Avec Didier Marie, co-rapporteur sur ces sujets, nous avons souhaité vous présenter une communication pour faire un point d'étape sur la politique commerciale, qui a connu une actualité chargée fin 2022.
Plusieurs textes en cours de négociation ont donné lieu à des accords au Conseil ou en trilogue, tandis qu'un nouvel accord commercial avec le Chili a également été annoncé par la Commission européenne.
Pour vous présenter cette communication, nous avons auditionné trois personnes : M. Etienne Oudot de Dainville, délégué permanent de la France auprès de l'Organisation mondiale du commerce, Mme Claire Cheremetinski, ministre conseiller, cheffe du service économique, commercial et financier à la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, et M. Denis Redonnet, directeur général adjoint de la direction générale (DG) Commerce de la Commission européenne, responsable du respect des règles du commerce - nous l'auditionnerons peut-être devant l'ensemble de la commission.
Notre communication s'articulera autour de quatre grands axes : les accords commerciaux bilatéraux, au regard notamment des annonces faites par la Commission européenne dans son programme de travail pour 2023 ; les textes intéressant la politique commerciale qui viennent d'aboutir ou qui sont en phase finale de négociation ; notre analyse concernant l'équilibre global auquel nous parvenons en termes de capacité de défense commerciale ; enfin, le fonctionnement de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et la relation transatlantique, sous le prisme de l'Inflation Reduction Act.
Dans sa communication sur le programme de travail de la Commission pour 2023, la Commission indique qu'« afin de renforcer la résilience de l'Union européenne (UE) et de diversifier nos chaînes d'approvisionnement, nous plaiderons en faveur de la ratification intégrale des accords commerciaux, notamment ceux conclus avec le Chili, le Mexique et la Nouvelle-Zélande, et nous poursuivrons les négociations avec d'autres partenaires importants tels que l'Australie, l'Inde et l'Indonésie. Nous présenterons également un nouveau programme pour l'Amérique latine et les Caraïbes ».
Didier Marie vous avait présenté en juillet dernier les grandes lignes de l'accord conclu avec la Nouvelle-Zélande, le dernier jour de la présidence française du Conseil.
Le 9 décembre, la Commission a annoncé la conclusion d'un nouvel « accord-cadre avancé » avec le Chili.
Selon la Commission, cet accord-cadre avancé place les droits de l'Homme, le commerce durable et l'égalité entre les hommes et les femmes au coeur des relations entre l'Union et le Chili et renforce leur coopération sur les défis mondiaux communs, tels que l'environnement et la lutte contre le changement climatique.
Sur le plan commercial, 99,9 % des exportations de l'Union vers le Chili seront exemptes de droits de douane, les simulations laissant anticiper une croissance des exportations qui pourrait atteindre 4,5 milliards d'euros.
L'accord devrait également permettre à l'Union de sécuriser un plus large accès aux matières premières et aux combustibles propres essentiels à la transition vers une économie verte, comme le lithium, le cuivre et l'hydrogène.
L'accord sera scindé en deux actes : d'une part, un accord de libre-échange intérimaire relevant de la compétence exclusive de l'Union et qui ne sera donc pas ratifié par les Parlements nationaux ; d'autre part, l'accord-cadre avancé qui inclura les volets « politique et coopération » et « commerce et investissement ». Cet accord impliquera une ratification par les États membres. Il se substituera, une fois entré en vigueur, à l'accord de libre-échange intérimaire.
Pour Denis Redonnet, l'accent mis dans le programme de travail sur la ratification des accords conclus montre qu'il s'agit d'un enjeu de crédibilité important pour la Commission, en tant que négociateur, et pour l'Union en général, qui doit être en mesure de valider les accords négociés.
S'agissant des négociations en cours, un accord pourrait être conclu avec l'Australie en 2023, car les deux partenaires partagent le même niveau d'ambition.
La perspective d'un accord à brève échéance avec l'Inde apparaît plus incertaine. Les négociations avancent et l'Inde aimerait également conclure en 2023, mais les services de la Commission sont plus réservés, car plusieurs sujets de désaccord demeurent, concernant notamment les marchés publics, la liberté tarifaire ou encore la soutenabilité et la prise en compte du développement durable au regard des ambitions de l'Union européenne dans ce domaine.
L'accord avec le Mercosur n'est pas mentionné par la Commission dans son programme de travail. Denis Redonnet nous a indiqué que le retour de Lula à la présidence du Brésil ouvre de nouvelles perspectives, mais que les négociations complémentaires pourraient prendre du temps.
La Commission considère que l'équilibre est désormais bien plus satisfaisant entre l'ouverture dont fait preuve l'Union et les instruments dont elle dispose pour se défendre.
Le deuxième axe de notre communication concerne les nombreux textes finalisés ou en cours de finalisation au Conseil ou en trilogue. Plusieurs visent précisément à renforcer les outils dont dispose l'Union pour se défendre ou promouvoir ses valeurs.
Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) a été négocié dans le cadre du paquet ajustement à l'objectif 55. Jean-Yves Leconte et Marta de Cidrac avaient formulé un certain nombre d'observations et de craintes lors de leur communication sur le sujet et la résolution adoptée par le Sénat en février 2022 avait mis en lumière la nécessité de certaines corrections.
Le résultat final des négociations n'apparaît à cet égard pas totalement satisfaisant, car il ne permettra pas de répondre aux besoins des industries exportatrices de l'Union, une fois que le mécanisme sera entré en vigueur.
La mise en place d'un mécanisme d'ajustement carbone couvrant six secteurs s'accompagnera, pour les entreprises des secteurs concernés, d'une annulation progressive des quotas gratuits d'émission de gaz à effet de serre.
