait » et, plus globalement, à tout mot décrivant des produits d'origine animale ?
Mme Patricia Schillinger. - Je serai très brève car mon collègue a posé la question sur les betteraviers. Demain, Monsieur le Commissaire, vous allez rencontrer le Ministre français de l'Agriculture à ce sujet. Je souhaiterais connaître votre position.
Je vous remercie pour ces trois premières questions. Je vais tout d'abord répondre à celle sur les néonicotinoïdes. Je suis conscient de votre extrême sensibilité à ce sujet et de ses implications sur la production de betteraves en Europe et, plus spécifiquement, en France. Nous savons que, durant l'année qui a suivi l'interdiction de ces néonicotinoïdes, de nombreux pays, notamment la France qui est le premier producteur de sucre de betterave en Europe, ont enregistré des pertes agricoles du fait du virus qui a touché leur production. Il me semble que la production de betteraves sera moindre en 2023 que ce qu'elle était en 2020. Il nous faut trouver une entente générale entre les pays de l'Union et assurer un suivi optimal après l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne. Il nous faut soutenir les agriculteurs qui subissent cette perte. Il serait intéressant de savoir si vous avez vous-même identifié des solutions concrètes. Des produits alternatifs existent déjà au sein de l'Union européenne. Certains présentent un taux d'efficacité de plus de 90 %. Ils sont des alternatives aux néonicotinoïdes et peuvent donc être utilisés dans la culture de betteraves. Il y en a certains qui n'ont pas encore été approuvés. Nous entendons développer les programmes de recherche permettant de préserver les cultures et la sauvegarde de la nature.
Une autre question m'a été posée concernant les produits alternatifs à la production animale. Je vais répondre très directement : il n'y a aucune intention d'interdire ces produits en Europe. De nombreux instruments soutiennent ces secteurs, notamment les programmes visant à soutenir les agriculteurs qui prennent un soin particulier de leurs animaux. La production de la viande durable est donc soutenue par l'Union européenne.
Olivier Rietmann vous interroge sur les produits alternatifs issus de cultures cellulaires, Monsieur le Commissaire. Peut-être les traducteurs n'ont-ils pas bien compris les tenants et aboutissants de cette question ?
Je rappelle que ma question vise à savoir si le Commissaire Wojciechowski est susceptible de considérer que les « viandes artificielles » sont une alternative qui sera prise en compte dans le plan « protéines » européen et si elles seront soutenues et autorisées. En outre, la Commission européenne a-t-elle l'intention de restreindre l'usage des mots « viandes » et « lait » pour ces viandes artificielles ?
Janusz Wojciechowski - S'agissant de l'étiquetage, cette question n'est pas de mon ressort. Je puis cependant vous certifier que l'Union européenne soutient fermement les producteurs de lait et de viande.
Pour approfondir la réponse, je propose au Commissaire de lui remettre par écrit la question de notre collègue, à qui nous transmettrons la réponse de la Commission.
Monsieur le Commissaire, l'inflation entraîne une envolée des prix des engrais de synthèse. La dépendance de l'agriculture européenne à ces engrais est donc encore davantage criante, voire encore plus dommageable. Cette dépendance coûte très cher aux agriculteurs, puisqu'elle entraîne des dommages sur la fertilité de nos sols et la qualité des cultures. Il importe donc d'échapper à cette dépendance et je crois pouvoir dire que l'Union européenne en a clairement l'intention. Or, depuis des mois, la guerre entre la Russie et l'Ukraine remet en valeur un modèle agricole dont il nous faudrait pourtant sortir. Je souhaiterais savoir, Monsieur le Commissaire, si cette dérive ne vide pas de sa substance la politique environnementale européenne que la Commission tente de mener. Comment enrayer cette dérive ?
