Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 janvier 2023 à 9h05
Politique commerciale — Actualités de la politique commerciale de l'union européenne - communication

Photo de Didier MarieDidier Marie, rapporteur :

Nos auditions ont également permis d'aborder la question des sanctions commerciales imposées à la Russie à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine.

Au total, on évalue actuellement à plus d'un tiers les exportations vers la Russie placées sous sanctions et à près de 60 % les importations de Russie placées sous sanctions, par rapport à leur niveau d'avant-guerre. La baisse des exportations est bien plus forte encore puisqu'elle atteindrait 55 % à 60 % au total par rapport au niveau d'avant-guerre.

Ces sanctions traduisent un véritable découplage de l'Union européenne par rapport à la Russie et s'accompagnent d'une importante diversification des sources d'approvisionnement. Il convient à cet égard d'être vigilant quant aux nouvelles dépendances qui pourraient se créer.

Les sanctions pesant sur l'export sont jugées particulièrement importantes dans la mesure où elles limitent les capacités de la Russie à obtenir des biens et technologies sensibles entrant dans le complexe militaro-industriel, alors que les possibilités de substitution hors des pays du G7 apparaissent limitées.

Une étroite coordination a été recherchée entre les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni et l'Union européenne, d'une part, pour que les mesures aient un effet maximal, mais aussi, d'autre part, afin d'assurer l'égalité des conditions de concurrence et d'éviter des prises de marché par des pays tiers à l'occasion de la mise en oeuvre de ces sanctions.

La communication sur le programme de travail de la Commission pour 2023 indique également qu'« après deux ans d'expérience, la Commission est disposée à réviser le règlement de l'Union sur le filtrage des investissements directs à l'étranger (IDE) » en vue notamment de « tirer parti de l'expérience acquise dans le cadre du régime actuel de contrôle des exportations de l'UE et de la mise en oeuvre des sanctions dans le contexte de l'agression menée par la Russie contre l'Ukraine, afin de renforcer nos contrôles des exportations stratégiques, en étroite collaboration avec les États membres et nos partenaires internationaux ».

Concrètement, alors que tous les États membres n'ont pas encore mis en place de système de filtrage des investissements étrangers, il pourrait être envisagé de s'orienter vers un règlement rendant ce filtrage obligatoire et renforçant la coordination européenne afin de sécuriser la cohérence du marché intérieur et de combler certains points de fragilité sur lesquels les États tiers peuvent jouer.

En outre, la Commission examinera si des outils supplémentaires sont nécessaires pour contrôler les investissements stratégiques sortants, ce qui serait particulièrement novateur, même si les États-Unis envisagent également de le faire. Cela permettrait de mieux protéger les technologies sensibles, y compris, par exemple, dans le cas de joint ventures mises en place dans des pays tiers.

Le dernier point que nous souhaitons aborder concerne l'OMC et la relation transatlantique. La dernière conférence ministérielle de l'OMC, en juin 2022, a été un succès à la surprise quasi générale.

Plusieurs décisions opérationnelles ont été adoptées, notamment concernant les vaccins contre la covid-19 ou un accord sur les subventions à la pêche fixant de nouvelles règles mondiales pour réduire les subventions préjudiciables et protéger les stocks mondiaux de poissons, tout en tenant compte des besoins des pêcheurs des pays en développement et des pays les moins avancés. Il s'agit du premier accord de l'OMC ayant pour clé de voûte la durabilité environnementale.

La réunion ministérielle s'est également soldée par un soutien à la perspective de réforme de l'OMC, que l'Union européenne appelle ardemment de ses voeux, mais aussi par le lancement d'une coalition des ministres du commerce pour le climat. Cela va dans le sens, souhaité par l'Union européenne, d'une meilleure prise en compte de la durabilité dans les accords commerciaux internationaux.

Par rapport à la période de présidence de Donald Trump, les États-Unis se montrent plus ouverts et ne bloquent plus le fonctionnement de l'OMC. Ils participent aux réunions et n'agitent plus la menace de sortie de l'organisation. Pour autant, les fondamentaux de l'analyse américaine en matière de politique commerciale, et tout particulièrement s'agissant de l'organe d'appel du mécanisme de règlement des différends, n'ont pas varié. Les États-Unis continuent de bloquer l'organe d'appel en ne nommant pas de juges. Sur fond de guerre en Ukraine et de tension internationale, les États-Unis semblent percevoir l'OMC comme un facteur de stabilité et laissent l'organisation fonctionner, sans toutefois en être moteur.

La Chine, qui trouve son compte au fonctionnement actuel de l'OMC, est prête à faire certaines concessions, comme elle l'a montré lors de la réunion ministérielle de juin 2022.

L'Union européenne apparaît néanmoins comme le bloc commercial développé ayant le plus intérêt au bon fonctionnement de l'OMC. Nos différents interlocuteurs ont tous souligné que l'attachement de l'Union au respect des règles de l'OMC n'était pas uniquement une question de philosophie, mais qu'il correspondait aux intérêts de l'Union, qui n'a rien à gagner à une guerre commerciale.

Ce constat éclaire d'un jour intéressant l'enjeu de la réponse européenne à l'Inflation Reduction Act, dont tous les interlocuteurs considèrent qu'il n'est pas conforme aux règles de l'OMC. Pour autant, aucune contestation commerciale frontale ne semble se dessiner à ce stade, la guerre en Ukraine ayant en particulier conduit les pays alliés à modérer leurs critiques au sein de l'OMC.

L'Union se place pour le moment dans une démarche de dialogue transatlantique, notamment dans le cadre des réunions du conseil du commerce des technologies. Si les pistes de mesures de défense commerciale ou d'une action devant l'OMC ne sont pas exclues ultérieurement, elles ne semblent pas à court terme constituer la voie privilégiée. L'Union semble s'orienter vers des mesures de renforcement de la compétitivité des entreprises et l'adaptation de son régime d'aides d'État. En outre, la décision d'un panel de l'OMC pourrait être contournée par les États-Unis du fait du blocage de l'organe d'appel.

On ressort ainsi de ce cycle d'audition avec le sentiment que l'Union européenne s'est réellement efforcée au cours des dernières années de combler ses lacunes afin d'assurer une défense commerciale efficace et de développer une approche permettant à la fois une meilleure prise en compte du développement durable dans les échanges internationaux, de plus grandes contreparties en échange des facilités octroyées dans le cadre des accords commerciaux et une diversification des sources d'approvisionnement dans une logique de moindre dépendance à l'égard d'États tiers.

Pour autant, l'attachement fondamental aux règles de l'OMC, au-delà de la théorie des échanges commerciaux internationaux, traduit également une forme de vulnérabilité de l'Union par rapport à d'autres grands acteurs qui peuvent se montrer agressifs. C'est évidemment un point de vigilance pour l'avenir et il nous faudra continuer de suivre de près l'ensemble des enjeux relatifs à la mise en oeuvre de la politique commerciale commune.

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