Nous procédons à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes réalisée à la demande de notre commission, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sur l'adaptation du parc nucléaire au changement climatique.
L'impact environnemental du nucléaire et son rôle dans la lutte contre le changement climatique font l'objet de nombreux débats, à l'inverse de la question relative aux conséquences du changement climatique sur la production d'électricité et sur la sûreté nucléaire.
La canicule de l'été dernier, qui a failli conduire à l'arrêt de plusieurs centrales sur notre territoire, montre qu'il s'agit là d'un enjeu majeur. C'est pourquoi nous débattons aujourd'hui des modalités d'adaptation du parc nucléaire français et des coûts d'investissement que celles-ci représentent.
Nous recevons Mme Annie Podeur, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions de l'enquête réalisée par les magistrats de la Cour.
Pour nous éclairer sur le sujet et répondre aux observations de la Cour et du rapporteur spécial, sont également présents M. Rémy Catteau, directeur des centrales nucléaires à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ainsi que Mme Catherine Halbwachs, directrice du projet Adapt à la direction production nucléaire et thermique à EDF.
Après avoir entendu Mme Podeur, notre collègue Christine Lavarde, en sa qualité de rapporteur spécial, présentera les principaux enseignements qu'elle tire de cette enquête. À l'issue des débats, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.
Vous nous avez saisis, par lettre en date du 18 janvier 2022, d'une demande d'enquête sur l'adaptation au changement climatique du parc des réacteurs nucléaires.
Ce rapport s'inscrit à la suite de plusieurs travaux de la Cour des comptes relatifs au nucléaire civil, le rapport public thématique L'aval du cycle du combustible nucléaire, le rapport 58-2° L'arrêt et le démantèlement des installations nucléaires, réalisé à la demande de la commission des finances du Sénat, et le rapport public thématique sur la filière EPR (European Pressurized Reactors).
L'instruction s'est déroulée entre février et octobre 2022, au cours de laquelle nous avons visité la centrale de Nogent-sur-Seine et le centre de recherche du groupe EDF à Chatou. La liste des personnes rencontrées est indiquée à l'annexe n° 1 de notre rapport. La contradiction s'est déroulée entre novembre et décembre 2022. Le projet de communication a été délibéré le 18 janvier dernier, au sein de la deuxième chambre, puis validé le 31 janvier par le comité du rapport public et des programmes.
Cette enquête s'inscrit dans un contexte particulier, marqué, premièrement, par la prise de conscience accélérée du changement climatique, sans doute à la suite du sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) publié au début de l'année 2022, mais surtout à la suite des épisodes caniculaires de l'été dernier.
Le deuxième élément de contexte est l'annonce du Président de la République en février 2022 d'un plan de relance du nucléaire.
Le troisième élément, c'est la baisse historique de la production du nucléaire en 2022, compte tenu des arrêts pour contrôle de la sûreté, en raison du défaut de corrosion sous contrainte - une nouvelle fissure a été récemment découverte dans les réacteurs de Penly, qui nécessite un examen par l'ASN et qui en reporte l'exploitation.
Il y a également des éléments liés à l'actualité législative. Votre assemblée a adopté en première lecture, le 24 janvier dernier, le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes. De plus, nous nous préparons, dans le cadre de la future stratégie française sur l'énergie et le climat (Sfec), à ce que vous examiniez un projet de loi relatif à la programmation sur l'énergie et le climat, qui sera suivi de la nouvelle stratégie nationale bas-carbone (SNBC), du nouveau plan d'adaptation au changement climatique et de la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).
Les conséquences du changement climatique vont affecter de façon croissante les réacteurs du parc national actuel et affecteront - je le dis de façon solennelle - encore plus les projets de construction de nouveaux réacteurs susceptibles d'entrer en service à partir de 2035.
Nous avons distingué trois cercles concentriques des effets du changement climatique sur les réacteurs.
Le premier cercle concerne la capacité des installations à fonctionner de façon sûre, puisque sont affectés la résistance des matériels, les équipements, mais également la compatibilité avec des conditions de travail acceptables pour le personnel sur site.
Le deuxième cercle est relatif à l'environnement extérieur proche, en lien avec l'exploitation et la sûreté - le débit et la température des cours d'eau ainsi que le niveau marin.
Le troisième cercle a pour objet des conséquences plus périphériques, telles que le risque accru d'incendies de forêt ou de végétation, ou encore le risque de submersion d'axes routiers à proximité des centrales. Nous ne traitons pas des risques affectant la périphérie des centrales dans cette enquête, mais nous les aborderons dans de futurs rapports.
Nous insistons sur la nécessité d'avoir une approche intégrée et territorialisée pour faire face à l'ensemble des conséquences du changement climatique.
Le rapport concerne exclusivement le parc de production nucléaire actuel, à l'exclusion des réacteurs de recherche du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), des installations militaires et des installations nucléaires relatives à la fabrication du combustible, à son retraitement ou au stockage des matières et des déchets radioactifs.
Le parc nucléaire actuel est composé de dix-huit centrales qui regroupent cinquante-six réacteurs à eau pressurisée en exploitation, d'une puissance comprise entre 900 mégawatts et 1 400 mégawatts, selon les paliers, pour une puissance totale installée de 61,4 gigawatts. Concrètement, treize centrales sont situées en bord de rivière, quatre en bord de mer et une en bord d'estuaire.
Le parc est très dépendant de la ressource en eau, parce que c'est le seul moyen de refroidir les réacteurs. Il existe d'ailleurs deux types de systèmes de refroidissement, en circuit ouvert et en circuit fermé.
En circuit ouvert, l'eau prélevée est utilisée pour refroidir le réacteur puis rejetée dans son milieu naturel. Les prélèvements sont importants, mais la consommation nette en eau est très faible. En revanche, les rejets augmentent la température des cours d'eau.
