Intervention de Antoine Botton

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 mars 2023 à 10h30
Réforme de la procédure pénale — Audition de mmes coralie ambroise-castérot professeur à l'université côte d'azur et évelyne bonis professeur à l'université de bordeaux et de M. Antoine Botton professeur à l'université toulouse 1-capitole

Antoine Botton, professeur à l'université Toulouse 1-Capitole :

Le code de procédure pénale est un code très ancien, qui commence à être daté en considération de l'évolution de la procédure pénale.

J'aimerais axer mon propos sur le décalage entre le code de procédure pénale et la réalité du procès pénal en 2023. Un exemple : la place de l'instruction dans le code. Dans le code d'éditeur que j'ai avec moi, 400 pages sont, par exemple, consacrées à l'instruction en matière pénale, pour 6 % du traitement pénal - c'est la part, arrondie au supérieur, des affaires qui passent par la case de l'instruction en France en 2021. Dans le même code, l'enquête, qui est un élément de toute procédure, avec ou sans instruction, dès lors qu'il y a des poursuites, représente 100 pages. Cette disproportion a évidemment des incidences sur le fond : il existe des « trous » considérables dans la législation à propos des droits - je pense notamment au principe du contradictoire et à la question de l'accès au dossier au stade de l'enquête.

Autre décalage faramineux : 40 % de la réponse pénale, dont l'assiette est composée des 1,3 million d'affaires poursuivables - il faut déjà faire un sacré tri pour arriver à cette assiette -, passe par des alternatives aux poursuites. Combien d'articles, dans le code de procédure pénale, sont-ils consacrés aux alternatives ? Un seul : l'article 41-1. En d'autres termes, 40 % de la réponse pénale est concentrée dans un article du code.

Autre exemple : l'ordonnance pénale, la procédure simplifiée, est quantitativement le premier mode de comparution et de jugement en matière correctionnelle : il y en a eu 200 000 en 2021 sur 660 000 poursuites. Or les dispositions afférentes sont « coincées » aux articles 495 à 495-6, placées de surcroît à un endroit très étrange du code, puisque les comparutions sont traitées aux articles 388 et suivants.

À l'inverse, la lecture du code suggère que le mode de comparution principal serait la citation directe, laquelle figure à l'article 388 que je viens d'évoquer ; or on a dénombré seulement 11 000 citations directes en 2021, sur 660 000 poursuites...

La place de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) pose aussi problème : quoiqu'étant un mode de comparution à part entière, elle n'est pas traitée avec les comparutions, mais juste après l'ordonnance pénale, c'est-à-dire la procédure simplifiée en matière délictuelle.

Et je peux vous assurer que d'autres décalages apparaîtront à l'avenir, liés à la montée en puissance d'un autre mode de jugement, à savoir l'amende forfaitaire. Cette désorganisation va donc sans doute s'amplifier, la Lopmi ayant considérablement ouvert le champ de l'amende forfaitaire en matière délictuelle.

J'adhère absolument à tout ce qu'a dit ma collègue sur le livre IV du code de procédure pénale, qui est une véritable catastrophe. Ce livre liste des procédures relatives à des problèmes très différents, du faux à la criminalité organisée en passant par les règles applicables en matière sanitaire. Il suffit de parcourir le plan du livre IV pour constater qu'il s'agit en réalité d'un livre résiduel, dans lequel on insère toutes les dispositions que l'on ne peut pas mettre ailleurs.

Le titre XXV de ce livre, notamment, consacré au régime dérogatoire applicable à la criminalité organisée, est aujourd'hui très utilisé et le sera de plus en plus, puisqu'à chaque réforme, y compris provenant du ministère de l'intérieur, on étend son champ d'application. On vient ainsi de l'étendre aux crimes sériels, qui n'ont pourtant rien à voir avec la criminalité organisée. Le Conseil constitutionnel n'a rien trouvé à y redire, mais cette extension désorganise l'ensemble du code.

Un mot sur les nullités de la procédure : la question de la sanction des irrégularités et de la fraude à la procédure pénale est essentielle ; ce code ne sert à rien à défaut d'un régime de nullité efficace. Or ce régime est éclaté entre deux « cases » du code, la plus grande partie se trouvant dans la case relative à l'instruction ; or il n'y a pas qu'en instruction que l'on soulève la nullité, cette phase, je le rappelle, ne concernant que 6 % des affaires en France ! Le législateur devrait reprendre la main sur cette question, qui a été trop longtemps laissée à la jurisprudence, notamment à la chambre criminelle de la Cour de cassation, laquelle a fait de ce régime, selon moi, un régime ineffectif. Des exemples montrent, ces dernières semaines, que la sanction des fraudes à la procédure pénale est en très grande partie coupée de son ineffectivité.

