Intervention de Micheline Jacques

Commission des affaires économiques — Réunion du 22 novembre 2022 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Mission « outre-mer » - examen du rapport pour avis

Photo de Micheline JacquesMicheline Jacques, rapporteur pour avis :

Malgré une hausse annoncée de plus de 11 %, il sera difficile de faire face aux nombreux défis des territoires, comme l'ont rappelé les maires ultramarins hier au congrès des maires, particulièrement dans un contexte d'inflation. « - ». Mais je vous invite à regarder le budget qui nous est soumis cette année comme un budget de transition, une transition vers une méthode renouvelée, comme annoncé par le ministre chargé des outre-mer à plusieurs reprises cette année, notamment à la suite de l'appel de Fort-de-France, en mai dernier.

À périmètre constant, les crédits de la mission sont en augmentation de plus de 11 % en autorisations d'engagement (AE) comme en crédits de paiement (CP). Cependant, les deux tiers de cette augmentation sont mécaniques, dus aux prévisions du montant des compensations d'exonérations sociales. Une importante mesure de périmètre vient ensuite grever les crédits de la mission, sans toutefois, il est vrai, emporter de conséquences sur les financements déployés. Enfin, ajoutez à cela l'inflation de 4,2 % anticipée pour 2023, et, comme les rapporteurs spéciaux M. Patient et M. Rohfritsch l'ont souligné dans leur rapport pour la commission des finances, nous aboutissons à une baisse, en volume, des crédits pour l'outre-mer.

Pour rappel, la mission « Outre-mer » se divise en deux programmes. Le premier, qui représente les deux tiers des crédits, vise à encourager l'emploi, les qualifications et la compétitivité des entreprises. Il comporte notamment, pour plus de 50 % du total des crédits de la mission, les compensations d'exonérations de cotisations sociales. Le second programme vise à améliorer les conditions de vie outre-mer et traite notamment du logement.

Je ne m'étendrai pas sur les crédits de chaque action de chaque programme, car je souhaite plutôt articuler mon propos autour des trois thématiques que sont le logement, la formation des jeunes et la mobilité des ultramarins.

Au préalable, permettez-moi de revenir rapidement sur la situation des outre-mer.

Cette situation est variable puisque nous observons, comme dans l'Hexagone, une reprise en 2021 et 2022, à la suite de la crise covid et des mouvements sociaux qui ont secoué certains territoires. Le chômage baisse dans quatre des cinq départements et régions d'outre-mer (Drom), même si, de manière générale, il demeure à un niveau très élevé. L'activité économique tend à retrouver un niveau d'avant-crise, même si la reprise est plus difficile dans les territoires du Pacifique, de même que dans certains secteurs, comme le tourisme, qui reste dans une situation préoccupante. Qui plus est, l'inflation va sans doute venir compliquer encore un peu plus la situation.

Plus généralement, je tiens à rappeler ici que l'écart de niveau de vie entre nos compatriotes hexagonaux et les ultramarins demeure structurel, justifiant des investissements particuliers des pouvoirs publics, liés à la spécificité de chaque territoire ; la politique du logement, par exemple, ne saurait être la même à Mayotte et en Martinique, et ne saurait être pilotée depuis un bureau de Paris.

Pour revenir plus spécifiquement au projet de budget pour 2023, je commencerai par formuler quelques remarques sur le logement.

La politique du logement dans les Drom est directement pilotée par le ministère des outre-mer au moyen de la ligne budgétaire unique (LBU). Ce pilotage trouve son origine dans les besoins importants et spécifiques des territoires ultramarins, puisque le déficit de logements locatifs sociaux dans les Drom est estimé à 110 000, avec un besoin annuel estimé allant de 8 600 à 10 400 logements. Or, en 2021, ce sont 3 036 logements sociaux qui ont été livrés.

Pourtant, les insuffisances de la politique en matière de logement ont été identifiées depuis plusieurs années maintenant. Je pense au rapport, en 2020, de la Cour des comptes relatif au logement en outre-mer qui dresse le constat d'échec sans appel du premier Plan logement outre-mer (Plom) et bien sûr au rapport d'information sur la politique du logement dans les outre-mer, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, dont j'ai été rapporteur avec mes collègues Guillaume Gontard et Victorien Lurel. Certaines recommandations de ce rapport ont été suivies, il est important de le souligner. J'observe aussi un réel engagement de la part des services du ministère et du ministre lui-même sur cette problématique difficile et multifactorielle. Cependant, force est de constater que le compte n'y est toujours pas et, ai-je envie de dire, de moins en moins.