La résolution précitée soulignait que les entreprises exportatrices européennes souffriraient d'une perte de compétitivité, en raison d'une augmentation du prix des produits de base couverts par le MACF et concernés par l'extinction progressive des quotas gratuits. Elle relevait également l'enjeu des produits finis exposés à un risque de fuites de carbone, alors que le mécanisme ne concerne que les produits de base. Aucune solution de soutien direct aux entreprises exportatrices européennes compatible avec les règles de l'OMC n'a été trouvée au cours des négociations.
La représentation permanente auprès de l'Union européenne nous a confirmé qu'aucune possibilité de maintien de quotas gratuits n'était envisageable au regard des règles de l'OMC et a fait valoir que les quotas gratuits d'émission étaient déjà contestés avant la mise en place du MACF. En contrepartie de l'annulation progressive des quotas gratuits, un accord a été trouvé en trilogue afin de renforcer la compétitivité des entreprises exportatrices concernées par le MACF, au travers du fonds d'innovation abondé par le système d'échanges de quotas d'émission.
La temporalité du soutien n'est donc pas la même puisque l'aide qui interviendra au travers du fonds d'innovation vise à renforcer la compétitivité hors coûts à moyen et long termes, mais ne constitue pas une compensation directe de l'impact du MACF.
En outre, des évaluations régulières sont prévues, notamment dès le rapport d'étape de la Commission prévu en 2025, pour évaluer si des fuites de carbone liées à la mise en place de ce mécanisme apparaissent et si les entreprises exportatrices se trouvent pénalisées.
Denis Redonnet, responsable européen du respect des règles du commerce à la DG Commerce, a par ailleurs estimé que l'impact global du MACF dépendrait de la mise en oeuvre, ou non, dans les États hors Union européenne, d'une tarification carbone adaptée. À défaut, le mécanisme pourrait entraîner d'éventuelles tensions commerciales.
Nous avons toutefois pu constater dans nos échanges avec la représentation de la France auprès de l'OMC que le mécanisme qui suscite le plus d'interrogations actuellement à l'OMC est le dispositif visant à lutter contre la déforestation.
Un accord a pu être obtenu en trilogue concernant la lutte contre la déforestation importée avant le lancement de la COP15, dans un sens qui semble nettement plus favorable aux positions du Conseil qu'à celles défendues par le Parlement européen. La mise en place de cet outil vient renforcer la boîte à outils dont dispose l'Union pour faire valoir ses positions en faveur d'un commerce plus respectueux du développement durable. Elle nécessitera toutefois des efforts de pédagogie à Genève.
Deux autres textes importants sont en cours de finalisation : celui sur le mécanisme anti-coercition et celui qui porte sur le système de préférences généralisé.
Le mécanisme anti-coercition vise à renforcer les moyens dont dispose l'Union pour faire face aux pressions exercées par des États tiers sur certains États membres de l'Union, notamment par des mesures commerciales. Les négociations ont commencé en trilogue au mois de décembre. Une divergence apparaît actuellement entre le Parlement européen et le Conseil concernant le processus de décision.
Le Conseil souhaite avoir la main sur la décision de reconnaissance de la coercition et la nécessité de prévoir des mesures en contrepartie, ce que ne prévoyait pas le texte initial de la Commission. Celle-ci serait en revanche chargée de la définition des mesures de rétorsion proprement dites.
Le Parlement européen s'oppose à cette nouvelle prérogative du Conseil et a également des vues différentes concernant le champ des mesures de rétorsion.
Le dernier texte que nous souhaitons évoquer concerne la réforme du système de préférences généralisé (SPG). Ce système est une facilité accordée aux pays en développement pour leur permettre d'exporter vers l'Union européenne sans tarif douanier. Il est autorisé par l'OMC et le cadre actuellement en vigueur arrive à échéance fin 2023.
Les négociations au Conseil ont été difficiles et n'ont pas pu être conclues sous la présidence française. Elles ont néanmoins pu aboutir au Conseil le 20 décembre, ce qui ouvre désormais la voie à un trilogue.
Les négociations en trilogue s'annoncent difficiles, car, contrairement au Parlement européen, le Conseil souhaite conserver la proposition de la Commission permettant de subordonner les aides du SPG pour les pays bénéficiaires à une clause de réadmission de leurs ressortissants en situation irrégulière dans l'Union européenne. La France, ainsi que de très nombreux États membres, soutiennent cette approche, mais l'Allemagne y est opposée. Cette mesure s'inscrit dans la logique de contreparties en échange de bénéfices accordés par l'Union.
L'autre sujet de vigilance concerne les mesures de sauvegarde, en particulier celles qui sont relatives aux importations de produits agricoles en provenance des pays bénéficiaires du SPG. Un recueil de données permettra d'alimenter le mécanisme de surveillance de l'Union, ce qui pourrait le cas échéant mener à un retrait des préférences.
Les personnes auditionnées ont souhaité voir les négociations en trilogue aboutir d'ici à la fin de la présidence suédoise du Conseil, afin que les paramètres soient connus à une date appropriée avant l'échéance du cadre actuel.
Le troisième grand thème que nous souhaitons évoquer concerne les outils dont dispose l'Union pour assurer sa défense commerciale ainsi que leur mise en oeuvre.
La représentation permanente, comme la DG, Commerce, considèrent que l'arsenal juridique dont dispose l'Union en matière de défense commerciale est adapté, sous réserve de l'adoption définitive des textes encore en cours d'examen, notamment le mécanisme anti-coercition. Les mesures antidumping, antisubventions et de sauvegarde paraissent correctement calibrées et permettent de protéger l'Union efficacement, en particulier contre la Chine, principale cible de ces mesures.
Le quarantième rapport annuel sur la défense commerciale relève l'augmentation du nombre de mesures définitives de défense commerciale en vigueur à la fin de l'année 2021 et souligne l'accent mis par la Commission sur l'application et l'efficacité de ces mesures.