Une simplification est-elle nécessaire ? Vous savez qu'à l'université on se méfie beaucoup du terme « simplification », puisqu'on aime compliquer les choses...

S'il faut une simplification, c'est au sens d'une clarification renforçant l'effectivité des droits des personnes mises en cause. Le régime des nullités est si peu clair, à l'heure actuelle, qu'il n'y a aucune prévisibilité, pour les personnes poursuivies, quant à la sanction qui frapperait une éventuelle irrégularité de la procédure pénale.

Je songe à la loi du 4 janvier 1993, qui visait, précisément, à clarifier le régime des nullités : une alternance politique ayant eu lieu dans l'intervalle, ces dispositions furent immédiatement défaites par la loi du 24 août 1993. Le reproche principal qui était fait à la première loi était qu'elle rendait les nullités trop claires, trop lisibles, faisant du code de procédure pénale un code trop risqué pour les enquêteurs et pour les parquets. C'est toute la question de l'obscurité nécessaire du code...

Je pense aussi à une série d'arrêts rendus en juillet 2022 par la chambre criminelle de la Cour de cassation à propos du contrôle des réquisitions par le procureur de la République : dans le même arrêt, la Cour indique, d'un côté, que notre législation est contraire au droit européen, notamment à la jurisprudence Prokuratuur de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et, de l'autre, qu'il faut appliquer notre droit national, notre régime des nullités, et qu'en l'occurrence aucune annulation ne sera prononcée. Pourquoi ? Parce que notre régime des nullités est draconien : il faut notamment prouver un grief qui ne doit pas consister dans la violation de la règle elle-même. Quel est le grief personnel retiré du fait que, par exemple, le procureur a requis des informations personnelles à votre propos ? Cela paraît très difficile à prouver... Par cette impossibilité, on organise le défaut de sanction du non-respect des règles, ce qui nous expose au niveau européen. Certains avocats ont d'ailleurs commencé à évoquer le dépôt de recours en manquement contre l'État français.

Dernière question : que faut-il attendre d'une telle réforme ?

Il va falloir clarifier la phase présentencielle du procès pénal. J'en reviens au chiffre que j'ai cité : 6 % des affaires passent par l'instruction. Or cette phase présentencielle très minoritaire représente grosso modo un tiers du code, une partie très « garantiste » qui autorise beaucoup de recours. En matière délictuelle, sur décision d'une seule personne - le procureur de la République -, le justiciable peut donc faire l'objet soit d'une instruction, assortie de maintes garanties et possibilités de recours, soit d'une enquête préliminaire, sans aucun droit ni garantie. Or cette décision d'orientation du procureur de la République ne peut elle-même faire l'objet d'aucun recours juridictionnel. Des efforts ont été faits sur le principe du contradictoire - je pense à l'article 77-2 du code de procédure pénale - depuis la loi du 3 juin 2016, mais ces efforts sont insuffisants, du point de vue de l'accès au dossier notamment.

Dans le rapport spécial des États généraux, il est d'ailleurs indiqué qu'une telle situation pose un problème d'égalité des justiciables devant la justice pénale : cet aiguillage engendre des différences de traitement considérables.

Nous disposons d'un point de départ : c'est l'avant-projet de réforme du code de procédure pénale de 2010, dans lequel était imaginé un système sans instruction. Cet avant-projet nous livre quelques clés, sous forme de possibles dispositions législatives, quant à ce que pourrait être un système doté d'un contrôle juridictionnel plus puissant. Il y était notamment envisagé de créer un juge de l'enquête et des libertés, avec des possibilités de recours assez spectaculaires.

Je prends un seul exemple : la qualité de suspect dans l'enquête. Cette qualité, qui donne lieu à un renvoi potentiel devant une juridiction pénale, ne peut aujourd'hui être contestée, à la différence de la qualité de mis en examen dans le cadre de l'instruction, que l'on peut attaquer par le biais d'une requête en nullité. Et il n'existe pas de recours contre la décision d'orientation, c'est-à-dire la décision de comparution. De manière générale, les modes de comparution sont si nombreux que cela engendre des inégalités de traitement... Dans l'avant-projet de réforme du code de procédure pénale, la « partie pénale », c'est-à-dire le suspect, avait la faculté de contester son statut devant le juge de l'enquête et des libertés, ce qui aurait pu conduire, ensuite, à contester son renvoi devant une juridiction pénale. Cela n'est pas possible, actuellement, dans le cadre d'une enquête, contrairement à ce qui se passe, évidemment, dans le cadre d'une instruction.

Il est donc indispensable d'unifier ; mais dans quel sens ? sur quelle base ? En la matière, il reviendra au législateur de trancher.

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