En circuit fermé - cela concerne exclusivement les trente réacteurs situés en bord de fleuve -, la quantité d'eau prélevée circule dans l'aéroréfrigérant. La quantité d'eau prélevée est donc beaucoup plus faible, mais il y a une évaporation, que nous avons évaluée, en 2001, à 24 %.
Le Président de la République a annoncé la construction d'une première tranche, ferme, de six EPR2 d'une capacité de 1 650 mégawatts, puis d'une seconde tranche, optionnelle, de huit EPR2, en sus de l'EPR de Flamanville, dont nous attendons toujours la mise en service.
Le présent rapport est structuré en deux chapitres. Le premier présente les enjeux climatiques auxquels doit faire face le parc nucléaire actuel et l'organisation mise en place par EDF. Le second examine concrètement comment les dispositifs de sûreté nucléaire prennent en compte le changement climatique, analyse les contraintes que fait peser la disponibilité de la ressource en eau sur l'exploitation du parc, et identifie les risques qui affectent les projets de construction des futurs réacteurs.
Comment appréhender le changement climatique ? La perspective de prolongation de la durée de vie des réacteurs actuels jusqu'à soixante ans fera fonctionner le parc jusqu'à 2045, ce qui l'expose non seulement aux aléas climatiques d'aujourd'hui, mais également à leur accentuation au cours des vingt à trente prochaines années.
Par comparaison, les futurs réacteurs, dont la durée d'exploitation pourrait aller jusqu'en 2100, voire au-delà, seront confrontés à des conséquences plus lourdes du changement climatique.
Compte tenu de ces éléments, le premier constat que nous faisons est qu'EDF - le seul exploitant - s'appuie fortement sur les rapports du GIEC, à l'instar de l'ensemble des acteurs du nucléaire en France, ainsi que sur les modèles de Météo-France et les travaux de l'Institut Pierre-Simon Laplace, que nous avons mentionnés dans la première partie du rapport. EDF exclut le scénario le plus optimiste du GIEC, analyse les scénarios les plus pessimistes, ce qui est cohérent pour des installations à très longue durée de vie, et mentionne le scénario médian, qui est considéré comme le plus probable.
Ces études et ces projections climatiques, faites sur la longue durée, sont peu adaptées aux échéances plus proches - entre dix et quinze ans -, lesquelles sont pourtant utilisées par l'exploitant pour décider et calibrer de nouveaux investissements, lors de chacune des visites décennales des réacteurs. La Cour des comptes pointe que c'est l'une des difficultés rencontrées par EDF pour adapter le parc actuel dans une logique économique optimale.
Deuxième constat, la disponibilité de la ressource en eau représente le principal enjeu pour le parc nucléaire. Le volume d'eau douce prélevé pour satisfaire les différents usages de la population s'élève chaque année à 33,5 milliards de mètres cubes ; un peu plus de la moitié de ce volume prélevé est destiné au refroidissement des centrales électronucléaires. Ce n'est pas de la consommation nette, puisqu'elles restituent 98 % de ces prélèvements aux milieux naturels, à proximité du point de prélèvement, mais à une température plus élevée. Dès lors, les enjeux liés à la ressource en eau prennent des formes différentes, selon qu'il s'agisse des cours d'eau ou des littoraux.
Pour les centrales en bord des cours d'eau, la moindre disponibilité de la ressource en eau va accentuer les conflits d'usage - agricole, touristique, industriel ou lié à la navigation. Le réchauffement des fleuves, en amont et en aval des centrales, va représenter une contrainte d'exploitation supplémentaire. Les niveaux d'étiage vont réduire la capacité de dilution des rejets en aval des centrales. Ce sont des contraintes lourdes.
Pour les centrales en bord de mer, l'enjeu est de faire face à la montée du niveau de la mer et au risque de submersion qui en découle. Il s'agit d'un phénomène plus lent, qui concernera surtout les futures centrales situées en littoral, dans la seconde moitié du XXIe siècle.
Troisième constat, les politiques et les organisations mises en place par l'État et par EDF abordent bien la question de l'adaptation du parc nucléaire au changement climatique, ce qui n'est pas le cas dans l'ensemble des secteurs publics. De la prise de conscience à la traduction opérationnelle, il faut du temps, et nous en sommes encore aux balbutiements.
En ce qui concerne l'État, le premier plan national d'adaptation au changement climatique 2011-2015 comporte 200 recommandations - plusieurs portaient sur l'énergie et l'industrie et incluaient les centrales nucléaires. Pourtant, les travaux de Jean Jouzel avaient permis de mettre à disposition des données climatiques détaillées, propres à la France, et déclinées à l'échelle régionale.
En ce qui concerne EDF, la direction de la recherche et du développement s'est engagée dès 1990 dans plusieurs travaux relatifs au changement climatique. Mais ce n'est que plus récemment, en 2014, qu'EDF a créé un service climatique, en appui des principales directions concernées du groupe. Depuis l'an dernier, EDF met en oeuvre un plan d'adaptation au changement climatique, modifiable tous les cinq ans. Concrètement, la direction de la production nucléaire et thermique a élaboré le projet Adapt, qui doit être décliné dans chaque centrale nucléaire et la direction ingénierie et projets du nouveau nucléaire intègre également dans la conception, une analyse de l'impact potentiel du changement climatique. Il y a donc des progrès, une prise de conscience, des moyens et des méthodes mis en oeuvre. Il manque une approche de l'adaptation plus intégrée, plus adaptée, plus territorialisée qui soit partagée par l'ensemble des acteurs - l'État, l'ASN, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et l'exploitant EDF - nous y reviendrons ultérieurement.
