Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné pour avis le présent projet de loi, sur le rapport de son président, Serge Vinçon, également rapporteur pour avis, fonctions dans lesquels j'ai l'honneur de le suppléer à cette tribune.
L'action des services de renseignement constitue un volet essentiel de nos politiques de sécurité. Ces services font face à des défis croissants, qu'il s'agisse des multiples crises régionales ayant des implications pour notre pays, du terrorisme ou encore de la prolifération des armes de destruction massive. Leur action exige évidemment des moyens humains et techniques renforcés.
Le secret est une caractéristique inhérente au fonctionnement et à l'action de ces services. C'est aussi, mes chers collègues, une condition nécessaire de leur efficacité.
Comment concilier cet impératif du secret et les principes démocratiques voulant que la représentation nationale ne soit pas laissée dans l'ignorance d'enjeux aussi importants pour le pays ?
Les instances parlementaires spécialisées pour le renseignement qui sont instaurées dans la plupart des démocraties apportent une réponse à cette question. Elles se veulent un point d'équilibre entre la mise à l'écart totale du Parlement et un contrôle de droit commun, incompatible avec l'activité des services de renseignement.
Depuis près de dix ans, les auteurs de plusieurs propositions de loi préconisent la création d'une telle instance en France, qui fait désormais figure d'exception en Europe et dans les démocraties occidentales.
La création, en 2002, de la commission de vérification des fonds spéciaux a curieusement renforcé le paradoxe français. Des parlementaires sont amenés à connaître, par le biais du contrôle budgétaire, certaines activités parmi les plus sensibles des services de renseignement, mais il n'existe toujours pas d'instance ayant une compétence plus générale sur l'organisation et les missions de ces services, ainsi que sur les moyens humains et techniques dont ils disposent.
Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui permettra enfin de combler cette lacune.
La création d'une instance parlementaire chargée du renseignement recueille un large consensus politique, comme en témoigne la diversité des signataires des propositions de loi, issus de l'ensemble des groupes parlementaires.
Plusieurs ministres, sous diverses majorités, avaient déclaré qu'ils ne voyaient pas d'objection à la création d'une telle instance pourvu que ses compétences et ses règles de fonctionnement tiennent compte des spécificités de la matière traitée.
Enfin, les contacts établis avec les principaux directeurs de service avaient montré que ceux-ci n'étaient en rien hostiles au principe de la démarche, et même qu'ils y trouvaient certains avantages, sous réserve, bien sûr, que des garanties minimales leur soient apportées afin de ne pas compromettre le bon déroulement de leurs activités.
Il revient au précédent Gouvernement d'avoir su donner l'impulsion politique nécessaire pour concrétiser cet état d'esprit, et à son successeur de conforter aujourd'hui la démarche dès son entrée en fonction. J'en remercie le Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s'est donc félicitée du dépôt de ce projet de loi, dont elle a également approuvé le contenu.
En effet, le projet de loi correspond pour l'essentiel à la formule que la commission appelait de ses voeux et dont elle avait déjà esquissé les principales caractéristiques au cours des années passées.
La formule magique est simple : effectif restreint, pluralisme, préservation du secret et règles de fonctionnement adaptées.
Notre attente portait moins sur la création d'une instance de contrôle, au sens traditionnel du terme, que sur la mise en place d'un canal approprié assurant l'information du Parlement en matière de renseignement. Une telle instance doit permettre à des parlementaires qualifiés d'évaluer la politique de renseignement sans interférer dans sa conduite.
Dans notre esprit, la délégation parlementaire devrait avant tout disposer d'une information sur la politique générale du renseignement, l'organisation et l'activité des services, leurs programmes d'investissement, bien sûr, ou leurs besoins en personnels. Elle devrait aussi pouvoir aborder avec les responsables les enjeux les plus importants, particulièrement en période de crise internationale.
Certes, et la discussion générale comme l'examen des amendements le montreront sûrement, d'aucuns estimeront que l'on aurait dû aller beaucoup plus loin.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées considère cependant que l'équilibre général du projet de loi doit être respecté, car il répond à deux exigences essentielles.
Tout d'abord, le projet de loi vise à concilier la nécessaire information du Parlement et la préservation de l'efficacité des services, en posant certaines limites à l'étendue des informations à caractère secret dont pourra connaître la délégation.
Ensuite, le texte traduit une vision pragmatique de nature à favoriser l'établissement, entre la délégation parlementaire et les responsables des services, d'une relation de confiance absolument essentielle au succès de la démarche, comme vous l'avez vous-même souligné, monsieur le secrétaire d'État. Sans confiance, il ne peut y avoir de succès.
Les amendements adoptés par la commission, établis en pleine concertation avec René Garrec, rapporteur de la commission des lois, sont fidèles à cet esprit. Ils visent non pas à modifier l'équilibre du texte, mais à permettre à la délégation parlementaire de jouer pleinement son rôle de lien entre la représentation nationale et des services essentiels pour notre sécurité.