Je souhaite, Monsieur le Commissaire, vous poser une question très générale : l'Union européenne veut-elle encore disposer d'agriculteurs? Nous pouvons en douter au regard de toutes les barrières qu'ils rencontrent. Comme je l'ai dit à votre collègue M. Timmermans, les politiques européennes vont « trop vite et trop fort », comme en témoigne la récente affaire des betteraves. Cela étant posé, je souhaiterais vous poser des questions plus précises, Monsieur le Commissaire. La Commission européenne a récemment validé une mesure trop limitée et trop tardive de suspension des droits (auparavant 6,5 %) à l'importation d'engrais. Toutefois, pour que cette mesure soit efficace, il faudrait qu'elle soit prolongée et élargie à tous les engrais azotés. Comptez-vous vous saisir de ce point ? Par ailleurs, l'adoption du règlement pour une utilisation durable des pesticides (règlement SUR) aura pour conséquence une diminution de 20 % de la production agricole européenne. Ce projet doit donc être amélioré sur deux sujets : en premier lieu, il ne faut pas décréter d'interdiction sans prévoir des solutions. Aussi, il faut que les produits phytosanitaires disparaissent au fur et à mesure que des solutions alternatives surgissent. Il ne faut pas d'interdictions dans les zones « Natura 2000 » à moins qu'elles ne soient justifiées par des motifs scientifiques,sans quoi cela conduirait à l'interdiction de l'agriculture sur de nombreux territoires français. Seriez-vous, Monsieur le Commissaire, disposé à modifier le contenu de ce projet de règlement ? Par ailleurs, la Commission européenne annonce pour la mi-2023 une proposition réglementaire sur les nouvelles techniques génomiques. Il me semble essentiel que les agriculteurs européens aient accès à ces nouvelles techniques, qui sont les seules, à ma connaissance, leur permettant d'obtenir de nouvelles variétés essentielles dans des délais rapides, notamment des blés résistants à de nouvelles maladies ou à la sécheresse.
Didier Marie - J'inscrirai mon propos dans la continuité de celui de ma collègue au sujet du projet de règlement SUR qui est en débat au Parlement européen en ce moment. Je m'inquiète des retards qui sont pris dans l'examen de ce projet de règlement et notamment des freins qui sont mis par la commission « Agriculture » du Parlement européen. De quelle façon la Commission européenne entend-elle surmonter ces difficultés et mener les négociations permettant de faire aboutir ce très important dossier ? Par ailleurs, le Président de la République française a évoqué il y a peu de temps la nécessité de mettre en oeuvre les clauses miroir sur les sujets environnementaux et sur les sujets sanitaires dans les négociations de libre-échange, en particulier avec le Mercosur. Qu'en pensez-vous ? Je terminerai mon propos en évoquant la sécheresse inédite à laquelle la France est confrontée. Un certain nombre de mesures ont d'ores et déjà été prises par les pouvoirs publics. Pensez-vous, Monsieur le Commissaire, que la Commission européenne puisse aider notre pays à traverser cette difficile épreuve ?
Je vous remercie de vos questions. Nous observons une augmentation des coûts de production en raison du contexte inflationniste qui prévaut au sein de l'Union européenne en ce moment. L'agriculture subit de plein fouet cette inflation qui frappe particulièrement le coût des engrais. Par exemple, le coût des engrais azotés a cru de 140 % sur les douze derniers mois glissants. Ceci constitue un facteur déterminant dans l'inflation que les produits alimentaires subissent. Nous avons donc pris des mesures afin d'aider les agriculteurs confrontés à cette inflation. Une autre aide a été proposée aux producteurs d'engrais eux-mêmes afin qu'ils contiennent la hausse de leurs prix. Nous observons des effets positifs puisque, dans les mois qui ont suivi, les prix des engrais ont baissé de 30 %. Nous ne sommes pas du tout face aux mêmes prix qu'au mois d'octobre 2022.
La PAC soutient, par ailleurs, des méthodes alternatives à l'utilisation des engrais par le biais de ses éco-programmes. Nous avons d'ailleurs incité les États membres à les déployer ou à amender les plans stratégiques qu'ils ont adoptés afin d'introduire de nouveaux instruments permettant de réduire la dépendance des agriculteurs aux engrais synthétiques et de les aider à adopter des engrais naturels. La Pologne a amendé sa propre stratégie, mais elle ne doit pas être la seule.