En effet, même si le Plom 2 ne fixe pas d'objectif quantitatif, le Plom 1 visait, lui, la construction et la rénovation de 10 000 logements par an, quand la loi de 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (Érom) traçait une trajectoire de 150 000 logements construits et réhabilités à l'horizon de 2027. Or, le nombre de logements sociaux et très sociaux financés demeure, depuis 2015, sous la barre des 5 000. Lorsqu'on s'intéresse aux logements effectivement livrés - plus de 5 000 annuels avant 2017 -, nous sommes aujourd'hui à environ 3 000.

Ces chiffres seraient-ils alors compensés par une augmentation drastique des réhabilitations, dont certains de nos territoires - je pense à la Martinique et à la Guadeloupe - ont tant besoin ? Pas vraiment, puisque le nombre de réhabilitations effectivement abouties est systématiquement inférieur à 2 000. Il s'élevait à 1 628 en 2021.

Enfin, que dire de la lutte contre l'habitat insalubre ? Le Gouvernement lui-même estime à 155 000 le nombre de logements indignes en outre-mer, quand d'autres estimations sont encore plus hautes. Pourtant, les crédits dédiés demeurent stables, traduisant une ambition qui n'est pas à la hauteur de l'urgence dans certains territoires, comme à Mayotte, par exemple.

Je propose ainsi à notre commission d'adopter un amendement visant à augmenter les crédits dédiés à la résorption de l'habitat indigne, pour être au rendez-vous de la promesse républicaine de dignité et d'égalité des citoyens. Cet amendement a également été déposé et adopté par nos collègues de la commission des finances.

Au total, le budget proposé en matière de logement, en très faible augmentation, n'est pas de nature à inverser la tendance observée. Aussi, le rapport que je vous présente formule cinq propositions pour contribuer à la relance de la politique du logement en outre-mer.

Premièrement, il invite le Gouvernement à organiser, à l'occasion des réflexions sur le Plom 3, des assises de la construction en outre-mer, afin de mettre tous les acteurs autour de la table, conformément à la recommandation du rapport d'information de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

Deuxièmement, il recommande de concentrer les objectifs de construction sur les besoins en logements très sociaux, pour lesquels 70 % de la population ultramarine est éligible.

Troisièmement, il plaide pour que les sociétés d'économie mixte d'outre-mer puissent obtenir l'agrément « organisme de foncier solidaire » (OFS), ce qui pourrait, in fine, contribuer à l'encadrement des prix de revente des logements en dissociant le foncier du bâti. Il s'agit là encore d'une recommandation du rapport d'information de la délégation.

Quatrièmement, il exhorte le Gouvernement à accélérer les procédures en cours pour permettre l'utilisation de matériaux de production locaux ou provenant de l'environnement régional, ce qui diminuerait grandement les coûts d'achat de matériaux, trop souvent importés à grands frais d'Europe.

Enfin, cinquièmement, il se positionne pour accorder aux propriétaires modestes la possibilité de réhabiliter leur logement par le biais de l'investissement fiscal. En effet, à l'heure actuelle, l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), chargée de l'amélioration du parc privé, ne peut intervenir en outre-mer qu'au bénéfice des propriétaires bailleurs. Un amendement identique à celui que j'avais moi-même déposé a d'ailleurs été adopté en séance en ce sens. Je forme le voeu que cette disposition nouvelle en faveur de la réhabilitation du parc privé, pour les propriétaires modestes, prospère.

Je souhaite conclure mon intervention sur l'enjeu de l'attractivité en outre-mer, à travers deux prismes que ce sont la formation et la mobilité.

La formation est l'une des clefs de la création de valeur sur les territoires, mais c'est aussi un vecteur puissant d'inclusion socioéconomique pour nos jeunes. À ce titre, je souhaite saluer l'augmentation des crédits dédiés à la nouvelle montée en puissance du service militaire adapté (SMA). Ses effectifs se montent désormais à 6 000 jeunes, avec l'ambition d'inclure désormais des mineurs de 16 à 18 ans, ce que je ne peux qu'approuver, et la volonté d'ouvrir le dispositif aux mères célibataires. Les résultats sont là : en 2021, le taux d'insertion des volontaires stagiaires était de 81,7 %. Mon rapport recommande toutefois de veiller à la bonne insertion des femmes, puisque leur taux d'insertion s'établissait, quant à lui, à 73,7 %.

