Intervention de Patrick Dehaumont

Commission des affaires sociales — Réunion du 22 mars 2023 à 8h30
Audition de M. Patrick deHaumont candidat à la présidence du conseil d'administration de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail anses

Patrick Dehaumont, candidat à la présidence du conseil d'administration de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail :

Je suis heureux et honoré de pouvoir présenter ma candidature à la présidence de l'Anses, agence de sécurité sanitaire bien connue dans le paysage sanitaire français et international aujourd'hui. Lorsque j'ai été sollicité pour présenter cette candidature, je dois dire que j'ai accepté sans hésitation, pour trois raisons, sur lesquelles je voudrais revenir : le champ de l'Anses, son contexte et les enjeux auxquels elle doit répondre ; mon parcours, marqué par la santé publique vétérinaire et par de nombreuses interactions avec l'Anses et les structures qui l'ont précédée ; la vision que je peux avoir, à ce stade, des fonctions de président du conseil administration et les axes que j'aimerais porter.

L'Anses couvre un champ extrêmement large : environnement, santé, travail, santé animale, santé humaine, bien-être animal, santé végétale. Ce champ s'est élargi au fil des années. Classiquement, on évoque, pour présenter l'Anses, quatre grandes thématiques.

Sa première mission est l'expertise scientifique, qui se doit d'être indépendante - on a vu des controverses émerger la semaine dernière sur le sujet. Cette expertise scientifique a été construite depuis une vingtaine d'années. Elle s'appuie sur des comités d'experts, sur une organisation rigoureuse, sur la meilleure science possible et disponible, et tend à s'élargir, avec la création récente d'un comité d'experts spécialisé (CES) dédié à l'analyse socio-économique et d'un comité de dialogue sur les biotechnologies.

La deuxième mission, historique, de l'Anses est une mission de veille, de vigilance et de surveillance. L'Anses a à sa disposition des sources d'informations, en matière de nutrivigilance, de vigilance sur les médicaments vétérinaires, sur les produits phytosanitaires, sur l'antibiorésistance, etc.

Une troisième fonction, extrêmement importante, est une fonction de recherche et d'innovation méthodologique. L'Anses a une double fonction de recherche. La recherche opérationnelle appliquée s'appuie notamment sur son réseau de laboratoires, qui s'est développé en interaction avec de nombreux autres organismes, sur des aspects ponctuels très précis, mais aussi sur des aspects systémiques - de grands enjeux tels que l'exposome, qui a été repris dans la loi de santé publique de 2016, ou le projet PARC sur les résidus de substances chimiques, énorme projet européen sur sept ans et à 400 millions d'euros, que l'Anses pilote. Il y a donc à la fois des actions spécifiques sur des thèmes précis, mais aussi une approche de recherche méthodologique, plus intégrative, prenant en compte l'ensemble des aspects de santé, y compris environnementale. Sur le plan de la recherche, l'Anses est aussi un prescripteur important, avec le programme national de recherche Environnement-Santé-Travail (PNREST). C'est un enjeu extrêmement important. La recherche, à l'Anses, doit être à la fois de la recherche opérationnelle, avec les moyens de l'agence et en résonance avec les autres organismes, et de la prescription de recherche, pour alimenter la qualité de l'expertise.

Le quatrième point fait parfois débat. Il s'agit des autorisations de produits réglementés, à savoir : historiquement, le médicament vétérinaire, que j'ai bien connu lorsque je dirigeais l'Agence nationale du médicament vétérinaire ; plus récemment, les produits phytosanitaires ; les biocides, dont l'évaluation et la gestion relèvent de l'Anses.

Cette présentation analytique en quatre points ne doit pas faire oublier que l'on est dans une approche globale, systémique. Vous avez parlé, Madame la Présidente, du concept « Une seule santé », animale et humaine. Effectivement, toutes les actions de l'Anses s'inscrivent aujourd'hui dans cette dynamique, qui est vraiment devenue une dynamique internationale et qui doit intégrer l'ensemble des dimensions de la santé.

Bien sûr, toutes ces actions se déroulent avec un cadre déontologique, qui a connu une montée en puissance et est désormais bien défini, et dans un dialogue permanent avec l'ensemble des parties prenantes, à travers le conseil d'administration, les comités d'orientation thématiques, les plateformes de dialogue, le Comité économique, social et environnemental, la Commission nationale du débat public... Il est essentiel aujourd'hui, compte tenu notamment des sujets de controverse et des incertitudes, de pouvoir s'appuyer sur un débat vraiment ouvert sur la société, assorti de règles de déontologie précises.

