Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du 9 mars 2023 à 10h30
Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 — Article 8, amendement 2127

Olivier Dussopt :

Je souhaite tout d’abord corriger certains propos.

Madame Poncet Monge, vous avez indiqué que l’invalidité et l’incapacité de travail étaient les premières causes de départ anticipé. Ce n’est pas exact.

Chaque année, sur les 42 % d’assurés qui prennent leur retraite avant l’âge légal « général », 22 % partent au titre d’un départ anticipé pour carrière longue et seulement 15 %, soit environ 100 000 personnes par an, le font pour des raisons liées à un état d’incapacité ou d’invalidité.

Nous aborderons ce sujet – le rapporteur l’a indiqué – dans le cadre de l’examen de l’article 9, car, comme j’ai eu l’occasion de le dire au début de nos travaux en séance publique ainsi qu’en commission, je ne me satisfais pas, ni humainement ni intellectuellement, qu’un assuré sur sept, peu ou prou, parte de manière anticipée pour des problèmes de santé.

L’enjeu est d’avancer en matière de prévention de la pénibilité. Il est en effet bien plus pertinent et satisfaisant de permettre, par la prévention, à un maximum d’assurés d’aller jusqu’à l’âge légal – quoi que l’on pense de cet âge – plutôt que de compenser des difficultés de santé par un départ anticipé de deux ans.

Je préfère que les assurés partent au bon âge et en bonne santé plutôt que de manière anticipée et en mauvaise santé. C’est tout l’enjeu de la prévention.

Vous avez indiqué, madame la sénatrice, que la portée de ce dispositif avait vocation à se restreindre. Si nous ne faisons rien et que nous nous en tenons au dispositif « carrières longues » – j’y reviendrai pour répondre à M. Joyandet –, celui-ci concernera en effet de moins en moins d’assurés. La raison en est simple : l’âge moyen d’entrée dans la vie active tendant à augmenter, le nombre de personnes ayant cotisé des trimestres suffisamment tôt pour bénéficier d’un dispositif « carrières longues » a mécaniquement vocation à baisser.

Le dispositif que nous vous proposerons d’adopter, qui prévoit une nouvelle borne d’âge, permet de contrecarrer une telle trajectoire.

La seconde inexactitude que je souhaite corriger porte sur la prise en compte du handicap, évoquée par Mmes Benbassa et Meunier.

Il n’y a pas de dégradation de la borne d’âge de départ anticipé des travailleurs handicapés, puisque nous maintenons purement et simplement celle-ci à 55 ans.

Vous avez par ailleurs indiqué, madame Meunier, que les critères de départ anticipé pourraient être plus restrictifs. Or c’est précisément l’inverse qui est prévu.

Actuellement, un assuré né en 1972 qui souhaite partir à 55 ans doit remplir une double condition : avoir cotisé 118 trimestres et en avoir validé 20 de plus, soit 138.

Alors que ces deux conditions sont aujourd’hui cumulatives, nous faisons de la durée de cotisation de 118 trimestres une condition exclusive de départ anticipé. Par conséquent, des assurés ayant cotisé 118 trimestres n’auront plus à se soucier de ces 20 trimestres supplémentaires, et le départ anticipé des travailleurs en situation de handicap s’en trouvera facilité.

Nous simplifions également – sans préjudice de ce que j’ai indiqué concernant la prévention – la procédure de départ anticipé pour incapacité, puisque le départ des travailleurs dont le taux d’incapacité est supérieur à 20 % sera automatique, alors qu’il est aujourd’hui conditionné à un avis médical. Nous considérons en effet que, dès lors qu’un avis médical a conduit à fixer le taux d’incapacité à plus de 20 %, un avis médical supplémentaire n’est pas nécessaire.

J’en viens à deux autres points – pardonnez-moi d’être un peu long, monsieur le président, mais cela me permettra d’aller plus vite lorsque nous aborderons les très nombreux amendements et sous-amendements déposés à cet article.

Le sénateur Joyandet m’a interpellé au sujet du dispositif « carrières longues », qui intéresse nombre de parlementaires, députés et sénateurs.

Le dispositif actuel, qui a été créé en 2003, autorise des assurés à partir de manière anticipée dès lors qu’ils remplissent trois conditions cumulatives et impératives.

La première condition est d’avoir cotisé pendant 5 trimestres avant la borne d’âge telle qu’elle est définie par la loi.

Les salariés qui ont cotisé 5 trimestres avant 16 ans – en réalité, en fonction de leur date de naissance, certains ne doivent avoir cotisé que 4 trimestres, mais, dans la suite de mon propos, je dirai 5 pour simplifier – peuvent prendre leur retraite de manière anticipée à partir de 58 ans.

Ceux qui ont cotisé 5 trimestres avant 20 ans peuvent bénéficier d’un départ anticipé de deux ans par rapport à l’âge légal, soit 60 ans aujourd’hui et 62 ans demain.

La deuxième condition est d’avoir atteint l’âge d’ouverture des droits spécifiques fixé en relation avec chacune des bornes d’âge.

La troisième condition est d’avoir cotisé le nombre de trimestres requis, et pas seulement de les avoir validés.