Ainsi, les mesures de défense commerciale adoptées par l'Union européenne ne sont généralement pas remises en cause, que ce soit au niveau de l'Union européenne ou de l'OMC. Les délais d'imposition de droits sont rapides et obtiennent les effets escomptés puisqu'en moyenne ce type de mesures permet de faire sortir du marché 85 % à 90 % des produits visés.
Les personnes auditionnées ont toutefois fait part de la montée en puissance de dispositifs de contournement plus sophistiqués, qui appellent une attention et des moyens plus importants.
C'est le cas de distorsions de concurrence liées à des investissements dans des pays tiers, comme la Chine l'a fait en Indonésie pour l'acier inoxydable ou comme elle peut le faire au travers des routes de la soie. Les dossiers de plainte sont alors plus compliqués à monter et à analyser.
La Commission a également dû s'adapter pour faire face à des distorsions de concurrence intervenant du fait d'investissements directs sur le marché intérieur, ce qui l'a poussée à proposer le dispositif relatif aux subventions étrangères et à envisager désormais son adaptation à l'occasion de la clause de revoyure.
De fait, les distorsions de concurrence se font plus subtiles et nécessitent plus de moyens de la part de la Commission.
Si celle-ci parvient à faire face, pour le moment, aux plaintes déposées, nous avons pu percevoir une faiblesse : certains secteurs dominés par les petites et moyennes entreprises (PME) portent plus difficilement plainte. Or la Commission agit rarement de sa propre initiative. Un travail doit donc être mené afin de bien communiquer sur les voies de protection en cas de distorsion de concurrence et de valoriser les bonnes pratiques. Le secteur de la céramique constitue à cet égard un exemple puisque, même s'il est éclaté, il a réussi à se structurer pour déposer des plaintes crédibles.
Nos auditions ont également permis d'aborder la question des sanctions commerciales imposées à la Russie à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine.
Au total, on évalue actuellement à plus d'un tiers les exportations vers la Russie placées sous sanctions et à près de 60 % les importations de Russie placées sous sanctions, par rapport à leur niveau d'avant-guerre. La baisse des exportations est bien plus forte encore puisqu'elle atteindrait 55 % à 60 % au total par rapport au niveau d'avant-guerre.
Ces sanctions traduisent un véritable découplage de l'Union européenne par rapport à la Russie et s'accompagnent d'une importante diversification des sources d'approvisionnement. Il convient à cet égard d'être vigilant quant aux nouvelles dépendances qui pourraient se créer.
Les sanctions pesant sur l'export sont jugées particulièrement importantes dans la mesure où elles limitent les capacités de la Russie à obtenir des biens et technologies sensibles entrant dans le complexe militaro-industriel, alors que les possibilités de substitution hors des pays du G7 apparaissent limitées.
Une étroite coordination a été recherchée entre les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni et l'Union européenne, d'une part, pour que les mesures aient un effet maximal, mais aussi, d'autre part, afin d'assurer l'égalité des conditions de concurrence et d'éviter des prises de marché par des pays tiers à l'occasion de la mise en oeuvre de ces sanctions.
La communication sur le programme de travail de la Commission pour 2023 indique également qu'« après deux ans d'expérience, la Commission est disposée à réviser le règlement de l'Union sur le filtrage des investissements directs à l'étranger (IDE) » en vue notamment de « tirer parti de l'expérience acquise dans le cadre du régime actuel de contrôle des exportations de l'UE et de la mise en oeuvre des sanctions dans le contexte de l'agression menée par la Russie contre l'Ukraine, afin de renforcer nos contrôles des exportations stratégiques, en étroite collaboration avec les États membres et nos partenaires internationaux ».
Concrètement, alors que tous les États membres n'ont pas encore mis en place de système de filtrage des investissements étrangers, il pourrait être envisagé de s'orienter vers un règlement rendant ce filtrage obligatoire et renforçant la coordination européenne afin de sécuriser la cohérence du marché intérieur et de combler certains points de fragilité sur lesquels les États tiers peuvent jouer.
En outre, la Commission examinera si des outils supplémentaires sont nécessaires pour contrôler les investissements stratégiques sortants, ce qui serait particulièrement novateur, même si les États-Unis envisagent également de le faire. Cela permettrait de mieux protéger les technologies sensibles, y compris, par exemple, dans le cas de joint ventures mises en place dans des pays tiers.
Le dernier point que nous souhaitons aborder concerne l'OMC et la relation transatlantique. La dernière conférence ministérielle de l'OMC, en juin 2022, a été un succès à la surprise quasi générale.
Plusieurs décisions opérationnelles ont été adoptées, notamment concernant les vaccins contre la covid-19 ou un accord sur les subventions à la pêche fixant de nouvelles règles mondiales pour réduire les subventions préjudiciables et protéger les stocks mondiaux de poissons, tout en tenant compte des besoins des pêcheurs des pays en développement et des pays les moins avancés. Il s'agit du premier accord de l'OMC ayant pour clé de voûte la durabilité environnementale.
La réunion ministérielle s'est également soldée par un soutien à la perspective de réforme de l'OMC, que l'Union européenne appelle ardemment de ses voeux, mais aussi par le lancement d'une coalition des ministres du commerce pour le climat. Cela va dans le sens, souhaité par l'Union européenne, d'une meilleure prise en compte de la durabilité dans les accords commerciaux internationaux.
Par rapport à la période de présidence de Donald Trump, les États-Unis se montrent plus ouverts et ne bloquent plus le fonctionnement de l'OMC. Ils participent aux réunions et n'agitent plus la menace de sortie de l'organisation. Pour autant, les fondamentaux de l'analyse américaine en matière de politique commerciale, et tout particulièrement s'agissant de l'organe d'appel du mécanisme de règlement des différends, n'ont pas varié. Les États-Unis continuent de bloquer l'organe d'appel en ne nommant pas de juges. Sur fond de guerre en Ukraine et de tension internationale, les États-Unis semblent percevoir l'OMC comme un facteur de stabilité et laissent l'organisation fonctionner, sans toutefois en être moteur.