En quoi mon parcours peut-il me permettre de penser que je peux être un peu utile à l'Anses et à l'action publique en matière sanitaire en occupant les fonctions de président du conseil d'administration ? Je suis inspecteur de santé publique vétérinaire. Je suis vétérinaire de formation, mais je n'ai jamais eu de clientèle. Très rapidement, lors de mes études, je me suis orienté vers la santé publique, avec notamment des études d'immunologie.

J'ai été chargé de gestion de risques sur le terrain et en administration centrale. Cela m'a permis d'approcher le besoin d'expertise scientifique, car, à cette époque - c'était au siècle dernier -, il n'y avait pas d'expertise scientifique organisée. J'ai travaillé sur les contaminants, sur l'impartialité et l'indépendance de l'inspection et des systèmes de contrôle, autant de sujets qui résonnent beaucoup avec les activités de l'Anses. À l'époque, je travaillais sur ces sujets avec les laboratoires nationaux, qui, aujourd'hui, sont les laboratoires de l'Anses.

J'ai ensuite effectué un passage à l'étranger : j'ai eu l'opportunité de conduire un projet d'appui à la Pologne pour l'accès à l'Union européenne dans les domaines sanitaires.

En revenant de Pologne, j'ai eu une nouvelle opportunité : la direction de l'Agence nationale du médicament vétérinaire, mission assez exaltante, qui mêlait à la fois expertise scientifique, recherche, décision, gestion de risque - au niveau de la direction, il fallait aussi délivrer les autorisations de mise sur le marché (AMM). Cet exercice se déroulait, à l'instar de ce qui se passait à l'époque à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) - qui aujourd'hui s'appelle l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) -, dans un cadre très européen et international.

J'ai eu l'occasion de m'intéresser tout particulièrement, avec mes équipes, à l'antibiorésistance. Nous avons porté le sujet de la maîtrise de l'antibiorésistance dans le domaine vétérinaire au niveau international, puisque nous étions centre de référence de l'Organisation mondiale de la santé animale, organisation soeur de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Nous avons aussi pu développer un certain nombre de méthodes que l'on applique aujourd'hui en la matière. Nous avons également eu l'occasion de travailler, au niveau mondial, sur l'harmonisation des méthodes d'évaluation des médicaments.

J'ai ensuite eu la chance d'être nommé directeur général de l'alimentation en 2012. J'ai exercé cette fonction jusqu'en 2019. J'ai toujours abordé cette fonction, exposée politiquement, sous l'angle très strict de respect de l'impact sur la santé publique. Cela me paraissait vraiment essentiel, puisque l'on s'intéressait à des sujets de sécurité alimentaire, de santé animale, de bien-être animal, certains aspects de santé environnementale et de santé végétale.

De ce point de vue, le cas de l'antibiorésistance est exemplaire. En effet, un plan Écoantibio a permis, de 2012 à 2017, de réduire de manière très significative les consommations d'antibiotiques, avec l'aide de l'Anses - à ce moment, la référence scientifique et technique était là. Les résultats ont été très significatifs, avec, sur la période, moins 40 % d'antibiotiques et moins 90 % d'antibiotiques critiques utilisés. Il est intéressant de voir qu'il y avait alors une combinaison de l'action de l'agence sanitaire, de l'autorité ministérielle et du Parlement, puisque la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt a permis d'entériner la limitation de l'usage des antibiotiques. En plus des actions incitatives, des actions contraignantes ont été mises en place, comme l'interdiction des marges arrière sur les antibiotiques ou la limitation de l'usage des antibiotiques critiques. La conjonction de la carotte et du bâton, si je puis dire, a permis de diminuer de manière extrêmement importante l'usage des antibiotiques. Cette diminution continue.

J'ai aussi eu l'occasion de piloter les crises d'influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) des années 2010. On parle aujourd'hui de vaccination. À l'époque, cette possibilité n'existait pas.

Je pense à bien d'autres aspects sur les produits phytosanitaires, notamment à l'affaire Lactalis - je pourrais vous en dresser l'inventaire.

J'ai particulièrement apprécié l'exercice, parce qu'il y avait vraiment, à l'Anses, le répondant scientifique et technique, la compétence, l'indépendance. En outre, nous avons toujours fait ce travail dans le cadre de multitutelles. En réalité, nous avons cinq tutelles, Madame la Présidente : agriculture, environnement, santé, travail et consommation. Je vous proposerais peut-être même tout à l'heure que l'on en envisage une sixième... En fait, ces tutelles ont vraiment toujours été une source de richesse, d'équilibre et de confrontation des opinions pour pouvoir avancer sur certains sujets sanitaires.