Quatrième constat, les effets du changement climatique sont pris en compte au titre de la sûreté. C'est un point important. En fait, la conception initiale des centrales aujourd'hui en fonctionnement est antérieure à l'émergence de la notion de changement climatique, mais les aléas climatiques étaient alors appréhendés à travers la notion d'agressions externes naturelles, comme les températures de l'air et de l'eau, les inondations et les étiages. D'ailleurs les importantes marges retenues à la conception de ces centrales pour la résistance à ces phénomènes ont de fait permis d'intégrer les évolutions climatiques. Progressivement, néanmoins nous avons pris en compte l'évolution climatique comme un élément clé de la sûreté. Elle est désormais intégrée dans les référentiels imposés par l'ASN, qu'il s'agisse des intégrations dans le cadre du grand froid au cours des années 1980, des inondations après l'accident du Blayais en 1999 ou encore du référentiel grand chaud après la canicule de 2003.
L'accident de Fukushima en 2011 et les évaluations de sûreté complémentaires ont conduit à renforcer davantage ces référentiels et à les mettre à jour à chaque visite décennale. Ainsi intégrés dans les démonstrations de sûreté et régulièrement évalués, on peut considérer que les risques que comporte le changement climatique ne doivent pas affecter le niveau de sûreté du parc nucléaire.
D'ailleurs, cinquième constat, le coût estimé de cette adaptation au changement climatique demeure extrêmement modeste en termes d'investissements. Du reste, EDF ne l'a pas évalué complètement et précisément parce que, à leur décharge, un même investissement peut concomitamment relever de la sûreté et de l'adaptation au changement climatique, je viens d'en faire la démonstration en vous exposant la prise en compte de la sûreté.
Pour autant, l'entreprise a tout de même réussi, après moult recherches à nous indiquer que les investissements relatifs au climat et à la météo, comme la rénovation d'aéroréfrigérant ou la construction et le rehaussement de digues représentent un montant d'investissements déjà réalisés de 960 millions d'euros, sur la période 2006-2021, donc à peine un milliard en quinze ans.
Les dépenses programmées en lien avec l'adaptation au changement climatique sur la période 2022-2038 s'élèveraient à environ 612 millions d'euros en fonctionnement - c'est l'épaisseur du trait. Lorsque l'on ajoute les budgets de fonctionnement du service climatique, le programme Adapt, les actions de recherche et développement dédiées à l'adaptation, on arrive à moins de 5 millions d'euros par an. Ce ne sont donc pas de lourds enjeux financiers.
Pour autant - nous y insistons -, il nous semble nécessaire qu'EDF puisse justifier dans l'avenir des coûts d'adaptation au changement climatique et de sa performance sur ce point, à la fois au titre de de sa responsabilité sociale et environnementale (RSE) et de ses obligations de communication financière et extrafinancière, c'est le sens de notre recommandation n° 1.
Sixième constat, il faut convenir que le changement climatique et notamment les épisodes plus fréquents de sécheresse et de canicule peuvent altérer la disponibilité du parc nucléaire. Ces effets sont aujourd'hui limités, mais augmentent. Ils résultent de deux contraintes de production : d'une part, l'application des normes environnementales pour protéger les milieux aquatiques, d'autre part, l'application des accords transfrontaliers qui limitent dans certains cas la capacité de prélèvement.
Les pertes de production qui résultent des normes environnementales demeurent à ce jour limitées, elles sont en moyenne annuelle de l'ordre de 1 % avec un pic à 1,4 % au cours de l'année 2003. Les sites concernés par ces pertes de production sont, dans le jargon d'EDF, des sites thermosensibles, c'est-à-dire des sites sensibles aux limites de température en bord de rivière ou d'estuaire. Il s'agit de Saint-Alban, de Tricastin, du Bugey, de Blayais et de Golfech. Les pertes de production liées aux contraintes de prélèvements, notamment par les accords transfrontaliers, sont concentrées sur la centrale de Chooz, très sensible au débit de la Meuse et soumise à l'application du fameux accord transfrontalier avec la Belgique.
Dès lors, les pertes d'opportunités économiques, qui résultent de ces pertes de production sont également limitées. Ces indisponibilités sont concentrées certes sur des périodes brèves et estivales, mais de plus en plus longues, et elles peuvent s'avérer critiques, en accroissant les risques de tension sur le réseau, alors exposé à une demande accrue d'électricité, surtout dans un contexte d'électrification majeure des usages. En outre, au cours de ces dernières années, une augmentation significative des arrêts pour cause climatique a été constatée sur certains sites avec des pertes s'élevant à plusieurs térawattheures par an. Les études prospectives mettent en évidence une multiplication par un facteur de trois à quatre des indisponibilités liées au réchauffement climatique à échéance de 2050.
Ainsi, pour gérer au mieux ces risques d'une production moindre, il faut d'abord mieux connaître l'évolution du débit des fleuves à échéance de quelques années, ce que les projections climatiques actuelles ne permettent pas de bien appréhender. De plus, il faut que, en période de faible débit, l'exploitant puisse disposer d'une plus forte capacité d'entreposage des effluents liquides, dans l'attente de pouvoir les rejeter sans risque pour l'environnement. Ces constats conduisent à la recommandation n° 2 du rapport.
Il s'agit ensuite - c'est la recommandation n° 3 - de consolider et de mettre à jour les fondements scientifiques qui justifient les limites réglementaires des rejets thermiques, dont la fixation sera d'autant plus sensible que les épisodes chauds se multiplieront - voilà longtemps que ces limites réglementaires n'ont pas été actualisées, cela doit être fait de manière concertée.
Enfin, il s'agit, pour EDF, de renforcer son effort de recherche sur les systèmes de refroidissement, afin de limiter la consommation en eau et l'emploi de réactifs chimiques qui sont ensuite rejetés dans le milieu naturel. Cette invitation à la sobriété en tous genres est l'objet de la recommandation n° 4.
