Intervention de Coralie Ambroise-Castérot

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 mars 2023 à 10h30
Réforme de la procédure pénale — Audition de mmes coralie ambroise-castérot professeur à l'université côte d'azur et évelyne bonis professeur à l'université de bordeaux et de M. Antoine Botton professeur à l'université toulouse 1-capitole

Coralie Ambroise-Castérot, professeur à l'université Côte d'Azur :

Je remercie mon collègue Antoine Botton d'avoir si souvent cité le code des éditeurs : étant moi-même l'une des rédactrices du code de procédure pénale Dalloz, je sais que de nombreux défauts y demeurent ; nous essayons de les corriger.

Faut-il réformer le code de procédure pénale ?

On pourrait réformer tous les codes : à peine sont-ils réformés qu'ils sont déjà pétris de défauts - voyez le code de la consommation, qui venait juste, en 2016, d'être recodifié, et devait déjà, le mois suivant, être modifié en raison de directives européennes. À peine le code de procédure pénale sera-t-il réformé qu'il faudra le modifier à nouveau pour tenir compte de nouvelles décisions du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), de la CJUE.

Par ailleurs, une fois adoptée une codification scientifique, on risque de se retrouver, comme dans le code pénal, avec des doubles tirets, des triples tirets, voire des quadruples tirets dans la dénomination des articles...

En outre, la question de savoir s'il faut réformer le code a déjà été tranchée, puisqu'un avant-projet a été rédigé. Un comité scientifique composé de magistrats, d'avocats et de professeurs de droit est d'ailleurs d'ores et déjà constitué et a débuté ses travaux début 2023 ; c'est ce qui est écrit dans le rapport annexé au projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, page 31, point 2.4.3.1.

Une simplification est-elle nécessaire ? Je rejoins ce qu'a dit mon collègue Antoine Botton : qui a envie de répondre qu'il vaudrait mieux ne pas simplifier ? Mais telle n'est pas la bonne question à poser, car c'est une illusion de croire que tous les problèmes sont simplifiables.

Il faut surtout que le plan du code de procédure pénale soit réorganisé afin d'éviter les doublons et les problèmes de renvoi. Mais simplifier est une illusion : tout ne doit pas être simplifié, d'autant moins lorsqu'il s'agit de sujets complexes. La procédure pénale restera une matière technique, et il n'y va d'aucune argutie ou ratiocination : les libertés fondamentales sont en jeu.

Que faut-il attendre de la réforme ? Je vous renvoie au point 1.2.3 du rapport annexé, intitulé « Une justice pénale insuffisamment lisible » : le nombre d'articles du code est passé de 800 à plus de 2 400 depuis 1959. J'ai avec moi un code pénal et d'instruction criminelle qui date de 1928 : il est minuscule. Le code actuel, en comparaison, est monstrueux ; et il ne va cesser de grossir.

J'en viens à quelques exemples. J'ai l'habitude, dans le cadre de mon travail pour Dalloz, de parcourir ce code de long en large afin de rationaliser les notes, de modifier les plans, d'introduire de nouvelles annexes.

Concernant la phase d'enquête, un problème se pose à propos des patrouilles de police, qui ne sont prévues ni dans le code de procédure pénale ni dans le code de la sécurité intérieure. Dit autrement, il n'existe pas de régime unifié des contrôles d'identité, des palpations de sécurité et des fouilles corporelles. La fouille corporelle est traitée par la jurisprudence, depuis 1953, comme une perquisition, ce qui paraît surréaliste. Aucune législation ne traite de ces questions. Le problème naît d'ailleurs en partie de la multiplicité des codes : les palpations de sécurité sont traitées dans le code de la sécurité intérieure et les contrôles d'identité dans le code de procédure pénale.

Dans le code de procédure pénale, il n'y a rien d'unifié sur les preuves. Michèle-Laure Rassat en avait beaucoup parlé dans un rapport remis à Jacques Toubon en 1997 : il était question de créer, comme dans le code civil, une partie sur les preuves dans le code de procédure pénale. La question des témoignages est disséminée, et il n'y a rien sur les indices. Certains domaines mériteraient des régimes communs, des principes généraux déclinés selon les phases, enquête, instruction, jugement.

Il n'y a rien non plus, dans le code de procédure pénale, concernant les saisies lors des perquisitions, sinon un micro-texte qui ne dit pas grand-chose. Comme de nombreux autres, l'article 54, qui a pour objet la préservation des indices, vise seulement les crimes, et non les crimes et les délits... La personne reconnaît-elle les objets qui lui sont présentés après une perquisition ? Le cas échéant, n'est-elle pas en train de s'auto-incriminer ? L'avocat ne devrait-il pas être présent au moment de la perquisition, à supposer qu'elle ait lieu hors instruction ? Il manque un régime unique et des règles claires : la question de l'auto-incrimination est traitée dans le régime de la garde à vue, et il n'y a pas de texte propre aux saisies. La jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation conduit à reconnaître une absence de nullité : la reconnaissance d'un objet ne signifie pas auto-incrimination.

Encore peut-on souligner nombre d'incongruités : le code de procédure pénale est plein d'infractions pénales - il y en a une bonne trentaine. Et, inversement, il est des infractions de procédure qui sont placées en dehors du code de procédure pénale ; ainsi le refus de communiquer la convention secrète de déchiffrement d'un téléphone portable se trouve-t-il dans le code pénal, alors qu'il s'agit d'une infraction d'enquête.

Parmi les infractions pénales disséminées dans le code de procédure pénale, je citerai le délit consistant à ne pas se soumettre à des mesures de prise d'empreintes génétiques. Certains prélèvements forcés sont d'ailleurs autorisés par la chambre criminelle sur le fondement de l'article 60 du code de procédure pénale alors qu'ils sont parfaitement contraires à la jurisprudence européenne, celle de la CEDH, qui dispose que nul ne peut être soumis à des traitements inhumains ou dégradants. Si un jour l'État français était poursuivi, il perdrait ces procès, j'en suis persuadée.

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