Je donnerai quelques pistes saillantes avant de me tenir à votre disposition pour répondre à toute question.
Voilà quelques années, j'ai pris part aux travaux de la commission présidée par Bruno Cotte sur la refonte du droit des peines, qui préconisait déjà une réforme du code de procédure pénale en parallèle de la création d'un code pénitentiaire. Je me suis évidemment réjouie, il y a quelques mois, de l'entrée en vigueur du code pénitentiaire, qui a déjà permis de réduire un peu le volume du code de procédure pénale ; mais convenons qu'il n'y avait là qu'une toute petite part dudit code, lequel demeure aussi épais qu'auparavant et n'a pas été rendu plus lisible.
Faut-il réformer le code de procédure pénale ? Le temps est bel et bien venu de cette réforme : il y a plus de soixante ans qu'il est en vigueur. Il a été tant et tant de fois réformé depuis lors qu'il ne ressemble plus du tout au code d'origine. Tout le monde appelle à sa réforme, à commencer par les citoyens - il est très difficile de connaître ses droits, les conditions de son éventuelle garde à vue par exemple - et par les magistrats, qui ne cessent de demander qui la simplification du régime des nullités, qui celle de l'expertise, qui la réforme du statut de témoin assisté, qui la fusion des cadres d'enquête, qui l'extension de la négociation, etc. On retrouve ces demandes dans le rapport des États généraux de la justice.
C'est aussi aux yeux de l'universitaire que je suis, qui enseigne depuis plus de vingt ans la procédure pénale, qu'il est devenu impératif de simplifier le code - j'en prendrai quelques exemples. L'enseignement de cette matière devient très compliqué, dans un contexte général de densification des formations ; malgré un nombre d'heures accru on ne parvient que péniblement à faire le tour de la matière...
Quelles sont les causes de ce caractère désormais illisible du code de procédure pénale ? J'en ai identifié trois.
Premièrement, le droit européen a conduit, depuis 2000, à ajouter de nombreux articles dans le code, parfois à des endroits où on ne les attend pas du tout, ce qui perturbe sa lisibilité. Je pense, par exemple, aux articles 803 et suivants, qui sont perdus à la toute fin du code de procédure pénale, au sein d'un titre consacré aux frais de justice : après l'énoncé de règles somme toute très techniques sur les frais de justice et le calcul des délais, on trouve des dispositions fondamentales relatives à la préservation des droits pendant la retenue policière ou à l'introduction du recours en cas de conditions de détention contraires à la dignité.
Deuxièmement, la jurisprudence constitutionnelle, à grand renfort de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), a conduit le législateur, au cours des dernières années, à faire tout un tas de petites retouches ponctuelles, souvent dans l'urgence. Ainsi est-il fréquent qu'un article soit retouché à la demande du Conseil constitutionnel, mais sans réflexion d'ensemble sur d'autres dispositions posant pourtant un problème analogue, ce qui se traduit par des successions de QPC. L'exemple des décisions en matière de droit de se taire en témoigne : le législateur a inséré à l'article préliminaire du code, par la loi du 22 décembre 2021, une disposition générale sur le droit de se taire tout au long de la procédure pénale, mais aucun des autres articles n'a été retouché... Et le code comporte de très nombreux doublons.
Il faut désormais prendre un peu de hauteur afin d'harmoniser les choses : à certains égards, le plan du code lui-même ne tient plus, du fait de ces ajouts successifs faits à la demande du Conseil constitutionnel. Voyez le titre consacré aux règles particulières de procédure applicables aux personnes placées sous un régime civil de protection : le titre ne correspond plus du tout au contenu de la matière.
Troisième cause d'illisibilité : l'impact de la politique pénale et des choix qui nous sont imposés par l'évolution de la criminalité et de la société. Il ne s'agit pas de remettre en cause les règles particulières qui ont pu être instaurées en matière de lutte contre la criminalité organisée, contre le terrorisme et contre la criminalité économique et financière. Mais, à force de construire de tels régimes spéciaux, on a produit un code d'une très grande complexité. D'une certaine manière, il est difficile de savoir désormais si la procédure pénale se trouve dans les premiers articles du code ou aux articles 705 et suivants et 706-73 et suivants.