En matière de recherche, on observe qu'il y a beaucoup d'innovations émergentes, mais aucune innovation technique notable n'a été mise en oeuvre sur le parc existant pour limiter la consommation en eau. Ainsi, EDF nous a simplement indiqué avoir réalisé en 2022 une analyse préliminaire d'un procédé de récupération d'eau des panaches d'aéroréfrigérant et nous a assuré qu'un démonstrateur de ce procédé interviendrait à partir de 2023 sur le site du Bugey.
Septième constat, les futurs réacteurs seront soumis à des exigences beaucoup plus fortes au regard du changement climatique et il faut considérer que cette dernière partie est une forme d'alerte adressée à l'ensemble des acteurs du nucléaire.
Il existe à travers le monde des réacteurs qui fonctionnent sous des climats très chauds, comparables sans doute aux épisodes que notre pays pourrait connaître dans la seconde moitié du XXIe siècle. Ces centrales fonctionnent avec des dispositifs adaptés, comme celle de Palo Verde, et il nous semble que ces expériences pourraient être utilement examinées attentivement.
Par ailleurs, on parle d'installer des SMR - Small Modular Reactors -, c'est-à-dire des petits réacteurs modulaires, en complément du programme d'EPR2. Il conviendrait sans attendre de prendre en compte justement les contraintes du changement climatique, dès la conception de ce type d'équipements, sachant que la mise au point d'un premier démonstrateur serait envisageable d'après les indications dont nous disposons à horizon de dix ans.
Nous soulignons dans le rapport que la conception des EPR2 intègre bien des marges de sécurité face au changement climatique et que cette conception s'appuie sur une analyse précise des référentiels de sûreté en vigueur, qui seraient donc incrémentés tant de la part d'EDF que de l'ASN. C'est positif. Pour autant, la Cour a constaté, premièrement, que les EPR2 ne comportent pas d'évolution technologique marquée, en particulier sur les systèmes de refroidissement sobre en eau, deuxièmement que l'hypothèse certes estimée peu probable par le GIEC d'une fonte des calottes glaciaires ne soit pas prise en compte, alors que cela provoquerait une hausse plus élevée du niveau de la mer. Cette hypothèse extrême pourrait peser sur le choix des sites littoraux et sur la façon surtout d'engager de futurs chantiers. Troisièmement, il manque sur ces questions d'adaptation une approche qui soit réellement intégrée et commune à l'ensemble des acteurs directement concernés, d'où la recommandation n° 5, par laquelle nous appelons de nos voeux cette approche intégrée et commune, qui soit surtout territorialisée et concrète. Chaque site a, sur ce point, ses particularités et on ne peut pas rester à un niveau exclusivement conceptuel et à une échelle nationale.
Enfin le rapport constate que pour les huit EPR2 en option, EDF n'envisage pas de site nouveau, mais n'exclut non plus à ce stade aucun des sites en exploitation. S'il est normal que le choix des sites découle d'une analyse multicritères et notamment de la prise en compte de préoccupations d'aménagement du territoire, il nous semble que les incidences du changement climatique pour des réacteurs qui fonctionneront pour l'essentiel lors de la seconde moitié du XXIe siècle justifient de produire rapidement des études de préfaisabilité qui prennent en compte le changement climatique. C'est l'objet de la sixième et dernière recommandation adressée à la fois à EDF et au ministère chargé de la transition écologique.
L'adaptation au changement climatique des réacteurs nucléaires est non pas un enjeu financier, mais un défi d'anticipation, surtout à l'heure où notre pays s'engage dans le projet ambitieux du nouveau nucléaire, qui nécessite une coordination renforcée des principaux acteurs, à l'échelon national, dans chaque site de production, et dans les chantiers à venir pour définir des réponses communes.
Nous espérons que ce travail pourra utilement éclairer vos propres réflexions. Ce travail a conduit la Cour à un exercice inhabituel. Nous ne nous sommes pas limités à une approche financière, mais nous avons tenté une synthèse scientifique et nous avons essayé d'appréhender au mieux, avec le concours des principaux acteurs, les enjeux techniques qui définissent cette appréhension du changement climatique.
Ce rapport sort des sentiers habituellement battus par la Cour, puisqu'il a pour objet des enjeux moins financiers que technologiques et prospectifs.
La question des événements exceptionnels a été prise en compte dès l'origine de la construction des centrales nucléaires - je pense aux normes de résistance au vent et au seuil de construction des réacteurs au-dessus du niveau de la mer. Nos centrales sont déjà prêtes à résister à des événements extrêmes, dont la probabilité de survenance est très faible - elles sont capables de résister à un tsunami du même type que celui qui s'est produit à Fukushima, alors que la probabilité d'un tel tsunami est très faible en France. Aussi, nous pouvons considérer que nous sommes prêts sur les aspects liés à la sûreté.
En revanche, nous serions moins prêts pour les événements qui s'inscrivent dans le temps long. Les centrales sont en effet concernées par l'élévation des températures, ce qui soulève le problème de la disponibilité de la ressource en eau nécessaire pour faire fonctionner le cycle du combustible nucléaire.
Ainsi, EDF pourrait être amenée à arbitrer entre produire de l'hydroélectricité ou garder l'eau pour assurer la production nucléaire, sachant que dans les deux cas la production est décarbonée - l'une répond à la taxonomie européenne, l'autre reste à ce stade dans les marges de cette taxonomie -, même si le coût de l'électricité ne sera pas le même. Ce choix relève non pas seulement de l'exploitant, mais également d'une décision politique.
La gestion de la ressource en eau soulève également le problème de la réutilisation des eaux usées. À ce titre, l'exemple de la centrale de Palo Verde, dont le fonctionnement est bien décrit dans le rapport de la Cour, ouvre des perspectives sur une utilisation possible des eaux usées, puisque cette centrale, située dans le désert, se refroidit en réutilisant les eaux usées.
