Intervention de Sophie Primas

Commission des affaires économiques — Réunion du 15 février 2023 à 9h30
Audition de M. Philippe Wahl président-directeur général du groupe la poste

Photo de Sophie PrimasSophie Primas, présidente :

Monsieur le président, mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste depuis désormais plus de neuf ans. Si vous êtes régulièrement reçu au Sénat et auditionné par nos rapporteurs, votre dernière audition plénière devant notre commission des affaires économiques date toutefois du 8 avril 2020, lors du premier confinement. La crise sanitaire et les mesures prises pour y faire face ont en effet eu des conséquences importantes sur les activités postales et la continuité des services publics, suscitant parfois l'incompréhension des élus et des usagers, notamment en matière de distribution de la presse.

Surtout, ces trois dernières années ont accéléré la baisse tendancielle des volumes de courriers échangés, et par conséquent la transformation et la diversification de La Poste en un groupe multi-activités et international. Le nombre de lettres transportées et distribuées est en effet passé de 18,4 milliards en 2008 à 7,3 milliards en 2021. C'est un bouleversement majeur qui n'est pas propre à la France ; une nouvelle donne qui suppose que La Poste se transforme. L'activité courrier ne représente en effet plus que 17,5 % du chiffre d'affaires du groupe ; un chiffre d'affaires qui demeure par ailleurs en forte hausse, atteignant 34,6 milliards d'euros en 2021.

Malgré ce chiffre d'affaires en hausse, La Poste demeure déficitaire sur les comptes des quatre missions de service public qu'elle exerce. Selon les dernières données dont nous disposons, le « déficit brut cumulé » de ces quatre missions est estimé à environ 1 milliard et 690 millions d'euros pour 2021. Après la prise en compte des quatre compensations budgétaires annuelles versées par l'État, le « déficit net cumulé » est réduit à environ 570 millions d'euros. Face à cette situation, le montant de l'aide financière versée par l'État à La Poste est désormais inédit : 1 milliard et 120 millions d'euros. Au Sénat, nous avions plaidé en ce sens. Cette évolution s'explique notamment par la décision du Gouvernement de verser jusqu'en 2025 une compensation budgétaire annuelle du déficit du service universel postal comprise entre 500 et 520 millions d'euros, pour un déficit estimé à plus de 600 millions d'euros en 2021 et à plus de 500 millions d'euros en 2022.

Si je prends le temps de vous rappeler les principaux chiffres et ordres de grandeur à garder en tête, c'est parce que les réformes nouvellement annoncées en ce début d'année, et déjà fortement critiquées, s'inscrivent pleinement dans ce contexte financier. En contrepartie des compensations budgétaires versées, le Gouvernement a en effet demandé à La Poste de poursuivre ses efforts de modernisation, de réduction des coûts et de recherche de gains de productivité. De notre point de vue, au regard de l'importance du soutien public dont bénéficie désormais La Poste, il me semble que nous devons être plus exigeants, surtout en matière de qualité de service et de présence territoriale.

Ainsi, la nouvelle réforme des services d'envois postaux, entrée en vigueur depuis le 1er janvier et consacrant notamment la suppression du « timbre rouge », devrait permettre de réaliser jusqu'à 500 millions d'euros d'économies par an. Monsieur le président, pourriez-vous nous présenter les grandes lignes de cette réforme ? Quelles seront précisément les économies réalisées ? Est-ce que cela se traduira par des suppressions d'effectifs supplémentaires et de nouvelles fermetures sur votre réseau de distribution ? Nous nous interrogeons notamment sur les économies liées à l'optimisation des tournées de distribution des facteurs. L'annonce de l'expérimentation de nouvelles tournées de distribution sur 68 sites a particulièrement fait réagir. Une annonce qui, je le rappelle tout de même, est intervenue sans aucune concertation préalable avec les élus, avec les maires des communes et des villes concernées, ce qui, monsieur le président, pose un sérieux problème de méthode. Sur le fond, nous comprenons bien que la logique est désormais la suivante : le facteur ne s'arrêtera plus chaque jour à chaque boîte aux lettres, mais le courrier à distribuer sera regroupé. En revanche, ce que nous ne comprenons pas, c'est l'assiette territoriale de cette réforme. Est-ce que le facteur continuera par exemple de passer six jours sur sept sur le territoire de chaque commune, même s'il ne s'arrête pas à chaque endroit ? Monsieur le président, je crois que, sur ce point, les élus ont besoin d'information de votre part.

Parmi les autres mesures annoncées, le remplacement de la lettre rouge par un nouveau service, la « e-lettre rouge », nous rend perplexes. D'un côté, vous accélérez la transformation numérique de votre groupe via votre filiale Docaposte, vous mobilisez vos facteurs en faveur de l'inclusion numérique et vous multipliez les partenariats avec les maisons France Services afin d'aider les plus vulnérables face aux difficultés des démarches administratives. De l'autre, vous proposez un service de substitution exclusivement numérique, qui ne semble pas pouvoir respecter la confidentialité et le secret des correspondances et qui ne pourra pas être utilisé par les 13 millions de personnes de notre pays en situation de précarité numérique.

Monsieur le président, quel est l'objectif, l'ambition poursuivie par la mise en oeuvre de ce nouveau service d'envoi postal qui suscite tant de perplexité ? Vous le comprenez, au travers de ces premières interrogations, nous exprimons ici la crainte d'une réduction déguisée du service public postal. Nous comprenons la nécessaire adaptation à l'évolution des usages, mais cette adaptation ne doit pas, en aucun cas, se faire au détriment de vos obligations légales de service public. Ces obligations sont conséquentes, car La Poste exerce aujourd'hui quatre missions de service public, soit davantage que ses équivalents européens. La question du maintien et de l'évolution de ces missions se posera peut-être dans les prochaines années et, de ce point de vue, nous observons avec inquiétude l'évolution du rôle de La Poste en matière de distribution de la presse.

La réforme dite « Giannesini » ayant été validée par la Commission européenne, les mesures proposées devraient rapidement entrer en vigueur, favorisant le portage plutôt que le postage des titres de presse. Pourriez-vous nous détailler les nouvelles mesures qui seront mises en place dès cette année ? Confirmez-vous que La Poste va bien continuer d'exercer sa mission de service public de transport et de distribution de la presse dans les prochaines années ? Que les titres de presse seront bien distribués avant midi sur l'ensemble du territoire ? Monsieur le président, je vous cède sans plus tarder la parole pour répondre à ces différentes questions, dans l'ordre qui vous conviendra le mieux.

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