En l’état actuel du droit, la durée de cotisation des personnes ayant commencé à travailler avant 16 ans est égale à celle qui est exigée de tous les assurés plus 8 trimestres, soit 2 ans. Elle est donc de 44 ans à l’heure actuelle ; elle passerait à 45 ans avec la réforme, mais nous allons modifier cette mesure et la réduire.

Celles et ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans doivent avoir cotisé 5 trimestres avant 20 ans, ils doivent avoir atteint l’âge de 60 ans et avoir cotisé pendant 42 années complètes. Après la réforme, ils devront avoir 62 ans et avoir cotisé pendant 43 années.

Le nombre d’années cotisées est bien souvent cause de déception pour les assurés. Prenons le cas d’un travailleur qui fait valoir son droit à un départ anticipé, parce qu’il a atteint 60 ans et cotisé 5 trimestres avant 20 ans : il doit démontrer qu’il a cotisé 168 trimestres. Toutefois, s’il a fait son service militaire, les 4 trimestres qui sont validés à ce titre ne sont pas cotisés ; par conséquent, ils ne comptent pas. Il en va de même pour une femme ayant commencé à travailler avant 20 ans qui, une fois devenue mère, prend, comme c’est son droit, un congé parental : durant celui-ci, les trimestres continuent d’être validés, mais ils ne sont pas cotisés. Nous changerons également cela.

En l’état actuel du droit, pour ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans, le dispositif de départ anticipé – je reviendrai sur ce que nous proposons de changer, ainsi que sur les coûts, comme cela m’a été demandé –, s’il se traduit par une bonification théorique de 2 ans, ne permet de bénéficier que d’une bonification effective de 9 mois au regard des trois conditions cumulatives que j’ai citées.

Ce dispositif est donc bien souvent une machine à déception – j’en viens à votre question dans un instant, monsieur Joyandet, mais ces éléments relatifs à la construction du dispositif participent de la réponse que je vais vous donner concernant les coûts.

Par ce projet de loi, nous proposons d’apporter deux modifications à ce dispositif.

La première est la création d’une nouvelle borne d’âge à 18 ans, qui permettra à ceux qui ont cotisé 5 trimestres avant 18 ans de bénéficier d’un départ anticipé, non pas de 2 ans, mais de 4 ans.

La seconde est la création, que le Gouvernement a proposée à l’Assemblée nationale, mais qu’il soutiendra par voie d’amendement dans cet hémicycle, d’une autre borne d’âge, qui permettra à ceux qui ont cotisé 5 trimestres avant 21 ans de bénéficier d’une bonification de 1 an.

Il me paraît en effet – mais nous en débattrons – que l’on peut considérer qu’une personne qui a cotisé 5 trimestres avant 21 ans a commencé à travailler tôt.

Monsieur Joyandet, vous m’avez posé des questions relatives au coût des dispositions que vous proposiez d’introduire par l’amendement que vous avez été amené à retirer pour les raisons que vous avez évoquées.

Comme je l’ai indiqué à l’Assemblée nationale, la suppression de la troisième condition de départ anticipé, soit le fait d’avoir cotisé 43 années complètes, étant entendu que les deux premières conditions cumulatives – l’atteinte de l’âge spécifique d’ouverture des droits et les 5 trimestres cotisés avant la borne d’âge – seraient maintenues, coûterait entre 300 et 350 millions d’euros.

Par ailleurs, l’ouverture des droits à la retraite anticipée à tout assuré ayant travaillé ne serait-ce qu’un jour avant ses 21 ans et qui satisferait à la seule condition d’avoir cotisé pendant 43 années coûterait entre 7 et 10 milliards d’euros. Vous conviendrez que c’est inabordable.

S’il s’agit enfin de garantir à tout assuré qui a commencé à travailler avant 21 ans et qui remplit la condition relative au nombre de trimestres cotisés avant une borne d’âge définie, et ce, indépendamment de tout âge spécifique d’ouverture des droits, le coût serait de l’ordre de 1, 7 milliard d’euros.

Comme vous pouvez le constater, monsieur le sénateur, ces montants élevés contreviennent à l’objectif d’équilibre du système que nous pouvons partager.

Je terminerai par quelques mots sur les carrières longues et sur l’amendement n° 2127 rectifié de M. Savary.

En ce qui concerne les carrières longues, vous avez suggéré, monsieur le sénateur Alain Joyandet, que les 43 années de cotisation constituent un plafond au-delà duquel aucun assuré ne serait obligé de continuer à travailler.

Je ne peux que m’opposer à une telle proposition, qui contrevient aux principes mêmes qui fondent notre système de retraite depuis sa création et en vertu desquels les deux conditions cumulatives pour prendre sa retraite sont l’atteinte de l’âge légal d’ouverture des droits – dont je répète, comme je l’ai indiqué lors de l’examen de l’article 7, qu’il constitue une protection contre les machines à décote que sont les systèmes fondés uniquement sur la durée de cotisation – et la durée de cotisation.

Or, dans le système tel qu’il est conçu, la durée de cotisation est considérée, non pas comme un plafond, mais comme un plancher.

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