Intervention de René Garrec

Réunion du 27 juin 2007 à 16h00
Création d'une délégation parlementaire pour le renseignement — Discussion d'un projet de loi

Photo de René GarrecRené Garrec, rapporteur de la commission des lois :

Pour le Parlement, il est important de savoir si l'action des services de renseignement est coordonnée, si les orientations stratégiques sont pertinentes et si les moyens alloués sont bien utilisés et à la hauteur des objectifs fixés.

Pour les services de renseignement, les avantages sont également nombreux. Ces services souffrent en effet d'une image négative et d'un manque de reconnaissance. L'ensemble des dirigeants des services entendus ont d'ailleurs approuvé le principe de la création d'une délégation parlementaire, perçue comme un lieu sécurisé permettant d'établir un dialogue confiant.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés des exemples étrangers.

En premier lieu, nous sommes la dernière grande démocratie occidentale à ne pas encore disposer d'un tel organe. La preuve est donc faite que, ailleurs, le suivi parlementaire n'est pas incompatible avec des services de renseignement efficaces.

En deuxième lieu, l'opposition est toujours représentée au sein de l'organe parlementaire.

En troisième lieu, le respect du secret qui régit l'ensemble du fonctionnement de ces organes n'interdit pas la publication de rapports, et donc la publicité d'une partie de leurs travaux.

Le champ du contrôle opéré par ces organes parlementaires est extrêmement différent selon les pays : il n'existe pas un système unique et homogène. Je vous renvoie à mon rapport écrit pour une analyse comparative plus détaillée s'agissant des États-Unis, du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de la Belgique et de l'Espagne.

Au reste, l'absence de suivi parlementaire ne signifie pas l'absence de tout contrôle. Ces administrations sont en effet soumises au contrôle interne des ministères dont elles dépendent, comme l'intérieur pour la DST ou la DCRG, ou la défense pour la DGSE. Il y a donc bien des contrôles internes, mais ils ne sont pas synthétisés par un organe unique.

Or, pour le Parlement, une telle synthèse est essentielle. Depuis les années soixante-dix, en effet, des autorités administratives indépendantes ont été créées dont les missions ont pu directement ou indirectement toucher l'activité des services de renseignement. Il faut citer, outre la Commission d'accès aux documents administratifs, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la Commission consultative du secret de la défense nationale. Il me paraîtrait utile que tout cela participe à cette oeuvre de synthèse.

Enfin, et je salue ici Jean-Pierre Fourcade, il faut souligner le travail effectué par la Commission de vérification des fonds spéciaux depuis 2002. Je m'empresse de préciser- il ne s'agit pas seulement d'une précaution oratoire - qu'il n'est pas question de supprimer cet organe de contrôle, essentiel.

Lors de son audition, M. Paul Quilès, lui-même membre de cette commission de vérification des fonds spéciaux, a déclaré que tout se passait très bien quand on savait instaurer des relations de confiance avec les services de renseignement. Je pense que le système peut en effet fonctionner dans la confiance mutuelle dès lors que seul un petit nombre de personnes interviennent et que chacun reste dans son rôle, les uns et les autres ayant bien conscience de leurs responsabilités respectives.

Historiquement, deux propositions de loi, émanant l'une de M. Paul Quilès, l'autre de M. Nicolas About, avaient déjà été déposées sur le sujet. Elles n'ont pas prospéré. Le débat a ensuite été relancé lors de l'examen de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme. À cette occasion, plusieurs amendements ayant été déposés qui tendaient à la création d'un organe parlementaire de contrôle des services - entre autres par notre collègue Jean-Claude Peyronnet -, le ministre avait donné son accord sur le principe de la création d'un tel organe et un groupe de travail avait été constitué réunissant des parlementaires désignés par les groupes politiques des deux assemblées et des fonctionnaires des services de renseignement.

Les conclusions du groupe de travail ont abouti au dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale du présent projet de loi. C'est ce même projet de loi qui est aujourd'hui soumis en première lecture au Sénat sans que l'Assemblée nationale ait pu l'examiner, faute d'inscription à l'ordre du jour pendant la douzième législature.

Mais j'en viens au projet de loi proprement dit.

Le paragraphe I du texte proposé par l'article unique pour l'article 6 nonies de l'ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit la création d'une délégation parlementaire pour le renseignement commune à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Le choix d'une délégation commune est propre à faciliter la préservation du secret en limitant le nombre d'intervenants. Il devrait également favoriser la construction d'une relation de confiance avec les services de renseignement, qui auront un interlocuteur unique.

Les paragraphes I et II précisent la composition de la délégation. Elle comporterait trois députés et trois sénateurs, soit six membres, dont quatre membres de droit : il s'agit des présidents des commissions compétentes en matière de défense et des lois de chaque assemblée. Ils présideraient à tour de rôle la délégation pour une durée d'un an. Les deux autres membres seraient désignés par le président de chaque assemblée de manière à assurer une répartition pluraliste.

Le paragraphe IV définit les missions de la délégation parlementaire. Elle serait « informée sur l'activité générale et sur les moyens des services spécialisés à cet effet placés sous l'autorité des ministres de la défense et de l'intérieur ».

La délégation est donc placée dans une position non pas de contrôle, comme c'est d'habitude le cas pour ce type d'organe, mais plutôt de simple suivi des services de renseignement.