Nous proposons donc, mes chers collègues, de permettre aux présidents des assemblées de nommer deux membres, pour élargir leur choix en tenant compte des compétences et en respectant l'exigence de pluralisme. Nous restons néanmoins dans le cadre d'un effectif restreint, propice au bon fonctionnement de ce type de délégation.
Nous souhaitons formuler de manière un peu plus positive le rôle de la délégation, qui reçoit des informations, mais qui doit également pouvoir en solliciter, sans pour autant entrer dans le domaine de la conduite des opérations ou connaître de données relatives aux agents ou aux sources. Le secret doit bien entendu être total en ces matières.
Mes chers collègues, la rédaction que nous proposons concernant les auditions ne vise en rien, je tiens à le préciser, à doter la délégation parlementaire des pouvoirs d'une commission d'enquête. Il n'en est pas question. Simplement, si elle n'était pas modifiée, la formulation restrictive du projet de loi aboutirait à un paradoxe, voire à une incohérence.
En effet, les commissions permanentes, qui ne sont pas soumises aux règles de confidentialité, pourraient entendre sans restriction des personnes interdites de parole devant la délégation parlementaire pour le renseignement !
Le rapport public que nous proposons respectera, par définition, les règles applicables à la protection du secret.
Enfin, il nous paraît logique que le rapport de la commission de vérification des fonds spéciaux soit transmis à la délégation parlementaire. Rédigé par des parlementaires, ce rapport est déjà adressé à d'autres parlementaires, responsables des commissions des finances, par exemple.
Sous réserve de ces amendements, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a pleinement approuvé ce projet de loi, qui apportera une véritable amélioration pour le Parlement, mais également, nous en sommes convaincus, pour la communauté du renseignement.
On évoque souvent, à propos de la France, une carence dans la « culture du renseignement » par rapport aux pays anglo-saxons. Il n'est pas bon que le renseignement demeure à l'écart du débat national, au risque d'alimenter la méfiance et, surtout, de faire négliger le rôle qu'il doit jouer au service de nos politiques de sécurité.
Sans surestimer sa portée, on peut penser que cette délégation parlementaire contribuera à une meilleure compréhension des enjeux majeurs liés au renseignement, alors que, par ailleurs, l'instauration d'un climat de confiance à l'égard des services confortera la communauté du renseignement dans son action.
En conclusion, mes chers collègues, j'indiquerai, au nom de Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, que l'examen de ce texte en tout début de législature doit être l'occasion de relancer une réflexion plus large sur la politique du renseignement, sa conduite et les améliorations à y apporter.
Je ferai à cet égard deux observations.
La première concerne le cadre juridique dans lequel s'exerce l'action des services. De nombreux pays sont dotés d'une législation donnant une véritable assise juridique aux services de renseignement.
Ces législations fondent l'action de ces services sur des modes dérogatoires au droit commun, autorisent leur accès à certains types de fichiers ou de données, garantissent la protection du secret sur leurs activités et sur leurs sources. En outre, elles établissent les règles applicables aux services, à leurs responsables et à leurs agents en cas de procédure judiciaire.
Une question se pose : disposons-nous en France de règles solides et efficaces dans ces différents domaines ?
Pour notre part, nous pensons qu'il serait utile de réfléchir aux moyens de renforcer la sécurité juridique de l'action des services et de leurs personnels, par exemple en posant clairement dans la loi le principe de la protection des sources de renseignement ou les règles applicables en matière de procédures judiciaires. Nous pourrions réfléchir à ces questions.
Ma seconde observation concerne la conduite de la politique du renseignement.
La coordination entre services en constitue l'un des volets et, dans ce domaine, une première orientation a été fixée mercredi dernier en conseil des ministres, avec le lancement d'un « chantier » sur la fusion des services de renseignement, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques.
Outre cette question, se pose celle du lien entre les services et l'autorité politique qui doit orienter leur action.
Il a beaucoup été question, durant la campagne électorale, de la création d'un conseil de sécurité nationale, ce qui serait, selon nous, une bonne chose. Une telle structure aurait évidemment un rôle de premier plan à jouer en matière de renseignement : elle permettrait aux hautes autorités de disposer d'une information directe et régulière, puis d'orienter en conséquence l'action des services.
Monsieur le secrétaire d'État, même si vous ne pouvez nous répondre dès aujourd'hui, nous souhaiterions que vous nous donniez quelques précisions sur les objectifs de la démarche envisageant une fusion des services et sur la création éventuelle d'un conseil de sécurité nationale, qui aurait des incidences en matière de politique de renseignement.
Ces questions anticipent sans doute quelque peu sur les sujets dont aura à débattre la future délégation parlementaire pour le renseignement. Elles sont importantes, et le président Serge Vinçon et moi-même sommes persuadés que le Parlement disposera, avec la délégation, d'un moyen d'appréciation particulièrement précieux.
C'est pourquoi la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous encourage, mes chers collègues, à approuver ce projet de loi, assorti des amendements qu'elle vous propose.