La Chine, qui trouve son compte au fonctionnement actuel de l'OMC, est prête à faire certaines concessions, comme elle l'a montré lors de la réunion ministérielle de juin 2022.
L'Union européenne apparaît néanmoins comme le bloc commercial développé ayant le plus intérêt au bon fonctionnement de l'OMC. Nos différents interlocuteurs ont tous souligné que l'attachement de l'Union au respect des règles de l'OMC n'était pas uniquement une question de philosophie, mais qu'il correspondait aux intérêts de l'Union, qui n'a rien à gagner à une guerre commerciale.
Ce constat éclaire d'un jour intéressant l'enjeu de la réponse européenne à l'Inflation Reduction Act, dont tous les interlocuteurs considèrent qu'il n'est pas conforme aux règles de l'OMC. Pour autant, aucune contestation commerciale frontale ne semble se dessiner à ce stade, la guerre en Ukraine ayant en particulier conduit les pays alliés à modérer leurs critiques au sein de l'OMC.
L'Union se place pour le moment dans une démarche de dialogue transatlantique, notamment dans le cadre des réunions du conseil du commerce des technologies. Si les pistes de mesures de défense commerciale ou d'une action devant l'OMC ne sont pas exclues ultérieurement, elles ne semblent pas à court terme constituer la voie privilégiée. L'Union semble s'orienter vers des mesures de renforcement de la compétitivité des entreprises et l'adaptation de son régime d'aides d'État. En outre, la décision d'un panel de l'OMC pourrait être contournée par les États-Unis du fait du blocage de l'organe d'appel.
On ressort ainsi de ce cycle d'audition avec le sentiment que l'Union européenne s'est réellement efforcée au cours des dernières années de combler ses lacunes afin d'assurer une défense commerciale efficace et de développer une approche permettant à la fois une meilleure prise en compte du développement durable dans les échanges internationaux, de plus grandes contreparties en échange des facilités octroyées dans le cadre des accords commerciaux et une diversification des sources d'approvisionnement dans une logique de moindre dépendance à l'égard d'États tiers.
Pour autant, l'attachement fondamental aux règles de l'OMC, au-delà de la théorie des échanges commerciaux internationaux, traduit également une forme de vulnérabilité de l'Union par rapport à d'autres grands acteurs qui peuvent se montrer agressifs. C'est évidemment un point de vigilance pour l'avenir et il nous faudra continuer de suivre de près l'ensemble des enjeux relatifs à la mise en oeuvre de la politique commerciale commune.
Nous avons essayé d'être le plus précis possible en mettant en avance quelques points saillants issus des auditions : le sujet de la déforestation, qui doit tenir une part importante dans notre réflexion ; le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, dont les modalités d'application n'apparaissent pas satisfaisantes en l'état, tant pour les entreprises exportatrices européennes que s'agissant de la prise en compte des produits finis dans le champ du dispositif ; le mécanisme permettant de porter plainte, dont il semble qu'il ne soit pas accessible à tous, en particulier aux TPE-PME, surtout par manque de connaissance des mécanismes et de structuration des filières, même s'il convient d'être vigilant quant à la capacité de la Commission à faire face à une croissance du nombre de plaintes.
J'aimerais savoir où nous en sommes s'agissant du dispositif de contrôle des subventions étrangères, qui avait été proposé par la Commission européenne en mai 2021. J'ai interrogé en 2022 Clément Beaune, alors secrétaire d'Etat chargé de l'Europe ; il n'était même pas au courant du mécanisme. Des mesures de plus en plus sophistiquées sont trouvées pour contourner les mécanismes que nous mettons en oeuvre et nous agissons à rebours. En lisant entre les lignes des rapports réalisés par la Cour des comptes européenne, il apparaît que la Chine est visée en premier lieu, car elle fait montre d'une grande capacité à établir des montages financiers. Selon une organisation non gouvernementale (ONG) néerlandaise, la part des investissements réels chinois en Europe dans certaines entreprises est sous-estimée par la Commission européenne : elle serait non pas de 15 %, mais de 50 %, grâce à un système d'entreprises gigognes.
Matthias Fekl, lorsqu'il était secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, avait d'ailleurs estimé que, si la Commission européenne était une formidable machine à produire des accords de libre-échange - 4 000 à 5 000 personnes travailleraient sur ce sujet -, le suivi et la vérification de l'application des conditions étaient plus distendus, car ils ne sont pas effectués par la Commission elle-même. Nous avons beaucoup de mal à contrôler le respect des engagements prévus par la signature de conventions internationales de l'ONU ou de l'Organisation internationale du travail (OIT). Plusieurs rapports sénatoriaux, dont le rapport d'information sur les sucres spéciaux, ont montré que les pays les moins avancés, qui bénéficient de systèmes sans quotas ni droits de douane, en abusent parfois. Par exemple, le Vietnam revend une partie de ses sucres, qui contiennent de la dioxine, au Laos et au Cambodge. Ces derniers certifient ces sucres lesquels se retrouvent sur notre marché. Nous avons donc également un problème de contrôle sanitaire.
Des mesures de rétorsion partielle vis-à-vis du Cambodge ont certes été prises en réaction à son attitude anti-démocratique, mais nous ne l'avions pas fait pour la Birmanie pour ne pas gêner Aung San Suu Kyi. Alors que le régime est désormais tenu par la junte militaire, ce mécanisme bénéficie toujours aux généraux et aux oligarques, mais pas à la population. Nous devons nous assurer que ces mécanismes profitent bien aux populations. Cela fonctionne assez bien en Afrique avec l'initiative « Tout sauf les armes », mais il y a une trop grande absence de contrôle en Asie. Le Laos a ratifié beaucoup de conventions sur les droits de l'Homme et des travailleurs, mais la conditionnalité n'est pas respectée. Qui fait ce travail de vérification ? La direction générale du commerce n'est pas en mesure de le faire.