Il faut également se demander comment diminuer, à l'avenir, l'empreinte environnementale du nucléaire, au-delà de la question du retraitement des déchets qui n'entrait pas dans le périmètre du rapport, ce qui nécessite d'augmenter les moyens publics dédiés à la recherche. Par exemple dans le but de diminuer l'utilisation de biocides dans les tours aéroréfrigérantes ou d'optimiser le rendement de ces tours, notamment en utilisant une partie de la chaleur qui s'échappe de celles-ci sous forme d'évaporation.
Par ailleurs, la question des capacités de recherche de l'IRSN n'avait pas été abordée dans l'amendement du Gouvernement portant sur la fusion entre l'IRSN et l'ASN déposé dans le cadre du projet de loi d'accélération du nucléaire ; or ce sujet est au coeur de notre discussion du jour.
Pour finir, je souscris pleinement au constat de la Cour selon lequel ce sujet doit être envisagé de manière systémique. Au-delà de la prise en compte de l'environnement proche des centrales, de la préemption des terrains voisins de la centrale et de la construction de digues, c'est l'ensemble de la chaîne du nucléaire qui doit être appréhendée. En effet, il faut pouvoir construire les installations et extraire du combustible, ce qui a des conséquences sur l'environnement, et doit répondre aux exigences des directives européennes, notamment sur le devoir de vigilance.
Notre travail sur ce pan de l'économie pourra s'appliquer à d'autres conflits d'usage entre des ressources environnementales finies et les besoins des consommateurs et des industriels.
- Présidence de M. Bernard Delcros, vice-président -
Je vous prie de bien vouloir excuser MM. Bernard Doroszczuk, président, et Olivier Gupta, directeur général de l'ASN, qui sont à Vienne pour assister à la réunion d'examen des parties contractantes à la Convention sur la sûreté nucléaire, dans le cadre de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Je suis accompagné par Cyril Bernardet, qui dirige, au sein de l'ASN, l'équipe des spécialistes de l'impact du fonctionnement des centrales nucléaires sur l'environnement.
L'ASN partage les conclusions de la Cour des comptes. Premièrement, le changement climatique a des conséquences sur la sûreté des centrales et sur l'impact de leur fonctionnement sur l'environnement.
Par sûreté, on entend le risque d'accident nucléaire. Les agressions climatiques - canicules, tornades, submersions, périodes d'étiage sévère - sont susceptibles de créer un accident, mais les centrales sont dimensionnées pour cela. Ces agressions sont réévaluées pour chaque site selon le réexamen périodique décennal : rehaussement de digues, renforcement de la climatisation, protection contre les tornades. Ce processus itératif est adapté à un risque en évolution, mais le réchauffement climatique complique les projections. Certains risques sont plus simples, comme les séismes. Lorsqu'il y a trop d'incertitudes, on retient des valeurs pénalisantes.
Les agressions climatiques sont un des sujets du quatrième réexamen périodique décennal, souvent soulevé par les associations. L'ASN, dans ce cadre, consulte le public au début et à la fin de chaque réexamen, site par site. Elle participe aux concertations, notamment celles du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). L'ASN tient compte des enquêtes publiques. C'est donc un enjeu fort de transparence, de pédagogie et d'écoute pour nous.
Hors échéances décennales, l'ASN demande la prise en compte de tout évènement exceptionnel, comme l'inondation du Blayais en 1999 et les canicules de 2003 et de 2006.
Le changement climatique influence aussi les effets de la centrale sur l'environnement, surtout celles refroidies par cours d'eau et non par la mer. Certaines centrales restituent toute l'eau à une température de deux ou trois degrés plus élevée, d'où un effet sur la faune et la flore aquatiques. D'autres n'en restituent qu'une partie, refroidie en tour aéroréfrigérante, pour un réchauffement de quelques dixièmes de degré, et donc un impact plus faible. L'ASN fixe des valeurs maximales d'échauffement du milieu naturel pour chaque centrale. Le réchauffement climatique rend plus critique l'impact des centrales sur le volume et la température de l'eau. EDF réduit ou arrête donc les réacteurs en cas de besoin, même si l'ASN peut augmenter temporairement les températures autorisées, en cas de besoin, à la suite d'un retour d'expérience issu des canicules de 2003 et de 2006.
La Cour recommande de consolider les fondements scientifiques de ces limites. Or, elles résultent déjà de travaux scientifiques, avec une étude d'impact d'EDF pour chaque site. Mettre à jour ces limites - à la hausse, si je comprends le rapport - suppose une nouvelle étude d'impact le justifiant. En outre, les difficultés d'étiage limitent les possibilités de rejet des effluents liquides nécessaires à l'exploitation. L'ASN fixe en effet un débit minimal du cours d'eau où ils sont rejetés pour permettre leur dispersion, en deçà duquel les effluents doivent être entreposés. Nous souscrivons à la recommandation n° 2 de la Cour sur l'adaptation de ces capacités d'entreposage : l'été dernier a montré la sous-estimation des capacités d'EDF.
Enfin, la température élevée a un effet sur la colonisation des tours par des microorganismes pathogènes : légionelles, amibes. Des biocides pourraient être plus souvent requis, avec un plafond de rejet décidé par l'ASN. Nous partageons toutefois la recommandation n° 5 sur le renforcement de la recherche et développement pour des traitements biocides plus sobres en réactifs chimiques rejetés.