Concernant la réglementation européenne sur les pesticides, la Commission européenne a présenté une proposition ambitieuse permettant de réduire leur utilisation à hauteur de 50 %. Le projet a été transmis au Conseil européen. Pour nous, l'enjeu est de trouver une solution équilibrée respectant les intérêts de chacun. En effet, les usages en matière de pesticides varient selon les pays de l'Union européenne. Certains les utilisent massivement quand d'autres les limitent drastiquement. Il y a même une opposition en la matière entre les États membres. Concernant les nouvelles techniques génomiques, suivant une requête du Conseil européen datant de 2019, la Commission européenne a mené une étude en se basant sur la législation relative aux OGM. Cette dernière doit déboucher sur une législation qui devrait être approuvée à la mi-2023.
Concernant enfin la sécheresse que subissent nombre de pays européens, sachez que la Commission européenne a parfaitement conscience de ses effets tout à fait dramatiques. Par exemple, l'année dernière, nous avons enregistré une réduction de la récolte de maïs en Europe de l'ordre de 27 % ! La France subit, elle aussi, ce phénomène climatique. Les éco-programmes élaborés dans le cadre de la PAC sont susceptibles de permettre la limitation de l'utilisation de l'eau dans les pays de l'Union. Il nous semble ainsi opportun de préserver les prairies qui sont nécessaires à l'utilisation de l'eau. Des mesures de gestion des sols ont aussi été prises pour prévenir leur érosion. La gestion de l'eau utilisée en matière d'irrigation fait également l'objet d'une réglementation spécifique. Je rappelle que l'Union favorise l'agriculture « stratégique » permettant de sauvegarder l'eau, ainsi que la culture biologique, qui permet une utilisation réduite de l'eau. Nous cherchons enfin à protéger la qualité de l'eau en réduisant le recours à des engrais synthétiques : tout cela est couvert par la PAC.
Monsieur le Commissaire, j'aurais deux questions à vous soumettre. La première concerne l'enveloppe globale des crédits « PAC » prévus dans le programme financier pluriannuel de l'Union européenne. Il nous a été indiqué que cette enveloppe à euros constants correspondrait à seulement 70 % des crédits initialement prévus, ce qui n'est pas sans manquer d'inquiéter les agriculteurs, en particulier les éleveurs dont les résultats sont à la fois le fruit des aides qu'ils touchent et de leur propre production. Je souhaiterais donc connaître l'opinion de la Commission européenne sur ce sujet très inquiétant. Ma seconde question porte sur la séquestration du carbone. Quelle est l'opinion de la Commission européenne sur la fiabilité de ce que l'on appelle les crédits de carbone farming ?
L'eau est un élément vital pour nos agriculteurs dans le cadre des cultures dont ils ont la responsabilité comme pour nos concitoyens dans un usage domestique et sanitaire. De nombreux sénateurs sont issus de territoires transfrontaliers ou littoraux et ils savent que les eaux sont parfois transfrontalières et nécessitent, de ce fait, une harmonisation de leur usage, de part et d'autre des frontières. Or, de très nombreux facteurs viennent altérer nos ressources en eau et engendrent des différences de gestion. Parmi eux, nous pouvons citer les phénomènes climatiques extrêmes, l'accroissement des populations, une augmentation de la consommation d'eau, le morcellement des structures existantes et le détournement excessif des ressources publiques en eau à des fins privées. Au-delà de ce que vous avez évoqué à l'instant, Monsieur le Commissaire, concernant les moyens techniques permettant de préserver les ressources en eau de nos pays, avez-vous des projets en matière législative permettant d'y contribuer directement tout en n'obérant pas le développement agricole ?