Je répondrai sur deux points. En ce qui concerne les capacités de contrôle de la Commission européenne, notamment des investissements chinois détournés, elle n'est pas inexistante. J'ai été surpris de la capacité d'enquête sur l'Indonésie, qui est devenue du jour au lendemain un pays majeur de production d'inox. Par ailleurs, les douaniers doivent être mieux formés et sensibilisés à ces questions de détournement.
S'agissant de l'Indonésie, où nous sommes allés avec la commission des affaires étrangères et de la défense en septembre dernier, il n'y a pas besoin de faire une enquête : cela se voit.
Concrètement, comment les TPE-PME sont-elles informées qu'elles peuvent déposer plainte ? J'étais à la commission des pétitions, qui est peut-être plus accessible, mais beaucoup de Français ne connaissent pas ces mécanismes.
En ce qui concerne le dispositif de contrôle des subventions étrangères, le règlement n'a été définitivement adopté que le 28 novembre dernier et commence tout juste à être mis en oeuvre. Il comble un vide juridique dans les règles de l'OMC en permettant désormais aux services de la Commission de remédier unilatéralement aux distorsions de concurrence qui ont pour origine des subventions de pays tiers accordées à des entreprises opérant ou à des productions circulant sur le marché intérieur.
La Commission dispose à ce titre de trois outils distincts : deux outils reposant sur un mécanisme de notification préalable de certaines concentrations et des contrats de la commande publique dont la valeur estimée est supérieure à 250 millions d'euros, et un outil général d'enquête sur le marché permettant de contrôler toutes les autres situations de marché, ainsi que les concentrations et les contrats de la commande publique sous le seuil précité.
Les outils existent donc, mais la Commission ne va pas se déployer partout en Europe pour vérifier si une subvention chinoise n'est pas arrivée dans une entreprise ; les États membres doivent se doter de services structurés et offensifs pour faire remonter les situations et déclencher l'enquête de la Commission. Il en est de même pour le système de plaintes : le dispositif existe, la direction générale du commerce a la possibilité d'instruire les plaintes, mais ce n'est pas à elle de les identifier. Le tissu industriel et commercial doit les faire remonter, comme le fait déjà le secteur de l'acier, qui est très bien organisé. Les entreprises doivent travailler en ce sens avec leur fédération ou organisation pyramidale. S'il y distorsion de concurrence, il y a peu de chance que cela ne concerne qu'une TPE ou PME ; c'est souvent une filière qui est attaquée. Nous avons pu le voir dans le secteur de la céramique en Europe méridionale, où de petites structures se sont mobilisées.
Ce sujet pourrait utilement faire l'objet d'une table ronde ou journée de travail.
Le dispositif de contrôle des subventions a été adopté le 28 novembre, or aucune publicité n'a été faite ! C'est pourtant un sujet auquel je suis attentif. Nous avons besoin d'être informés pour être en mesure de répondre aux sollicitations des entreprises et des fédérations. Par ailleurs, la communication est très sibylline : la Chine est visée, mais jamais nommée.
J'en parlerai avec notre collègue Serge Babary, car cela peut donner lieu à un travail commun avec la délégation aux entreprises qu'il préside.
Ma question porte sur un sujet connexe. Dans le cadre de l'évaluation de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec), j'ai effectué un déplacement à La Réunion et en Martinique. Plusieurs entreprises de ces territoires nous ont alertés sur leur statut de régions ultrapériphériques (RUP) de l'Union européenne, qui crée une distorsion de concurrence sur la question de l'élimination des déchets. En effet, ils sont soumis aux contraintes de l'Union européenne, et ne peuvent donc pas évacuer les déchets, par exemple les batteries. La délégation aux outre-mer a publié un rapport d'information sur la gestion des déchets dans les outre-mer ; notre commission devrait également se saisir de ce sujet sensible, par le prisme commercial.
J'en profite pour livrer une réflexion qui me chagrine : la balance commerciale de la France étant déficitaire, nous importons plus que nous exportons, ce qui signifie que nous importons également plus de déchets, qu'il nous faudra ensuite traiter.
C'est effectivement un sujet important. Nous pourrions envisager une réunion commune avec la délégation aux outre-mer.
Nos outre-mer nous permettent de bénéficier d'un espace maritime important, au coeur d'enjeux commerciaux et environnementaux, mais ils sont insuffisamment valorisés.
J'ai souhaité vous présenter une communication très détaillée sur la politique agricole commune (PAC), car la toute dernière réforme, longuement négociée entre le printemps 2018 et l'été 2021, est entrée en vigueur le 1er janvier 2023. Il me paraissait donc important de vous en fournir une brève synthèse, d'autant que nous avons effectué un important travail de suivi de ces négociations, en parfaite coopération avec nos collègues de la commission des affaires économiques. Vous vous en souvenez, entre 2017 et 2021, pas moins de quatre résolutions européennes ont été adoptées sur notre initiative par le Sénat, ainsi qu'un avis motivé au titre de la subsidiarité.
Les grandes orientations retenues, in fine, pour cette nouvelle PAC 2023-2027 ont divergé fondamentalement des positions défendues par le Sénat. Nous regrettons qu'elles aient été avalisées par les gouvernements des États membres, au premier rang desquels figurent les autorités françaises. Aucun retour en arrière n'est désormais possible.
Mon propos ne consistera donc pas à revenir sur les choix politiques qui ont été faits, mais d'insister sur des éléments nouveaux. L'entrée en vigueur de la réforme de la PAC 2023-2027 mérite tout d'abord d'être appréciée dans le contexte, en premier lieu, de la poursuite de la mise en oeuvre du Pacte vert, en second lieu, de la guerre en Ukraine, qui nécessiterait de redonner la priorité au principe de l'autonomie alimentaire.