Deuxièmement, l'ASN partage le besoin d'une approche systémique de l'adaptation des centrales au changement climatique. L'approche critère par critère n'est pas transparente pour le public, et l'adaptation au changement climatique ne peut être pensée sans approche territoriale intégratrice et multisectorielle, ce qui dépasse les prérogatives restreintes de l'ASN. C'est particulièrement nécessaire pour les cinq centrales du bassin de la Loire et les quatre du bassin du Rhône. Il en va de même pour le choix du site d'un nouveau réacteur, qui dépend aussi d'autres paramètres comme la sismicité. Quoiqu'il en soit, tout nouveau site passe par l'ASN, avec une procédure de demande d'autorisation.
Troisièmement, à la suite du rapport de Réseau de transport d'électricité (RTE), le Gouvernement semble privilégier des scénarios de poursuite de l'exploitation des réacteurs actuels au-delà de 60 ans. Selon l'ASN, il faut sans tarder engager une réflexion avec EDF et l'IRSN sur la durée maximale de fonctionnement dans des conditions acceptables, au-delà du cadre formel des réexamens décennaux. En effet, ces derniers ne sont pas adaptés aux besoins d'anticipation, notamment pour les composants irremplaçables ou difficilement remplaçables.
L'ASN a demandé à EDF d'inclure, en vue de la prochaine politique pluriannuelle de l'énergie, d'ici à la fin 2026, la liste des réacteurs pouvant fonctionner après 2050, en prenant en compte les nouveaux réacteurs à construire en bord de fleuve.
Il ne faut pas écarter l'accélération des phénomènes climatiques pour un parc en extension pour les prochaines années, s'il en est décidé ainsi. L'ASN doit donc instruire ces sujets pour anticiper et que le Gouvernement et le Parlement les prennent en compte. Nous prévoyons une démarche renforcée d'association du public, comme nous l'avons fait pour le passage à 40 ans des réacteurs.
M. Cédric Lewandowski, directeur exécutif du groupe, est mobilisé par diverses problématiques, comme vous le savez. Je vous prie de bien vouloir l'excuser.
La Cour nous a demandé un travail important. EDF en partage la majorité des recommandations et conclusions. Cet excellent travail alimente nos réflexions.
Le dérèglement climatique et l'adaptation concernent tout le monde, pas le seul parc nucléaire. L'approche systémique mise en exergue de la Cour est majeure, parce qu'elle comprend la totalité des infrastructures nécessaires au nucléaire : entre autres, réseaux de transports d'électricité, de télécommunications, d'eau potable. Un tel travail devrait être conduit sur toutes les infrastructures publiques.
Nous travaillons sur la préservation de l'habitabilité des territoires. Toutes les centrales de la direction du parc nucléaire et thermique (DPNT), nucléaires comme émettrices de gaz à effet de serre, sont concernées. Ainsi, la disponibilité de l'eau touche une centrale nucléaire comme une centrale à gaz, charbon ou fioul. Toute production pilotable a besoin d'une source froide, essentiellement pour le refroidissement de la partie électrique. Le développement des énergies renouvelables impose cette réflexion autour de ces énergies pilotables, enjeu national.
Les incertitudes sont fortes. EDF travaille sur un scénario médian, dont nous rêvons tous eu égard aux recommandations d'atténuation et d'adaptation du GIEC. Si l'on veut éviter un monde à quatre degrés de plus, quasi invivable - la France serait à six degrés supplémentaires -, nous devons réduire nos gaz à effet de serre. Le nucléaire est une réponse parmi d'autres. Nous retrouvons cette incertitude dans nos travaux avec l'ASN, mais il n'y a pas de retour possible à la normale. Nous sommes, non dans une crise, mais dans une dérive climatique. À EDF, les prémices du service climatique remontent aux années 1990.
Comme le dit Jean Pisani-Ferry, la stabilité du climat, qui est à la base de notre économie, n'existe plus, il faut consentir à des dépenses d'investissement. Nous jouons la transparence, mais, malheureusement, des dépenses importantes doivent arriver, surtout si l'on attend du nucléaire qu'il assure la sécurité du réseau. Une centrale qui, comme aux États-Unis, replie ses tranches parce qu'elle ne peut plus produire, ne remplit pas ses obligations vis-à-vis du réseau. Nous n'avons pas cette approche en France. Nous avons beaucoup de relations avec les centrales de Palo Verde et de Barakah, mais elles diffèrent d'une centrale classique qui met sa production sur les marchés.
Madame la sénatrice, il y a bien une réalité politique à intégrer pour le rôle du nucléaire.
Je remercie la Cour pour la qualité de son rapport, et partage l'avis du rapporteur spécial. Au-delà des seuls éléments comptables, il enrichit le débat. Je remercie aussi l'ASN et EDF, ainsi que Christine Lavarde, qui est à l'initiative de ces travaux. Au lendemain d'un nouveau rapport du GIEC, cela met l'accent sur le choix hasardeux, mais qui a été dans l'air du temps, celui de la condamnation du nucléaire. J'espère que nous revenons vers plus d'objectivité. Ce rapport y concourt.
La Cour a établi ce rapport avant l'introduction par le Gouvernement, dans la navette parlementaire du texte relatif à la construction de nouvelles centrales nucléaires, d'un projet de fusion entre l'ASN et l'IRSN. Quelles en seraient les conséquences sur l'adaptation du parc nucléaire au changement climatique ?
Ensuite, il est difficile d'isoler les dépenses d'adaptation au changement climatique du parc. Quels obstacles faut-il lever pour progresser sur ce sujet ?
Madame la présidente, votre rapport souligne le besoin d'une démarche commune aux acteurs concernés pour adapter le parc au changement climatique. Comment mieux coordonner l'action ? Faut-il une structure spécifique, existante ou nouvelle, même si je me méfie des strates supplémentaires ?
Enfin, en 2019, l'IRSN abordait les risques d'étiage. Les récentes sécheresses y font écho. Avez-vous identifié des éléments nouveaux ? Reste-t-il des recherches à mener ?