On parle beaucoup de la fusion des cadres d'enquête. Pourquoi pas... J'attire néanmoins l'attention sur la nécessité d'élargir le spectre de la réflexion. S'il s'agit de revenir sur la différence entre enquête préliminaire et enquête de flagrance telle qu'on la trouve aux articles 53 et suivants du code de procédure pénale, cela n'a pas grand sens. En revanche, il y a une question à se poser sur ce qu'est le cadre commun de l'enquête, car le cadre dérogatoire de la criminalité organisée envahit de plus en plus le droit commun de la procédure pénale.
N'y a-t-il pas désormais deux cadres, le cadre « classique » de l'infraction de droit commun et celui, par exemple, de la criminalité organisée ? Ces dernières règles, qui étaient au départ conçues comme des règles exceptionnelles, celles de l'article 706-80, dont le champ d'application a été étendu, doivent mieux trouver leur place dans le code. Les articles 706-73 et suivants, et en particulier l'article 706-80, ont été écrits en 2004 pour la criminalité et la délinquance organisées, mais ils servent aujourd'hui de socle. Dès que l'on veut créer une nouvelle règle, on le fait toujours par renvoi à ces articles, de sorte qu'un certain nombre d'articles du code de procédure pénale deviennent illisibles. Les dernières réformes, qui ont trait à la procédure pénale applicable en matière économique et financière, ne peuvent pas se comprendre sans des allers-retours avec les textes relatifs à la criminalité organisée : on ne s'y retrouve plus du tout. La difficulté tient encore à une autre raison : le législateur use beaucoup trop des techniques du renvoi et de la liste. Les listes d'infractions s'allongent, faisant perdre sa logique au dispositif. Il suffit de lire l'article 706-73 du code de procédure pénale, censé être le socle du droit applicable à la criminalité et à la délinquance organisées, pour s'en convaincre. Tel que réformé par la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), cet article perd beaucoup de sa cohérence : désormais, on peut utiliser les règles particulières qui y sont énoncées pour autre chose que ce pour quoi le dispositif a été conçu, c'est-à-dire les infractions commises en réseau, le trafic et la véritable criminalité organisée.
Que faut-il attendre de cette réforme ? Il faudrait avant tout qu'elle pose des principes clairs, valables tout au long de la procédure. L'article préliminaire est très important à cet égard ; il mériterait peut-être de laisser sa place à un chapitre préliminaire qui intégrerait l'ensemble de la procédure pénale, depuis la phase de l'enquête jusqu'à celle de l'application des peines.
Il faudrait, ensuite, que le plan du code permette de clairement marquer les phases de la procédure pénale, transitions comprises, et de désigner les acteurs importants à chaque phase, application des peines incluse - celle-ci a été juridictionnalisée en 2000, mais les articles afférents ont été placés dans le code un peu au hasard, ce qui pose des difficultés. Il suffit de penser par exemple au recours fréquent, en phase d'application des peines, à l'article 515 du code de procédure pénale, qui n'a pourtant pas été prévu pour cela puisqu'il a pour objet l'appel contre les jugements du tribunal correctionnel.
Enfin, il me semble nécessaire de s'interroger sur la répartition de la matière entre partie législative et partie réglementaire. Mon sentiment est que les articles de la partie législative du code de procédure pénale sont devenus beaucoup trop techniques : on y entre dans le détail plus que nécessaire. Certains articles de la partie réglementaire ne font parfois que reprendre exactement des phrases déjà contenues dans la partie législative... Je pourrais vous en donner de nombreux exemples. Voyez la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation : la procédure applicable devant la cour d'assises ayant été réformée à la suite d'une décision du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation, dans l'attente de l'intervention du législateur, s'est contentée de l'article réglementaire, dont elle estimait qu'il préservait les droits des individus, considérant que la référence à cet article plutôt qu'à un texte législatif n'emportait aucun grief.