Nous nous sommes prononcés sur ces deux questions cruciales au printemps 2022, en adoptant majoritairement, après des débats animés entre nous et sur l'initiative de la présidente de la commission des affaires économiques Sophie Primas et de moi-même, une cinquième proposition de résolution européenne. Ce texte, devenu résolution du Sénat le 6 mai 2022, visait à obtenir une réorientation de la stratégie agricole européenne, au regard du nouveau contexte géopolitique. En dernière analyse, nous avons alors posé la question de la soutenabilité économique et alimentaire des orientations agricoles du Pacte vert. Nous avons demandé, face au risque d'une diminution supérieure ou égale à 10 % de la production de certaines de nos filières agricoles essentielles, une remise à plat des stratégies « Biodiversité 2030 » et « De la ferme à la fourchette ».
Avec le recul d'une année supplémentaire, je partage avec vous le constat décevant que la Commission européenne n'a en rien modifié son approche de la PAC, malgré les interrogations sur le Pacte vert et en dépit de la guerre en Ukraine. Comme lors de la pandémie de covid-19, pendant quelques semaines la question de l'autonomie alimentaire européenne a semblé redevenir une priorité. Puis, très rapidement, le volet agricole du Green Deal est redevenu un impératif non négociable, sans même d'ailleurs faire l'objet d'une étude d'impact en bonne et due forme, dont nous attendons toujours la publication depuis de nombreuses années.
Les grands équilibres du budget pluriannuel de la PAC s'apprêtent à être littéralement rongés par la récente poussée inflationniste. En effet, le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 a été arrêté en euros courants, avec un taux d'inflation annuel compris entre 0 % et 2 % ; or le rythme actuel de la hausse des prix évolue autour de 10 % dans la plupart des États membres. Les économistes de la Banque centrale européenne (BCE) n'envisagent pas de retour à la normale avant 2025. Finalement, le groupe de réflexion Farm Europe a estimé à 22 % la perspective d'une diminution du budget de la PAC sur la période 2021-2027, en termes réels, par rapport à 2020.
Telles sont les grandes lignes du sombre panorama que je tenais à vous présenter. Nous devons affronter ces réalités avec lucidité pour envisager la suite de nos actions. Il ne s'agit plus désormais de la réforme de la PAC 2023-2027, qui est tranchée, mais il nous appartient encore de nous positionner sur la révision du CFP, ainsi que sur le volet agricole du Green Deal.
Le Pacte vert représente, selon moi, l'équivalent d'une nouvelle réforme de la PAC. Il n'y aura donc pas une réforme, mais deux en même temps ! Nous n'en avons pas véritablement conscience.
On se souvient que la nouvelle PAC 2021-2027 a été conçue autour de cinq grands axes : un renforcement prioritaire des ambitions environnementales ; un nouveau mode de mise en oeuvre, supposé permettre une plus grande simplicité et efficacité grâce à davantage de subsidiarité ; un meilleur ciblage des aides, au travers du plafonnement sous condition à 100 000 euros par exploitation, conjugué à un soutien accru aux jeunes agriculteurs ; la promotion de la recherche et des innovations technologiques ; tout ceci conjugué à une baisse sensible en termes réels du budget de la nouvelle PAC 2021-2027, baisse déjà estimée par le groupe de réflexion Farm Europe à 10 %, avant même la récente poussée inflationniste constatée depuis l'hiver 2022, laquelle se traduirait, on l'a vu, par une diminution supplémentaire de 22 %.
Sans revenir sur le détail de nos quatre résolutions européennes antérieures, cette réforme de la PAC 2021-2027 diverge fondamentalement, sur trois points essentiels, des orientations défendues par le Sénat.
Premièrement, l'objectif principal de la réforme, au-delà de l'ambition environnementale, porte sur le nouveau mode décentralisé de mise en oeuvre, ou New Delivery Model, de la politique agricole commune. L'approche uniforme prévalant depuis 1962 a été délaissée au nom de davantage de subsidiarité : des plans stratégiques doivent être élaborés par les États membres, puis validés par la Commission. Ce modus operandi est supposé simplifier le coeur de la PAC, en retenant une approche par les résultats plutôt que par les moyens.
Il en découle un risque préoccupant de distorsions de concurrence supplémentaires au sein du marché unique. Le Sénat y a vu aussi un réel danger de renationalisation et de remplacement de la politique agricole commune « par vingt-sept politiques agricoles nationales » dans chacun des États membres, désormais « de moins en moins compatibles entre elles ». Enfin, ce mécanisme apparaît comme un transfert de bureaucratie, sans bénéfice pour les agriculteurs européens.
Deuxièmement, la réforme a ouvert la voie à une PAC en fait largement optionnelle. Cela sera le cas, en particulier, pour les mesures environnementales, avec un risque avéré de dumping au sein du marché unique. Certains responsables politiques d'États membres font d'ailleurs état, officieusement, de leur intention d'utiliser massivement les aides du second pilier non pas pour protéger l'environnement, mais pour amplifier les investissements dans les capacités de production. Dès lors, le risque d'une course au moins-disant environnemental apparaît bien réel, au détriment des pays de l'Union les plus vertueux, dont le nôtre.
Troisièmement, la nouvelle réforme de la PAC fait quasi l'impasse sur la question de l'équité en matière de commerce international des produits agricoles. Or le succès du Pacte vert repose sur des prix plus élevés pour rémunérer équitablement les agriculteurs européens. De nombreux consommateurs pourraient préférer des produits importés à bas coût, avec de moindres standards environnementaux. Pacte vert et frontières ouvertes sont difficiles à concilier.
