Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de soumettre aujourd'hui à votre examen le projet de loi portant création d'une délégation parlementaire pour le renseignement.
D'emblée, je tiens à souligner le caractère très novateur de ce texte. En effet, pour la première fois en France, le Parlement va être associé au suivi des activités des services de renseignement.
Ces dernières années, en réalité, un large consensus politique s'est dégagé en faveur de l'instauration d'une instance parlementaire chargée du renseignement. En témoignent les nombreuses propositions de loi déposées sous les dernières législatures et issues de l'ensemble des formations politiques et groupes parlementaires, de droite comme de gauche. Elles ont déjà permis, à plusieurs reprises, des débats sur le thème du renseignement au sein des assemblées.
Les principaux directeurs de service sont favorables au principe de la création d'une telle instance parlementaire, pour autant, messieurs les rapporteurs, que des garanties minimales seront apportées afin d'assurer le bon déroulement des activités de renseignement.
Il revient au précédent gouvernement d'avoir su donner l'impulsion politique nécessaire, à la fin de l'année 2005.
En effet, le texte qui vous est aujourd'hui soumis honore les engagements pris en décembre 2005 devant votre assemblée par Nicolas Sarkozy lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers qu'il avait présenté en tant que ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
Avec le présent projet de loi, l'engagement pris est donc respecté. Ce texte correspond également à l'ambition plus large, et sur laquelle nous aurons à revenir en d'autres occasions, du Président de la République de renforcer le poids du Parlement dans nos institutions.
Dans le cas présent, les pouvoirs des députés et des sénateurs seront élargis au suivi des services de renseignement.
Ce projet de loi n'est pas le fruit du seul contexte français, comme l'ont très bien souligné MM. Garrec et Vinçon dans leurs brillants rapports. Il répond également à une évolution de la situation internationale et géopolitique. Avec la fin de la guerre froide, de nouvelles menaces sont apparues : plus larvées, plus diffuses et moins étatiques. De nouveaux défis ont fait surface, comme le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, les attaques informatiques, les tentatives d'affaiblissement de notre patrimoine économique, scientifique et technologique. Notre monde est devenu, sous certains aspects, plus pacifique avec la fin de l'ordre bipolaire, mais il est aussi devenu plus instable, plus difficile à maîtriser, l'adversaire potentiel étant souvent invisible.
De ce fait, les services de renseignement ont dû évoluer pour faire face à l'existence de ces nouvelles menaces. Leur action s'est élargie et diversifiée, tout comme les risques qui les accompagnent. Il est donc nécessaire, mesdames, messieurs les sénateurs, que le caractère secret des activités des services de renseignement soit préservé et protégé. Cette exigence du secret doit cependant être conciliée avec la nécessité légitime, pour le Parlement, d'être informé.
Les activités liées au renseignement sont souvent mal connues des Français. Dans le même temps, le renseignement n'a pas toujours la place qu'il devrait avoir. Ainsi, en associant le Parlement au suivi du renseignement, nous allons donner à nos services spécialisés une nouvelle légitimité aux yeux de nos concitoyens. Nous allons aussi favoriser l'émergence d'une réelle culture du renseignement, qui aujourd'hui nous manque. C'est l'objet de ce texte, qui vise à concilier l'impératif de discrétion et d'efficacité lié aux activités de renseignement avec l'exigence d'information du Parlement.
Plus précisément, cinq directions relèveront de la compétence de la délégation : la direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, la direction du renseignement militaire, la DRM, la direction de la protection et de la sécurité de la défense, la DPSD, la direction de la surveillance du territoire, la DST, et la direction centrale des renseignements généraux, la DCRG.
Sur le plan pratique, le projet de loi prévoit, du moins aux termes de sa rédaction initiale, que la délégation sera constituée de six membres, à savoir trois députés et trois sénateurs.
En seront membres de droit les présidents des commissions permanentes de la défense et des lois de chacune des deux assemblées. Y siégeront également un député et un sénateur désignés respectivement par le président de l'Assemblée nationale et par le président du Sénat. Cette désignation doit permettre d'assurer une représentation pluraliste et d'associer l'opposition à cette fonction démocratique essentielle.
La délégation recevra des informations sur le budget, l'activité générale et l'organisation des services de renseignement. Elle pourra entendre les ministres de l'intérieur et de la défense, les directeurs des services de renseignement, ainsi que le secrétaire général de la défense nationale. Elle remettra un rapport au président de la République, au Premier ministre et aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Afin de préserver la sécurité des personnes et la conduite des opérations, certains éléments seront cependant exclus des communications à destination de la délégation.
Il s'agit d'abord, bien entendu, des données qui pourraient mettre en péril l'anonymat, la sécurité ou la vie d'une personne relevant ou non des services intéressés.