Le nucléaire est certes moins vertueux que les énergies renouvelables, mais il reste indispensable à la stratégie de production énergétique de notre pays. À l'instar des déchets, y a-t-il une valorisation du rejet de chaleur en milieu naturel ?
Monsieur Catteau, l'ASN a-t-elle les compétences pour analyser la situation ? Je pose cette question dans la perspective d'un regroupement avec l'IRSN.
Je remercie la Cour pour son important rapport, ainsi que les intervenants.
Vous avez parlé des arbitrages d'EDF sur la production hydraulique ou nucléaire, mais la Cour a aussi mentionné d'autres enjeux, dont la préservation de sites environnementaux, de la production agricole et du tourisme. Irait-on jusqu'à menacer ces enjeux ?
Une fois n'est pas coutume, je ne partage pas le point de vue du rapporteur général : le nucléaire est décarboné, mais il a d'autres inconvénients.
Je remercie la Cour d'avoir dépassé les enjeux comptables. Le futur est difficile à prévoir : quels scénarios sont en préparation, en plus de la prolongation - en dépit des avis de leurs constructeurs - des centrales à, par exemple, 64 ans ? En particulier, quelles sont les hypothèses en termes d'étiage ? J'avais déposé un amendement, considéré comme satisfait, à ce sujet. Maintenant que le ministre Béchu parle d'une France à quatre degrés de hausse, quelles sont vos hypothèses ?
Ensuite, le risque de submersion - un amendement d'une collègue députée n'a pas été retenu - serait maîtrisé, mais c'était aussi le cas à Fukushima. En 1999, nous sommes passés très près d'une catastrophe en France. Quand on observe les trajectoires du GIEC, quels niveaux garantissent la sécurité ? En matière de sûreté, le risque de submersion me paraît plus grave que celui qui est lié à l'étiage.
Enfin, selon moi, il faut garder la double expertise de l'IRSN et de l'ASN. Monsieur Catteau, combien de fois cet été avons-nous dérogé aux règles de préservation de l'environnement ? Dans les étés qui viennent, privilégiera-t-on la production d'électricité ou la biodiversité ?
Je vous remercie pour ces informations.
Tout d'abord, on ne peut se passer du nucléaire, pour des raisons d'indépendance et de décarbonation, alors que la consommation électrique augmentera inéluctablement. La table ronde que nous avons récemment consacrée aux cryptoactifs en atteste.
Toutefois, le tout nucléaire serait une erreur. Le mix est la solution : ne mettons pas tous les oeufs dans le même panier. Madame la présidente, vous parliez de complémentarité entre hydraulique et nucléaire. Est-ce bien judicieux ? C'est l'été qu'on souffre des problèmes d'étiage, qui concernent les centrales et les barrages. Mais la nature fait bien les choses : l'été, on consomme moins d'électricité, et on a du soleil. Une complémentarité entre les énergies solaire et nucléaire est-elle possible ? Le photovoltaïque peut-il compenser les pertes de production ? Il est dangereux de déroger sans cesse à la température des cours d'eau. Le solaire n'est-il pas la réponse ?
Sur la valorisation de l'ensemble de l'énergie produite, il n'y a pas d'incitation spécifique, même si des exemples existent, comme la production de bars et de soles à Gravelines. Nous y travaillons, mais il faut des productions capables de supporter des arrêts de tranches.
Sur les arbitrages de la ressource en eau, notre démarche environnementale est forte. Nous ne vous avons pas présenté les 7 millions d'euros consacrés chaque année à la recherche et au développement autour de la biodiversité. Autour de nos centrales, le programme thermie-hydrobiologie, sur les populations de poissons, est la plus grande séquence de suivi biologique en France. Les travaux, publics, montrent que les centrales nucléaires n'ont pas d'impact majeur, et en tout cas, pour les populations de poissons, bien inférieur à celui du réchauffement climatique. Il faut un projet global pour préserver la production d'électricité et l'agriculture.
En effet, la production varie entre été et hiver, et le mètre cube d'eau n'a pas la même valeur selon les saisons. Gérer cela passe par la protection de l'environnement et du cycle de l'eau. Nous serons heureux de vous présenter notre travail autour des barrages et des centrales pour protéger les zones humides.
Nous travaillons sur plusieurs scénarios. Il faut différencier les scénarios du GIEC des modèles climatiques. Ces derniers sont une quarantaine : nous en testons une vingtaine, les plus applicables aux climats français, à chaque nouveau scénario du GIEC, dont nous retenons les hypothèses les plus pénalisantes.
En revanche, si les trajectoires de températures sont assez bien cernées, chaque modèle est différent quant aux prévisions en matière de précipitations. Cela rend difficile la simulation des étiages pour demain.
C'est une vraie question : une série de verrous scientifiques doivent encore être levés. Globalement, depuis plusieurs années, et particulièrement cet hiver, on observe une tendance de l'anticyclone des Açores à remonter vers le Nord. Le sud de la Loire s'oriente vers un climat ressemblant à celui de l'Espagne, avec des précipitations plutôt hivernales, et très peu de précipitations estivales. Cette tendance météorologique correspond avec ce qu'on vit depuis 2015, mais elle ne peut pas être totalement certifiée par la science, et on ne peut pas affirmer qu'elle est due au dérèglement climatique.
Je laisse M. Catteau se positionner sur la dualité entre l'ASN et l'IRSN, et indiquer combien de fois nous avons dérogé aux règles environnementales cet été.
