Je vous prie de bien vouloir excuser MM. Bernard Doroszczuk, président, et Olivier Gupta, directeur général de l'ASN, qui sont à Vienne pour assister à la réunion d'examen des parties contractantes à la Convention sur la sûreté nucléaire, dans le cadre de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Je suis accompagné par Cyril Bernardet, qui dirige, au sein de l'ASN, l'équipe des spécialistes de l'impact du fonctionnement des centrales nucléaires sur l'environnement.
L'ASN partage les conclusions de la Cour des comptes. Premièrement, le changement climatique a des conséquences sur la sûreté des centrales et sur l'impact de leur fonctionnement sur l'environnement.
Par sûreté, on entend le risque d'accident nucléaire. Les agressions climatiques - canicules, tornades, submersions, périodes d'étiage sévère - sont susceptibles de créer un accident, mais les centrales sont dimensionnées pour cela. Ces agressions sont réévaluées pour chaque site selon le réexamen périodique décennal : rehaussement de digues, renforcement de la climatisation, protection contre les tornades. Ce processus itératif est adapté à un risque en évolution, mais le réchauffement climatique complique les projections. Certains risques sont plus simples, comme les séismes. Lorsqu'il y a trop d'incertitudes, on retient des valeurs pénalisantes.
Les agressions climatiques sont un des sujets du quatrième réexamen périodique décennal, souvent soulevé par les associations. L'ASN, dans ce cadre, consulte le public au début et à la fin de chaque réexamen, site par site. Elle participe aux concertations, notamment celles du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). L'ASN tient compte des enquêtes publiques. C'est donc un enjeu fort de transparence, de pédagogie et d'écoute pour nous.
Hors échéances décennales, l'ASN demande la prise en compte de tout évènement exceptionnel, comme l'inondation du Blayais en 1999 et les canicules de 2003 et de 2006.
Le changement climatique influence aussi les effets de la centrale sur l'environnement, surtout celles refroidies par cours d'eau et non par la mer. Certaines centrales restituent toute l'eau à une température de deux ou trois degrés plus élevée, d'où un effet sur la faune et la flore aquatiques. D'autres n'en restituent qu'une partie, refroidie en tour aéroréfrigérante, pour un réchauffement de quelques dixièmes de degré, et donc un impact plus faible. L'ASN fixe des valeurs maximales d'échauffement du milieu naturel pour chaque centrale. Le réchauffement climatique rend plus critique l'impact des centrales sur le volume et la température de l'eau. EDF réduit ou arrête donc les réacteurs en cas de besoin, même si l'ASN peut augmenter temporairement les températures autorisées, en cas de besoin, à la suite d'un retour d'expérience issu des canicules de 2003 et de 2006.
La Cour recommande de consolider les fondements scientifiques de ces limites. Or, elles résultent déjà de travaux scientifiques, avec une étude d'impact d'EDF pour chaque site. Mettre à jour ces limites - à la hausse, si je comprends le rapport - suppose une nouvelle étude d'impact le justifiant. En outre, les difficultés d'étiage limitent les possibilités de rejet des effluents liquides nécessaires à l'exploitation. L'ASN fixe en effet un débit minimal du cours d'eau où ils sont rejetés pour permettre leur dispersion, en deçà duquel les effluents doivent être entreposés. Nous souscrivons à la recommandation n° 2 de la Cour sur l'adaptation de ces capacités d'entreposage : l'été dernier a montré la sous-estimation des capacités d'EDF.
Enfin, la température élevée a un effet sur la colonisation des tours par des microorganismes pathogènes : légionelles, amibes. Des biocides pourraient être plus souvent requis, avec un plafond de rejet décidé par l'ASN. Nous partageons toutefois la recommandation n° 5 sur le renforcement de la recherche et développement pour des traitements biocides plus sobres en réactifs chimiques rejetés.
Deuxièmement, l'ASN partage le besoin d'une approche systémique de l'adaptation des centrales au changement climatique. L'approche critère par critère n'est pas transparente pour le public, et l'adaptation au changement climatique ne peut être pensée sans approche territoriale intégratrice et multisectorielle, ce qui dépasse les prérogatives restreintes de l'ASN. C'est particulièrement nécessaire pour les cinq centrales du bassin de la Loire et les quatre du bassin du Rhône. Il en va de même pour le choix du site d'un nouveau réacteur, qui dépend aussi d'autres paramètres comme la sismicité. Quoiqu'il en soit, tout nouveau site passe par l'ASN, avec une procédure de demande d'autorisation.
Troisièmement, à la suite du rapport de Réseau de transport d'électricité (RTE), le Gouvernement semble privilégier des scénarios de poursuite de l'exploitation des réacteurs actuels au-delà de 60 ans. Selon l'ASN, il faut sans tarder engager une réflexion avec EDF et l'IRSN sur la durée maximale de fonctionnement dans des conditions acceptables, au-delà du cadre formel des réexamens décennaux. En effet, ces derniers ne sont pas adaptés aux besoins d'anticipation, notamment pour les composants irremplaçables ou difficilement remplaçables.
L'ASN a demandé à EDF d'inclure, en vue de la prochaine politique pluriannuelle de l'énergie, d'ici à la fin 2026, la liste des réacteurs pouvant fonctionner après 2050, en prenant en compte les nouveaux réacteurs à construire en bord de fleuve.
Il ne faut pas écarter l'accélération des phénomènes climatiques pour un parc en extension pour les prochaines années, s'il en est décidé ainsi. L'ASN doit donc instruire ces sujets pour anticiper et que le Gouvernement et le Parlement les prennent en compte. Nous prévoyons une démarche renforcée d'association du public, comme nous l'avons fait pour le passage à 40 ans des réacteurs.