Selon l'exposé des motifs du projet de loi, cinq directions relèveraient de la compétence de la délégation : la direction générale de la sécurité extérieure, la direction du renseignement militaire, la direction de la protection et de la sécurité de la défense, la direction de la surveillance du territoire et la direction centrale des renseignements généraux. Peuvent être ajoutés à cette liste l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste, qui dépend du ministère de l'intérieur, et la direction des affaires stratégiques du ministère de la défense.

Le critère retenu pour définir le champ de compétence de la délégation est essentiellement un critère organique. La délégation ne pourrait connaître que de l'activité générale, de l'organisation, du budget et des moyens de ces services spécialisés. En aucune manière la délégation ne pourrait connaître des activités opérationnelles, en cours ou passées, de ces services.

Le projet de loi précise également que les informations adressées à la délégation ne peuvent porter sur le financement des activités opérationnelles, qui relève de la compétence - laissée intacte - de la Commission de vérification des fonds spéciaux.

Une autre restriction importante est l'exclusion de toutes les informations touchant aux relations entretenues par ces services spécialisés avec des services étrangers ou avec des organismes internationaux compétents dans le domaine du renseignement.

Cette disposition est notamment la traduction de la loi d'airain des services de renseignement, celle du tiers service : le service reste propriétaire de l'information qu'il donne à un autre service. L'information ne peut en aucune manière être transmise à un service tiers sans l'autorisation du service source.

Le projet de loi définit également les sources d'information dont disposerait la délégation.

Il reviendrait ainsi aux ministres de l'intérieur et de la défense d'adresser à la délégation « des informations et des éléments d'appréciation relatifs au budget, à l'activité générale, et à l'organisation des services placés sous leur autorité ». La délégation n'aurait donc pas a priori la possibilité de demander à se faire communiquer des informations et des documents qui sembleraient utiles à sa mission.

En outre, les personnes susceptibles d'être entendues par la délégation sont limitativement définies. En effet, seuls pourront être entendus les ministres, les directeurs des services spécialisés et le secrétaire général de la défense nationale, dont je salue la présence dans cet hémicycle.

Le projet de loi semble ainsi exclure la possibilité d'entendre, d'une part, des personnes extérieures à ces deux ministères - par exemple, d'anciens directeurs des services spécialisés ou des membres d'autorités administratives indépendantes intéressées par les questions de renseignement -, et, d'autre part, des personnes placées sous l'autorité des directeurs des services précités, y compris avec l'accord de ces derniers :

Le fonctionnement de la délégation est conçu pour préserver le secret de ses travaux. Le contrôle est ainsi très encadré, ce qui est parfaitement logique.

Le paragraphe VII proposé par l'article unique pour l'article 6 nonies prévoit qu'un rapport annuel - couvert par le secret défense - sera remis par le président de la délégation au Président de la République, au Premier ministre et au président de chaque assemblée. Un rapporteur serait désigné par la délégation.

En outre, le second alinéa du paragraphe V prévoit que la délégation est assistée par des agents des assemblées parlementaires, ces derniers étant désignés par le président de la délégation. La délégation devrait donc disposer d'un secrétariat propre.

L'organisation des travaux de la délégation n'est pas plus détaillée : il reviendra au règlement intérieur de la délégation, approuvé par le bureau de chaque assemblée, d'y suppléer.

En revanche, le projet de loi consacre les paragraphes V et VI au secret devant entourer les travaux de la délégation. La préservation du secret défense est en effet l'unique motif justifiant que les questions de renseignement ne soient pas traitées directement par le Parlement selon les procédures habituelles.

L'effectif très resserré de la délégation est de nature à protéger le secret. Le paragraphe V tend à autoriser ès qualités les membres de la délégation à connaître d'informations présentant le caractère de secret de la défense nationale.

De telles informations ne pourraient être transmises à la délégation que dans les conditions prévues au paragraphe IV, c'est-à-dire par les ministres, et ne pourraient concerner que le budget, l'activité générale et l'organisation des services.

Cependant, il faut souligner que toutes les informations transmises dans ces conditions ne relèvent pas automatiquement du secret défense. D'ores et déjà, par exemple, les commissions permanentes du Parlement ont connaissance de certaines données relatives au budget des services de renseignement. La commission des finances reçoit le rapport de la commission spécialisée. Des informations sont donc d'ores et déjà diffusées.

Pour autant, la délégation ne pourrait pas communiquer les données ne relevant pas du secret défense : le paragraphe VI prévoit que l'ensemble des travaux de la délégation sont couverts par le secret défense.

Le projet de loi prévoit néanmoins que les membres de la délégation ne sont pas habilités secret défense pour celles de ces informations qui pourraient « mettre en péril l'anonymat, la sécurité ou la vie d'une personne relevant ou non des services intéressés, ainsi que les modes opératoires propres à l'acquisition du renseignement ». C'est parfaitement logique.

En somme, ce n'est que la réaffirmation du principe qui veut que la délégation n'est pas autorisée à connaître d'informations ayant un lien avec les activités opérationnelles - passées, présentes ou futures - des services de renseignement. Nous y reviendrons lors de l'examen des amendements.

Si les membres de la délégation sont habilités ès qualités, il n'en est pas de même pour le secrétariat. Les membres du secrétariat désignés par le Parlement devront être, selon moi, des fonctionnaires habilités à connaître des informations dans les conditions du droit commun.

Le paragraphe VI dispose que l'ensemble des travaux de la délégation sont couverts par le secret défense. Bien que cela ne figure pas expressément dans le texte, cela signifie que la violation du secret défense, y compris par les parlementaires, serait pénalement sanctionnée, conformément à l'article 413-10 du code pénal.

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