Cependant, la formation ne se résume pas à l'insertion sociale. Des écoles supérieures pour nos jeunes diplômés du baccalauréat ou sortant de classes préparatoires ambitionnent de faire rayonner leur territoire. Les outre-mer ont besoin de formations de haut niveau sur leur sol. À ce titre, je m'étonne toujours que les territoires ultramarins ne disposent ni d'écoles d'ingénieur - à une exception près -, ni d'écoles de commerce, ni d'instituts d'études politiques.

La France d'outre-mer représente presque 2,8 millions d'habitants : pourquoi les jeunes devraient-ils systématiquement aller étudier dans l'Hexagone ? Allons plus loin : pourquoi des jeunes hexagonaux ne pourraient-ils pas poursuivre leurs études supérieures en suivant des formations d'excellence dans les territoires ultramarins ?

Nos étudiants ont des ambitions variées, qu'il nous faut entendre. Certains veulent aller étudier à Paris, il faut leur en donner les moyens ; or trop de jeunes abandonnent encore l'idée de poursuivre des études supérieures pour des raisons financières. D'autres veulent étudier sur leur territoire, quand d'autres encore souhaitent se former dans leur environnement régional. Le rapport recommande ainsi de développer l'offre de l'enseignement supérieur en outre-mer, par bassin géographique.

Enfin, l'attractivité passe aussi par l'accompagnement des mobilités depuis, vers et entre les territoires ultramarins. Sur ce point, je dirai au Gouvernement qu'il peut mieux faire, puisque les crédits dédiés à l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom) demeurent stables pour 2023, alors même qu'elle a déjà dû puiser dans sa trésorerie en 2022 face à l'inflation, et que l'inflation anticipée pour 2023 est de 4,2 %. Pourtant, les missions de Ladom sont loin d'être anecdotiques dans la mesure où il s'agit bien de la continuité territoriale de la France, reposant sur des principes d'égalité des droits, de solidarité nationale et d'unité de la République.

Selon l'agence, l'augmentation du prix des billets d'avion est d'ores et déjà de 23 % ; et chacun sait que les tendances ne sont pas à la baisse. Or l'aide à la continuité territoriale (ACT) est censée couvrir 40 % du prix du billet. L'arrêté relatif à ces aides n'établit pourtant pas de taux de prise en charge, mais des montants en valeur absolue. L'inflation vient donc petit à petit rogner ces aides, si bien que le taux de 40 % n'est plus qu'un lointain souvenir. Je vous proposerai, à ce titre, d'adopter un amendement visant à confirmer et à amplifier l'augmentation des crédits concédée par le Gouvernement à l'occasion du débat parlementaire à l'Assemblée nationale.

En réalité, cette problématique se pose pour l'essentiel des aides versées, comme le souligne mon rapport : allocation complémentaire à la mobilité, passeport pour la mobilité des études, aide au transport de corps, pour laquelle une refonte globale est par ailleurs nécessaire tant le nombre d'aides versées est epsilonesque.

De ces constats découlent trois dernières recommandations.

La première est de modifier au plus vite l'arrêté du 18 novembre 2010 en vue de recalibrer les prestations de Ladom, au moins pour tenir compte de l'inflation. La deuxième invite à la refonte globale de l'aide au transport de corps, en partant des besoins des familles et en prenant pour modèles les bons ACT. La troisième invite, dans le cadre de l'évolution à venir des missions de Ladom, à réfléchir à l'opportunité pour l'agence de participer au financement des mobilités intérieures, rendues parfois nécessaires par des impératifs comme la formation.

Au total, voici un budget qui ne va pas révolutionner le quotidien des ultramarins, certes, mais qui traduit des engagements réels du Gouvernement - je pense au SMA, au soutien à la collectivité de Guyane, à l'augmentation des crédits pour l'Agence française de développement (AFD). Il est loin d'être exempt de lacunes, notamment en matière de logement et de mobilité.

J'invite donc notre commission à adopter une position constructive en votant ces crédits, enrichis des deux amendements que je vous propose et en donnant rendez-vous au Gouvernement, fin 2023, pour apprécier la tenue ou non des promesses formulées par le ministre, que ce soit sur la méthode ou sur les crédits.

Je voudrais, pour terminer, attirer votre attention sur la difficulté des déplacements en Polynésie, un territoire grand comme l'Hexagone. Des îles Marquises à Tahiti, ce sont 1 400 kilomètres que doivent faire les étudiants qui souhaitent poursuivre leurs études. Or leurs billets d'avion ne sont pas pris en compte dans le cadre de la continuité territoriale. Il en est de même dans tous les territoires archipélagiques.

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