On peut redouter qu'aux effets pervers de la réforme de la PAC ne viennent s'ajouter, dans un proche avenir, ceux du volet agricole du Pacte vert. De fait, l'articulation, très étroite, entre la nouvelle PAC et le Green Deal reposera sur les éléments suivants : les plans stratégiques nationaux élaborés dans le cadre de la nouvelle PAC devront être « cohérents » avec le Green Deal - à savoir, dans l'immédiat, les deux stratégies « Biodiversité » et « De la ferme à la fourchette » - et même y contribuer ; il appartiendra à la Commission européenne de contrôler cette cohérence, à l'occasion de l'approbation, puis du suivi qu'elle fera tous les deux ans, de la mise en oeuvre des plans stratégiques nationaux ; les modalités de ce contrôle n'étant pas entièrement définies, la nouvelle PAC sera susceptible d'être réévaluée a posteriori, à la faveur de nouvelles réglementations qui pourraient intervenir en plus des deux stratégies précitées ; enfin, la Commission européenne publiera en 2025 un rapport sur la cohérence des plans stratégiques nationaux au regard du Green Deal, dont certains observateurs redoutent déjà qu'il ne justifie une révision à mi-parcours, sous forme d'un durcissement, des exigences environnementales de la PAC.
J'en arrive au coeur du problème : le volet agricole du Pacte vert apparaît manifestement fondé sur l'idée de décroissance, et cette stratégie n'a été nullement remise en cause, en premier lieu, lors de la pandémie de covid-19, en second lieu, par la guerre en Ukraine.
Comment, en particulier, prévoir d'ici à 2030, donc en quelques années seulement, de renoncer à 10 % de la surface agricole utile européenne, tout en diminuant de 50 % l'utilisation des pesticides et en quadruplant, pour les porter à 25 %, les terres converties au bio, sans de facto renoncer à l'agriculture traditionnelle ?
La promotion d'objectifs environnementaux mérite d'être considérée comme une nécessité au regard des enjeux liés au changement climatique, mais elle doit se faire en cohérence avec les objectifs économiques, sociaux et géopolitiques du continent, qui requièrent la production d'une alimentation de qualité en quantité suffisante pour les Européens et le monde entier. Il n'est donc pas envisageable de se ranger à une vision décroissante de notre agriculture !
Dès le printemps 2020, dans le contexte de la crise sanitaire, certains acteurs du débat public soulevaient des inquiétudes et des objections. La Commission européenne les a ignorées, donnant priorité à l'exemplarité de l'Union en matière climatique afin d'entraîner la communauté internationale, alors même que la part de l'UE dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre est seulement de 8 %.
Depuis, plusieurs études universitaires indépendantes, celles des universités de Kiel et de Wageningen en particulier, ainsi qu'une étude partielle réalisée par le propre centre de recherche de la Commission européenne, ont estimé que la mise en oeuvre des deux stratégies précitées exposerait l'Union européenne à un risque avéré de diminution de sa production agricole dans des proportions de 5 % à 20 % d'ici à 2030, voire davantage, suivant les filières et les scénarios étudiés.
La chute attendue des rendements s'ajoute à la réduction des surfaces cultivées et du volume des récoltes, le tout entraînant une diminution des revenus des producteurs. Il s'en suivrait également un fort recul des exportations européennes et surtout un développement des importations venant se substituer aux productions domestiques, devenues trop chères pour nombre de consommateurs. Il s'agirait d'un remplacement inédit de denrées produites selon le plus haut standard environnemental du monde par des productions importées, transportées sur des centaines de kilomètres, ne respectant pas nos normes exigeantes.
En outre, un déclin de la production agricole du continent mettrait à mal notre autonomie stratégique, notre indépendance alimentaire et notre capacité à nourrir les autres continents, alors même que, dans un monde incertain, l'alimentation est facteur de paix et de stabilité.
Le Gouvernement semble enfin en prendre conscience. Ainsi, la presse a publié avant-hier une note des autorités françaises, en date du 9 janvier 2023, sur les contours d'une stratégie made in Europe restant à définir. Ce document appelle les institutions européennes à renforcer la souveraineté économique de l'Union en réponse à l'Inflation Reduction Act, récemment voté par le Congrès des États-Unis. Le secteur de l'agroalimentaire s'y trouve fort opportunément mentionné parmi les leviers prioritaires destinés à soutenir les secteurs stratégiques européens. Pourtant, au-delà de cette mention bienvenue, la note des autorités françaises n'explicite pas le contenu de la stratégie agroalimentaire souhaitée. Elle se limite à l'affichage d'ambitions dénuées de moyens adaptés.
Malgré la covid et la guerre en Ukraine, la Commission européenne n'a donc pas changé de stratégie. Tout au plus a-t-elle rendu possible, simplement pour l'année 2022 et pour l'année 2023, des dérogations exceptionnelles et temporaires aux règles applicables en matière de rotation des cultures et de jachère dans le cadre de la nouvelle PAC, et encore à l'exception du maïs et du soja. Les conséquences de ces mesures ont été chiffrées, dans le seul cas de l'Allemagne, à 600 000 hectares remis en culture, permettant une production de blé supplémentaire de l'ordre de 3 millions de tonnes. C'est peu au regard des enjeux !
Le maintien du statu quo sur le volet agricole du Green Deal apparaît difficilement justifiable et même incompréhensible au regard des circonstances. En dernière analyse, l'absence de réorientation de la stratégie agricole européenne en dépit de la guerre en Ukraine semble s'expliquer, au sein du collège des commissaires, par une opposition de principe dont la constance amène à s'interroger sur sa nature idéologique.