Monsieur le Commissaire, je travaille avec le collègue qui s'est précédemment exprimé sur une mission d'information que nous a confiée il y a peu la présidente de la Commission des Affaires économiques. Je voulais revenir, indépendamment de cela, sur un sujet à propos duquel je vous avais alerté par écrit, en l'occurrence le projet de révision des normes de commercialisation européenne des volailles de chair, projet de révision qui a suscité l'inquiétude de nombreux agriculteurs, en particulier dans mon département avec l'Appellation d'origine protégée (AOP) « Volaille de Bresse ». Nous vous avions alerté sur le risque découlant de ce projet, en l'occurrence le risque de porter atteinte à une filière agricole de qualité, mais aussi et surtout le risque d'une régression de l'information des consommateurs. Vous m'aviez indiqué, Monsieur le Commissaire, partager ma préoccupation. Pouvez-vous donc nous détailler plus précisément de quelle façon vous envisagez de réviser ce projet et quelles en sont les prochaines étapes ?
Je vous remercie pour vos questions. Je voudrais d'abord réagir à l'évocation des clauses « miroir ». Il est très important pour la Commission européenne que les mêmes normes s'appliquent à nos producteurs et aux produits qui sont importés de pays tiers. Dans tous les accords de libre-échange, nous incluons donc, autant que faire se peut, ce principe de réciprocité, mais ce n'est pas toujours possible : il nous faut respecter les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Parfois nos normes de production sont très exigeantes et il est difficile d'obtenir la réciprocité de nos interlocuteurs. Quoi qu'il en soit, nous promouvons ce principe dans toutes les négociations que nous conduisons. Par exemple, l'accord avec la Nouvelle-Zélande qui a été négocié l'année passée inclut une clause « miroir » et une complète réciprocité des normes en vigueur.
Concernant la séquestration du carbone, le carbone farming est partie intégrante de l'éco-programme. Beaucoup de pays ont donc décidé de l'inclure. Les agriculteurs ont reçu les revenus additionnels correspondant à cette pratique. Un système de certification est en cours de préparation.
En ce qui concerne la gestion des eaux, beaucoup d'instruments ont été déployés au moyen de la PAC. Citons l'éco-programme, le financement du deuxième pilier de la PAC. Des instruments peuvent donc être utilisés au sein de la PAC.
S'agissant in fine de la volaille, les normes marketing sont en cours de révision pour différents secteurs agricoles. Cette révision a été précédée d'une consultation publique. Nous en sommes à l'étape de la discussion des experts issus des 27 États membres. La France ne peut que se réjouir de la façon dont cette discussion évolue, puisque, jusqu'à présent, la discussion entre les experts préserve considérablement les intérêts de l'industrie alimentaire française. À titre d'exemple, le foie gras n'est pas concerné par ce projet de législation. Certains rapports sont cependant relativement inquiétants. La Commission européenne envisage, par exemple, de faire disparaître le label rouge. Je voudrais être très clair avec vous : la révision des standards marketing n'a strictement rien à voir avec la qualité de la volaille. La Commission a plutôt l'intention de permettre des contrôles et une nouvelle dénomination. Les États membres poursuivent leurs discussions.
M. Pierre Cuypers. - Monsieur le Commissaire, la France, et au-delà d'elle, l'Union sont très dépendantes pour satisfaire leurs besoins en protéines. J'évalue ce déficit pour la France à 50 % de ses besoins. Produire ce que nous consommons serait un minimum. Notre souveraineté protéique devrait être, pour la Commission européenne, une priorité. Envisagez-vous donc un plan « protéines » pour l'Union qui garantirait la sécurisation de nos approvisionnements pour nos élevages et l'alimentation de nos concitoyens ?