Il s'agit ensuite des données liées aux modes opératoires propres à l'acquisition du renseignement.
Il s'agit enfin des informations touchant aux relations entretenues par ces services spécialisés avec des services de renseignement étrangers et des informations touchant aux activités opérationnelles en cours ou passées, que ce soient les instructions données ou le financement de ces activités.
Cette dernière restriction est d'ailleurs conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Par une décision du 27 décembre 2001, ce dernier a en effet jugé que « s'il appartient au Parlement d'autoriser la déclaration de guerre, de voter les crédits nécessaires à la défense nationale et de contrôler l'usage qui en a été fait, il ne saurait en revanche, en la matière, intervenir dans la réalisation d'opérations en cours ».
Par nature, le Parlement est un lieu de débat et de parole. Il est pourtant primordial que les membres de la commission respectent les règles de sécurité inhérentes au renseignement. Aussi les travaux de la délégation, même privés des éléments les plus opérationnels, seront-ils couverts par le secret de la défense nationale.
Cela induira des contraintes, à la fois pour les services de renseignement et pour les parlementaires, mais chacun le comprendra.
Pour les services, cela leur imposera de faire état d'informations couvertes par le secret de la défense nationale, sans bien sûr dévoiler les éléments à caractère opérationnel. En effet, la protection du secret est le fondement même du succès de ce type de service. Le secret est aussi pour eux un gage d'efficacité. Il leur permet de se préserver d'éventuelles actions hostiles et de protéger leurs sources, sans lesquelles il n'y aurait tout simplement pas de renseignement. Dans certains cas, cela doit être rappelé, le secret est même une question de survie, au sens plein du terme.
Il est aussi indispensable, pour la crédibilité de nos services, que soient protégées leurs relations avec leurs homologues étrangers. Ainsi, lorsque l'un de nos services reçoit des informations d'un service étranger, il s'engage à ne pas les retransmettre à un autre service sans l'autorisation du service émetteur. C'est la règle dite du « tiers service ». Elle est élémentaire, car, sans elle, tout le dispositif du renseignement s'effondrerait.
Quant au Parlement, il sera soumis également à un certain nombre de contraintes. Les travaux de la délégation seront, on l'a vu, couverts par le secret de la défense nationale. Les parlementaires membres de la délégation devront donc concilier cet impératif du « besoin d'en connaître » avec leur statut de représentants de la nation. La participation de plusieurs parlementaires aux commissions administratives de vérification des fonds spéciaux et du secret de la défense nationale montre que l'on peut parfaitement concilier les deux.
En conciliant des contraintes spécifiques, les services et les parlementaires fonderont leurs relations sur la confiance.
Ainsi, le présent projet de loi vise à instaurer une relation de confiance réciproque entre la représentation nationale et les services de renseignement. Cette notion de confiance est fondamentale : c'est notre capacité à l'instaurer, de part et d'autre, qui fera le succès des travaux de la délégation qu'il est proposé de mettre en place aujourd'hui.
Certes, cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais je suis persuadé que, très vite, les parlementaires et les représentants des services parviendront à établir cette relation de confiance indispensable à l'information des uns et à l'efficacité de l'action des autres.
En effet, je ne le répéterai jamais assez, le maître mot de ce projet de loi est le mot « confiance » : confiance envers les membres de la délégation, d'abord ; confiance entre ces derniers et les services de renseignement, ensuite, et cette relation sera déterminante tant pour l'efficacité du contrôle parlementaire que pour l'appréciation des besoins des services de renseignement ; enfin, confiance des citoyens dans leurs services de renseignement, grâce au travail de suivi de la délégation parlementaire pour le renseignement.
J'ai pour la première fois, aujourd'hui, l'honneur de présenter un texte au nom du Gouvernement : permettez-moi, à cet instant, de me réjouir que cette première intervention ait lieu devant la Haute Assemblée.
Avant de conclure la présentation du premier projet de loi que j'ai l'honneur, et le plaisir, de soumettre à la Haute Assemblée dans mes nouvelles fonctions, je veux rendre hommage, au nom du Gouvernement, mais je ne doute pas que l'ensemble du Sénat s'associera à cet hommage, à l'action des femmes et des hommes qui composent nos services de renseignement. Ils jouent un rôle majeur, et permanent, pour préserver les intérêts et la sécurité de notre pays, en faisant preuve à la fois de beaucoup d'abnégation, d'une totale discrétion, d'une profonde modestie et d'une grande sérénité devant l'importance des enjeux. Ils travaillent souvent dans des conditions dangereuses, en prenant des risques, y compris pour leur vie. La constitution de cette délégation, c'est aussi une reconnaissance de leur rôle, essentiel pour la vie de la nation.