On a créé, à cette période, des sujets qui intéressent beaucoup l'Anses aujourd'hui, et dans lesquels elle est très impliquée : les plateformes d'épidémiosurveillance, le centre de référence du bien-être animal, la plateforme de santé animale, qui entrent en résonance avec la plateforme technologique européenne.

Le sujet des données est tout sauf réglé. On a besoin, pour pouvoir travailler sur la santé, de données massives, robustes, élaborées dans de bonnes conditions. Dans quelques situations, on pourrait améliorer le dispositif : sur les phytosanitaires, sur les autocontrôles, sur les entreprises agroalimentaires... Il faudrait que nous puissions disposer des données de manière systématique pour faire du séquençage génomique systématique, ce qui permettrait d'identifier les foyers d'infection. Il y a donc un sujet global de données qui me paraît important.

Pour terminer sur mon parcours, je suis actuellement en appui en matière de ressources humaines pour le suivi des compétences des agents et des déroulements de carrière et pour le suivi d'un certain nombre de structures, pour m'assurer de l'adéquation de la conduite des politiques publiques avec nos attentes.

J'ai bien conscience que la fonction de président n'est pas une fonction exécutive. Je me plais à le souligner, parce que j'ai été habitué à avoir des fonctions de direction. Il ne faut pas confondre ! D'ailleurs, quand j'étais directeur, je disais toujours qu'un directeur dirige et qu'un président préside.

Cela dit, je pense que la présidence du conseil d'administration de l'Anses devrait me permettre de porter cinq ambitions, avec l'ensemble des membres du conseil, dont je rappelle qu'il est vraiment d'essence grenellienne, ce qui est extrêmement intéressant - l'ensemble des parties intéressées y siègent.

Tout d'abord, il faut s'assurer de la pertinence et du portage de la stratégie de l'agence.

Il me semble que le conseil d'administration devra s'intéresser à la force de recherche de l'Anses. Le PNREST, c'est moins de 10 millions d'euros aujourd'hui par an et le taux de réussite de ce programme n'est que de 11 %, alors que celui des programmes proposés par l'Agence nationale de la recherche (ANR), dont les champs sont certes plus larges, est de 25 %. On risque donc de décourager les candidats potentiels, alors que les projets nécessaires sont extrêmement nombreux. À l'heure où l'on parle d'exposome, d'effet-cocktail, etc., c'est vraiment un point à travailler. C'est pour cela que je parlais d'une sixième tutelle : il faut que l'on se pose la question de la relation avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, de la relation rénovée avec l'ANR et, pourquoi pas, d'une tutelle supplémentaire.

Je veux également travailler à la crédibilité et l'indépendance de l'expertise. Ce sujet a déjà été beaucoup travaillé. Il fait régulièrement l'objet de controverses, ce qui est normal quand on est en zone d'incertitude. Il faudra avancer sur les questions d'analyse socio-économique, sur les notions de débat public, sur les conditions d'organisation de la déontologie, qui progresse en permanence, mais qui nécessite une vigilance constante.

Il faut une transversalité avec les organisations clés, que ce soit Santé publique France, l'ANSM ou les gestionnaires. Cela rejoint la question des données, parce que nous ne pourrons faire un pas significatif en matière de sécurité sanitaire globale que si l'on en fait un en matière de collecte et d'analyse de données. Or cela, nous ne le ferons pas tout seuls. Il faut le faire avec l'ensemble des acteurs ; il faut une volonté politique. Peut-être que les progrès ont été trop lents jusqu'à présent. De fait, lorsque j'étais DGAL, c'était déjà des sujets que l'on évoquait pour les produits phytosanitaires ou pour les autocontrôles, et on n'a pas beaucoup évolué depuis.

J'ai parlé de la déontologie et de l'enrichissement du débat public.

En conclusion, depuis la création des laboratoires nationaux de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) et la création de l'Anses au début de l'année 2010, on a un dispositif qui est monté en puissance, qui s'est structuré, qui s'appuie sur la science et qui doit continuer de s'appuyer sur une science extrêmement robuste, dans un cadre déontologique fort, et bien s'inscrire dans les défis de demain.

Le sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) a paru lundi. Il fait plus qu'interpeller... L'Anses a aussi un rôle à jouer sur ces sujets, avec les autres acteurs. Cette ambition doit s'inscrire dans le contexte « Une seule santé », qui est incontournable aujourd'hui.

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