Mes chers collègues, vous l'avez constaté : dans le domaine agricole, nous n'avons pas été entendus depuis 2017 et les parlementaires nationaux que nous sommes peuvent avoir le sentiment de crier dans le désert ! Pourtant, nous ne pouvons pas baisser les bras, et nous n'en avons d'ailleurs moralement pas le droit à l'égard de nos concitoyens. Je choisis donc de conclure cette communication sur une note optimiste, tout en dressant des perspectives de réflexion et d'action pour prochaines années.
Les faits sont têtus. La divergence que nous constatons avec les orientations défendues par le Sénat n'est peut-être pas définitive. L'expérience des derniers développements de la crise énergétique montre, en effet, que la Commission européenne, sous la pression des évènements, peut envisager finalement de rouvrir des questions longtemps considérées comme taboues, comme elle le fait face à la flambée des prix de l'électricité et du gaz. En matière agricole également, les impératifs de souveraineté et de sécurité de l'approvisionnement des consommateurs ne manqueront pas, tôt ou tard, de s'imposer, offrant alors des perspectives d'action plus favorables aux parlementaires français.
En définitive, nous devons rester extrêmement vigilants sur le volet agricole du Green Deal, par exemple en continuant à réclamer à la Commission européenne, à chaque occasion qui se présente, l'étude d'impact qu'elle n'a jamais publiée ! De la même façon, il nous faudra rester extrêmement combatifs sur le budget de la PAC, pour obtenir la revalorisation du CFP à hauteur de l'inflation.
Par là même, le Sénat honorera sa mission institutionnelle, et répondra aux attentes de nos concitoyens.
Je ne suis pas convaincue que nous ferons machine arrière. Les agriculteurs font énormément de progrès en matière environnementale mais le modèle économique du bio ne fonctionne pas. En ce domaine, il faut surtout accompagner la recherche.
La mise en oeuvre de la PAC, revenue aux États membres, est une catastrophe : la distorsion de concurrence est évidente, puisque nous n'avons pas tous les mêmes budgets. Or l'agriculture est aussi un facteur de paix, comme le montrent les tensions depuis du début de la guerre en Ukraine. Le Gouvernement doit ouvrir les yeux, car la France a beaucoup perdu. C'est dommage pour l'Union européenne comme pour notre pays, et c'est inquiétant : faut-il attendre guerre, inflation et problèmes énergétiques pour voir les choses en face ? La Commission ne descend pas sur le terrain !
Après avoir élaboré une proposition de résolution européenne (PPRE), nous avons prévu de proposer sur le paquet « Fit for 55 » un travail de suivi de ce qui a été mis en oeuvre. Le format ne sera peut-être pas celui, ambitieux, requis par la réunion de trois commissions comme cela a été le cas pour la PPRE, mais pourrait être restreint à notre commission.
Les autres commissions travaillent aussi sur ce suivi. Nous pourrons nous retrouver ensemble après avoir travaillé chacun de notre côté.
Nous pourrions aussi demander une audition du commissaire à l'agriculture. Un travail sur le cadre financier pluriannuel a été annoncé par Roberta Metsola, présidente du Parlement européen : nous pourrons répéter à cette occasion les messages du Sénat.
L'enjeu environnemental est important. Le monde agricole en est conscient, tant il est directement touché. Le coût des pesticides est d'ailleurs très élevé, surtout avec l'inflation : si les agriculteurs peuvent en utiliser moins, ils le feront. Il faut laisser du temps à l'expérimentation des produits de substitution, non sur un mois, mais sur deux ans, le temps de planter, semer, récolter...
Au moment du salon de l'agriculture, les agriculteurs nous avaient parlé de la problématique des intrants, non pas en termes de prix, mais de réel manque.
Pour poursuivre la discussion que nous avions hier avec l'ambassadeur de Suède, ce dernier nous a indiqué que, près de Kiruna, au nord de la Suède, se trouve un gisement de phosphate dont l'extraction et la transformation permettraient de répondre à 20 % des besoins de l'Union européenne en la matière. C'est un enjeu de souveraineté.
D'ailleurs, la même question se pose en matière de souveraineté alimentaire. L'objectif initial de la PAC consistait à assurer notre autonomie alimentaire. Jacques-René Rabier, ancien directeur de cabinet de Jean Monnet, m'avait expliqué que la PAC était un faux-semblant, qui encouragerait la France à signer le traité de Rome de 1957. C'était le seul moyen pour notre pays de mettre en place l'indispensable réforme agricole qu'il n'avait pas réussi à instaurer, en plein mouvement poujadiste. Ce n'est qu'ensuite que le libre-échange est devenu un impératif pour la construction de l'Union européenne. À cet égard, je m'inquiète des conséquences sur notre production de l'accord commercial entre l'Union européenne et le Chili, qui est l'un des plus gros producteurs de tomates au monde.
Le contexte géopolitique actuel doit nous faire réfléchir sur l'autonomie alimentaire de l'Union européenne. La question agricole ne doit pas être la variable d'ajustement des traités de libre-échange. Il faut traiter le problème dans son ensemble.
On observe également un manque de cohérence dans l'application des normes agricoles au sein des pays de l'Union européenne. La réglementation interdit d'utiliser un certain nombre d'intrants en France, qui sont pourtant autorisés en Pologne. Résultat : le coût de la production des tomates n'est plus acceptable en France, et nous importons des tomates polonaises, dont les taux d'intrants sont interdits dans notre pays !
Environ 80 % du concentré de tomates est produit en Chine dans le Xinjiang, selon l'enquête menée par Jean-Baptiste Malet dans L'Empire de l'or rouge. Il est ensuite envoyé en Italie, dilué et revendu comme concentré de tomates, et je n'évoque pas le travail forcé, le taux des intrants et des produits chimiques, ou encore le coût écologique du transport... Voilà ce qui a tué les producteurs français et européens !
L'enjeu est non pas seulement de verdir la PAC, mais également de repenser intelligemment le dispositif.
Je vous remercie de votre présence et de notre discussion.
La réunion est close à 11 h 15.