En pensant ensemble l'hydraulique et les centrales nucléaires dès l'origine, nos grands anciens ont fait le choix qui nous a permis de bénéficier du système électrique le plus résilient, et pendant longtemps de l'électricité la moins chère d'Europe. Le modèle électrique français a consisté à imaginer ensemble l'hydraulique et le nucléaire. On peut évidemment faire évoluer le mix énergétique, mais les équipes de Marcel Boiteux et des grands ministres ayant mis en place notre parc nucléaire ont raisonné en ces termes. Dans la plupart des pays qui connaissent un très fort développement du nucléaire dans leur mix énergétique, cette démarche est aujourd'hui reprise. Il y a donc une cohérence, qui n'exclut pas un travail sur le photovoltaïque - même si, sans chercher à taquiner le solaire, on ne peut pas produire la nuit. Une démarche autour du solaire doit absolument être développée : le maintien du nucléaire n'exclut évidemment pas le développement des énergies renouvelables.
Concernant les compétences, l'ASN souffre de la sectorisation. Nous avons évidemment des spécialistes des agressions climatiques, tout comme des spécialistes de la protection de l'environnement, mais une vision intégratrice nous manque peut-être. Je ne saurais vous dire s'il s'agit d'un problème de compétences ou d'organisation, mais le sujet, bien identifié, a été largement mis en lumière par le rapport de la Cour des comptes.
Lors de la démonstration de sûreté des réacteurs, nous prenons en compte diverses hypothèses pour définir les niveaux d'étiage. Le retour d'expérience établit que les étiages actuels n'ont pas un impact direct sur la sûreté des réacteurs. Nous sommes très loin des niveaux minimaux à prendre en compte, qui sont définis sur la base du retour d'expérience, auquel nous rajoutons des marges assez importantes. Les étiages ont un impact non sur le risque accidentel, mais plutôt sur l'environnement.
Concernant le risque de submersion, l'ASN a publié un guide concernant les risques d'inondation des sites nucléaires, en prenant en compte la probabilité de chaque type d'inondation. Les périodes de retour d'expérience s'étendent sur 1 000 ans, et nous y rajoutons des marges, pour prendre en compte les marées les plus importantes ou les grands vents. En empilant des marges sur des marges, cela peut conduire au renforcement de digues : des travaux sont en cours, notamment à Gravelines et au Blayais.
Par ailleurs, il est toujours possible qu'un événement exceptionnel dépasse les valeurs retenues. Dans ce cas, les moyens ajoutés sur l'ensemble des sites nucléaires à la suite de l'accident de Fukushima apportent une réponse. C'est l'idée de ce que nous avons appelé le « noyau dur », c'est-à-dire de dispositifs permettant d'aller au-delà des niveaux de dimensionnement de la centrale, pour apporter de la résilience et fournir de l'eau et de l'électricité, éléments essentiels pour gérer une crise nucléaire. Ces niveaux sont réévalués tous les dix ans, pour que nous les adaptions à l'évolution des connaissances.
Permettez-moi de ne pas répondre précisément sur la réforme du contrôle. Évidemment, une telle réforme doit prendre en compte l'ensemble des missions de l'instance de contrôle, qui doivent être assurées dans la durée. Il n'y a pas d'ambiguïté, ni dans la situation actuelle ni dans le projet mis sur la table par le Gouvernement.
Je répondrai brièvement, en trois points, sur la méthode, sur les arbitrages, et sur les dérogations. Je commencerai par ce dernier point.
Il y a eu cinq dérogations, pour autant de centrales, entre la mi-juillet et le 11 septembre ; elles ont concerné les centrales thermosensibles du Bugey, du Blayais, de Saint-Alban, de Golfech et du Tricastin, que j'ai citées dans mon diaporama. Je rassure tout le monde : l'utilisation effective a duré très peu longtemps. Il n'y a pas lieu d'affoler sur les dérogations consenties à l'application des normes environnementales.
Sur la méthode, et pour répondre aux interrogations du rapporteur général, comment identifier les investissements relevant du changement climatique ? La comptabilité repose sur un ensemble de conventions ; la comptabilité analytique permet d'identifier certaines dépenses. Aujourd'hui, compte tenu des préoccupations environnementales, toute grande entreprise, publique ou privée, se doit d'identifier les investissements, dans l'exercice de sa responsabilité environnementale et sociale. J'ai été rassurée, car la représentante d'EDF indiquait que les investissements sont à venir. Pour l'instant, ils ont été un peu infimes, mais il faut du volontarisme, compte tenu de l'ambition portée par l'exploitant sur le parc tant existant qu'à venir.
Sur la question des structures, la Cour des comptes a produit en 2018 un rapport sur l'ASN, en 2021 un autre sur l'IRSN ; ces rapports, qui ne sont pas publics, ont été communiqués au Sénat. L'affaire nous semble relever non des structures, mais plutôt, dans une approche systémique, de la capacité des acteurs à se parler, à utiliser le même vocabulaire, à définir des méthodes communes, que cela soit pour les grands principes à l'échelle nationale, ou dans leur déclinaison à l'échelon local. M. Catteau a illustré, lors de son exposé, des raisons d'être confiants en nos capacités. C'est souvent la difficulté : on préconise toujours de nouvelles structures, mais cela tient souvent à l'art de se parler et d'échanger en toute franchise. Aujourd'hui, les rôles sont clairs : l'IRSN a un rôle d'expertise et rend des avis publics, de manière totalement transparente, tandis que l'ASN, sur la base de ces avis, prend des décisions. La Cour ne peut en dire davantage.
Sur les arbitrages entre l'hydraulique et le nucléaire sur un même cours d'eau, notre Premier président a annoncé un rapport public annuel sur l'adaptation au changement climatique à partir de 2024, et cette problématique y sera abordée. Sur les arbitrages avec les autres usages, nous venons également de publier une insertion dans le rapport public annuel sur la politique de l'eau, annonçant un rapport approfondi sur la gestion quantitative de l'eau, qui sortira les prochains mois, et qui abordera directement ces sujets.
La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes, ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information du rapporteur spécial Christine Lavarde.
La réunion est close à 16 heures.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.