Je vous remercie, Monsieur le Président. Chers membres de la commission, je vous remercie de votre invitation et je suis très honoré de pouvoir m'exprimer devant vous à nouveau. Je suis également très heureux de pouvoir le faire directement : la fois précédente, les circonstances différaient et je n'avais donc pu vous rencontrer qu'à distance. La période actuelle est un moment clef pour l'agriculture européenne, comme vous l'avez dit, Monsieur le Président. Elle marque l'entrée en vigueur de la politique agricole commune dans sa nouvelle version. Elle repose, comme vous le savez, sur 28 stratégies puisqu'en Belgique, il y a deux stratégies différentes correspondant à chacune des deux régions principales constituant ce pays.
Je souhaiterais cependant formuler une remarque d'emblée : grâce aux agriculteurs, la sécurité alimentaire est assurée malgré la crise que nous vivons actuellement et la crise sanitaire qui a frappé l'Union européenne et le monde en 2020 et 2021. Nous sommes confrontés, avec la guerre entre la Russie et l'Ukraine, à de grands risques pouvant mettre en danger le système alimentaire mondial. Les producteurs et les exportateurs de céréales jouent un rôle important dans la sécurité alimentaire mondiale. Grâce aux agriculteurs européens, et tout particulièrement aux agriculteurs français, les produits agricoles sont restés disponibles partout en Europe. Nous devons leur être reconnaissants.
Cela étant, les perspectives qui s'offrent à l'agriculture européenne peuvent légitimement susciter de grandes inquiétudes aux citoyens de l'Union et à leurs représentants. Tout d'abord, nous avons pris connaissance du recensement agricole au sein de l'Union européenne. Cette étude a donc été conduite dans tous les pays de l'Union dans lesquels nous avons comparé l'évolution de la situation agricole entre 2010 et 2020. Nous pouvons constater des tendances négatives durant cette décennie. En premier lieu, le nombre de fermes dans l'Union européenne a diminué puisque nous avons perdu 3 millions d'exploitations entre 2010 et 2020. En 2010, nous en comptabilisions 12 millions contre seulement 9 millions à présent. Nous perdons 800 exploitations par jour. En France, plus de 24 % des exploitations agricoles ont disparu en dix ans. Tandis qu'on en comptabilisait 516 000 en 2010, on en recensait 393 000 dix ans plus tard. Les situations diffèrent selon les pays de l'Union, mais, s'il est un constat sur lequel nous pouvons tous nous accorder, c'est que le nombre d'exploitations agricoles qui ont disparu sur le territoire de l'Union européenne est beaucoup trop important. La concentration des exploitations est un phénomène dont il faut tenir compte : le nombre de celles dont la surface est supérieure à cent hectares a crû entre 2010 et 2020. On en comptabilisait 286 000 en 2010, contre 327 000 en 2020. Enfin, les surfaces cultivées représentaient plus de 76 millions d'hectares au total en 2010 contre 82 millions d'hectares en 2020. En France, nous sommes passés, sur la même période, de 16 millions d'hectares à 18,5 millions d'hectares.
La réduction des zones agricoles constitue une autre tendance inquiétante. En 2010, on comptabilisait 159 millions d'hectares de zones agricoles. En 2020, elles ne représentaient plus que 157,5 millions d'hectares. En une décennie, nous avons donc perdu 1,5 million d'hectares de zones agricoles sur le territoire de l'Union. Cette réduction concerne aussi la France, où elles sont passées de 27,8 millions d'hectares à 27,3 millions d'hectares, soit une diminution de l'ordre de 2 %. Par ailleurs, il nous faut évoquer le faible renouvellement générationnel chez les agriculteurs : l'âge moyen au sein de l'Union européenne est passé de 55 à 57 ans et33 % d'entre eux ont plus de 65 ans. Nous devons donc répondre à de nombreux défis.
S'agissant des plans stratégiques de la PAC, la France est, comme vous le savez, un des premiers pays dont le plan national a été accepté. Notre ambition est d'anticiper l'avenir de la PAC après 2027, si possible avant la fin du mandat actuel de la Commission européenne. Il convient donc d'engager des discussions et des échanges, notamment avec vous.
Quels sont ces principaux défis conditionnant l'avenir de l'agriculture en Europe ? J'en ai identifié quatre : la sécurité, la stabilité, la durabilité et la soutenabilité. Quand je parle de sécurité, je parle de sécurité alimentaire. L'agriculture a, en effet, d'abord vocation à garantir la sécurité alimentaire. Les politiques européennes doivent poursuivre aussi cet objectif. Quels sont les risques associés ? Je songe tout d'abord au budget dédié à la PAC. L'Union européenne consacre environ 60 milliards d'euros par an à sa politique agricole commune. Le budget pour la période 2023-2027 s'élève en effet à 307 milliards d'euros en incluant les cofinancements nationaux. Mais cela ne représente que 0,4 % du PIB européen. J'estime qu'un tel montant n'est pas suffisant pour garantir la sécurité alimentaire européenne. Le second défi est celui de la stabilité, celle des revenus des agriculteurs et du nombre d'agriculteurs. Le défi auquel se trouve confrontée l'agriculture européenne réside dans l'absence d'outils permettant de gérer les crises que les agriculteurs doivent affronter, notamment sur le plan géopolitique. En effet, les questions politiques ont un impact sur l'agriculture européenne et, partant, sur les agriculteurs européens. On invoque alors l'aide de l'État, mais cette dernière n'est pas suffisante. Il convient donc de renforcer les outils européens de gestion de crise, et de mettre en oeuvre davantage d'outils à la disposition de tous les agriculteurs européens pour les aider à affronter les crises.
Le troisième défi est celui de la soutenabilité. Nous devons continuer la réforme des politiques agricoles européennes, notamment sur le plan environnemental. Des programmes de valorisation de l'agriculture respectueuse de l'environnement ont été lancés. Ils doivent être, le cas échéant, soutenus car ils contribuent à la sécurité alimentaire européenne. Je me réjouis de constater que nous avons contribué à la préservation de la sécurité alimentaire mondiale. Nous devons prendre en compte le rôle de l'Union européenne qui entend en ce domaine assurer sa mission de solidarité. Ce troisième défi nous renvoie au quatrième, celui de la durabilité. Je vous remercie de votre attention et je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.