Monsieur le Commissaire, je vous remercie des réponses que vous avez apportées à mes collègues. Dans le contexte climatique et économique, l'avenir des polycultures d'élevage est en question en France comme en Europe. Les territoires sur lesquels ces polycultures sont implantées sont soumis à des caractéristiques climatiques très contraignantes. Le risque est que l'activité agricole disparaisse et qu'il en soit de même de l'activité économique comme de la vie sociale. Ce processus de disparition a déjà été entamé sur nombre de ces territoires. La Commission européenne envisage-t-elle de faire évoluer les règles applicables aux zones défavorisées pour améliorer leur accès et leur éligibilité à ce dispositif ? La Commission européenne envisagerait-elle un règlement comparable à celui qui peut exister déjà pour les zones intermédiaires entre les zones à fort rendement et les zones de montagne ? L'enjeu est de sauver ces territoires de polycultures d'élevage qui connaissent de très grandes difficultés.
Je vais être très courte : mon propos s'inscrit dans la continuité de celui de Pierre Cuypers. Ce matin, je me suis rendue au Salon international de l'agriculture et la question de notre dépendance aux protéines végétales y a été évoquée à plusieurs reprises. Notre dépendance à des pays tiers tels que le Brésil ou l'Argentine est problématique et emporte des conséquences graves en termes environnementaux. Je veux parler de la déforestation qu'entraîne la production de ces protéines et de l'émission de gaz à effets de serre liée à leur transport. En 2022, de nombreux États membres avaient appelé de leurs voeux à la mise en oeuvre d'un plan européen en faveur des protéines. Vous avez pris un engagement en la matière en annonçant pour la fin de 2022 un plan européen. Qu'en est-il exactement, Monsieur le Commissaire ?
Concernant la souveraineté protéique de l'Union, je vous confirme que la Commission européenne prépare une stratégie européenne de la protéine. Cette stratégie, qui sera dévoilée au cours du premier semestre de 2024, s'appuiera sur le plan de 2017 en y intégrant des objectifs de durabilité ainsi que les réalités de marché. Cette stratégie aura donc une dimension plus globale et analysera la demande de protéines dans le secteur de l'élevage. Elle ambitionnera d'accroître la part de la protéine végétale. Nous irions donc au-delà de ce que prévoit la PAC en la matière en priorisant les produits alimentaires à faible impact climatique, de façon systémique. Cela va mobiliser tous les acteurs publics et privés au niveau national et européen. À cet effet, nous nous réjouissons de votre participation active et de votre expérience car elles nous seront très précieuses. Nous pourrons ainsi nous rapprocher de nos objectifs de sécurité alimentaire tout en limitant les impacts climatiques et environnementaux de la production des protéines.
S'agissant des territoires de polyculture d'élevage, je partage le point de vue qui est exprimé : nous assistons progressivement à la disparition des exploitations qui sont dédiées aux polycultures d'élevage. Nous le déplorons car ces polycultures sont absolument indispensables et doivent nous permettre d'atteindre nos objectifs stratégiques. Malheureusement, force est de constater que les exploitations de polyculture manquent de résilience. Preuve en est que nous avons, au cours de la précédente décennie, perdu nombre de ces exploitations. Sur le territoire de l'Union européenne, en 2010, nous disposions de 3 millions de ces exploitations pratiquant la polyculture. Nous en avons perdu 42 % en dix ans. En 2020, il en restait 1,8 million. Si l'on parle de la seule France, leur nombre est passé de 700 000 à 450 000 exploitations, soit - 45 %. C'est un problème grave qui ne saurait être pris à la légère. Nous devons donc soutenir ceux de nos agriculteurs qui pratiquent la polyculture. Des instruments existent, en particulier pour les inciter à recourir aux engrais naturels et à renoncer aux engrais synthétiques, ceci de manière à préserver leur indépendance vis-à-vis de ces engrais synthétiques. Quant à la question relative aux zones qui subissent des contraintes naturelles, je voudrais dire que cette alerte est inédite pour moi. Je vais donc me saisir de ce sujet car je ne dispose pas de toutes les informations me permettant de répondre à cette question.
Soyez vivement remercié, Monsieur le Commissaire, d'avoir pris la peine de répondre à l'ensemble de nos questions. La quasi-totalité des membres ici présents de la commission des Affaires européennes vous a interrogé. Je vous remercie sincèrement de votre disponibilité car j'ai conscience que votre programme est particulièrement chargé.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 20.