Intervention de Philippe Bouyoux

Commission d'enquête Pénurie de médicaments — Réunion du 28 février 2023 à 9h00
Audition de Mm. Philippe Bouyoux président et jean-patrick sales vice-président pour le médicament du comité économique des produits de santé

Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé :

Je vous remercie, Madame la Présidente. Vous avez vous-même introduit ce qu'est le CEPS. J'essaierai de me concentrer sur des points complémentaires. Si vous le permettez, je pensais vous donner des éléments de nature générale sur le CPES d'abord, et faire un bref inventaire des leviers dont nous disposons face à un risque de pénurie ensuite.

Concernant le CEPS, vous en avez fait la présentation institutionnelle. La conséquence de ce que vous venez d'exposer est que nous avons un double prisme par rapport à ces situations de pénurie. D'une part, nous sommes en charge des questions de prix (tarification en première inscription ou de régulation). D'autre part, nous conduisons une politique conventionnelle.

Nos objectifs sont ceux de la politique générale de santé : l'accès au soin, la maîtrise de la dépense et l'attractivité du territoire. Pour chacun de ces objectifs, nous avons un levier : le prix. Il nous permet d'apporter une contribution à l'atteinte de ces objectifs, mais ne peut être le seul levier de ces politiques. Par exemple, concernant l'attractivité du territoire, d'autres leviers ont trait à la qualité des écosystèmes de santé et d'innovation, et plus généralement à la politique d'attractivité (crédit impôt recherche, plan France 2030, politique de cluster, etc.).

Par ailleurs, le CEPS est un lieu de politique conventionnelle. Nous négocions d'abord des règles du jeu, ce que nous appelons « l'accord-cadre ». Le dernier a été signé en 2021. Nous négocions ensuite produit par produit.

Notre action est encadrée par différents textes. Au niveau législatif et réglementaire, nous respectons des critères déterminant les niveaux de prix qui doivent être recherchés. Ils sont hiérarchisés.

Le premier d'entre eux a trait à la valeur thérapeutique et à l'apport d'un produit donné, tels qu'ils peuvent être définis par l'ASMR (amélioration du service médical rendu) qui lui est attribué par la commission de transparence de la HAS (Haute autorité de santé). Ce niveau d'ASMR découle d'une analyse scientifique. Le CEPS, lui, n'est pas un comité de nature scientifique. Il est important que les laboratoires comprennent que nous ne pouvons pas revenir sur les niveaux d'ASMR qui leur ont été attribués.

Le deuxième critère est celui des orientations ministérielles qui nous sont adressées par les ministres en charge des comptes publics, de la santé et de l'industrie. La dernière lettre d'orientation ministérielle date de début 2021.

Vient ensuite l'accord-cadre négocié avec les représentants des entreprises, qui fixe les règles du jeu pour la mise en oeuvre pratique des critères législatifs. Il nous permet notamment d'accorder des avantages conventionnels, par exemple d'attribuer une stabilité de prix différenciée suivant le niveau d'ASMR du médicament ou des durées de stabilité sur la base d'investissements réalisés en Europe, et notamment en France. L'idée est de ne pas avoir à réinventer les règles de la négociation à chaque nouveau produit.

Le dernier niveau qui encadre notre action est ce que nous appelons « la doctrine ». En effet, il est nécessaire de traiter des sujets qui n'ont pas été couverts par les niveaux législatif et réglementaire. La pratique du comité est consignée dans ses rapports annuels, ce qui constitue notre doctrine.

Vous avez mentionné la dimension interministérielle du CEPS. Ce comité rassemble trois organismes payeurs (la caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), l'union nationale des organismes complémentaires d'assurance maladie et la direction de la Sécurité sociale, qui possèdent cinq voix) et trois directions qui possèdent une voix chacune (la DGS (Direction générale de la santé), la Direction générale (DGE) des entreprises et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)). Le vice-président et le président ont également une voix chacun, à utiliser en cas d'égalité.

Nous examinons environ 700 dossiers par an, dont 400 médicaments non génériques. Certains sont plus rapides à traiter que d'autres, car la fixation du prix des produits génériques est très encadrée. À chaque instant, nous avons au moins 50 négociations en cours, à des stades divers. Outre les médicaments, nous traitons également des dispositifs médicaux.

Je voudrais maintenant balayer les principaux leviers dont nous disposons pour agir sur les risques de pénuries. La lettre d'orientation ministérielle de 2021 fixe certains principes généraux. Après avoir rappelé que notre mission s'inscrivait dans une politique générale de santé publique et d'économie de la santé, elle précise que la mission principale est de permettre l'accès aux soins dans les meilleures conditions, ce qui peut être différent pour les thérapies innovantes et pour les produits plus anciens à l'efficacité avérée. Pour les thérapies innovantes, nous devons veiller à ce que leur apport nouveau soit justement rémunéré sur notre territoire. Pour ce qui est des médicaments plus anciens à l'efficacité avérée, il nous est demandé de veiller à la pérennité de leur disponibilité sur notre territoire.

Il nous est aussi demandé d'avoir un souci constant de permettre au système de soins de bénéficier d'une offre diversifiée, et il nous est indiqué que les empreintes industrielles en France sont un atout dès lors qu'elles permettent de sécuriser la disponibilité des produits aux meilleures conditions et dans la durée. C'est la première fois que les questions de sécurité d'approvisionnement figurent explicitement dans une lettre d'orientation ministérielle adressée au CEPS.

Nous avons reçu ces instructions alors que nous étions encore en négociation de l'accord-cadre, et nous avons tenté, dans la mesure du possible, de les y transférer. Premièrement, nous pouvons accorder des avantages conventionnels aux médicaments résultant d'investissements en Europe, et notamment en France, sous la forme d'une stabilité de prix ou de crédits dans le cadre du conseil stratégique des industries de santé (CSIS). Deuxièmement, un article plus spécifique explique dans quelles conditions nous pouvons accorder des hausses de prix si nous sommes confrontés à un risque de retrait du produit par l'exploitant. Il s'agit des articles 27, 28 et 29 de l'accord-cadre de 2021.

Depuis cet accord, des dispositions nouvelles ont été mises en place. L'article 65 de la LFSS 2022 modifie la liste des critères législatifs sur lesquels nous fondons notre action en ajoutant le critère industriel. Nous avons pris le temps de mettre au point le mode opératoire d'application de cet article, et nous commençons maintenant à présenter la façon dont nous allons l'appliquer. Par ailleurs, l'article 28 de l'accord-cadre, autorisant les hausses de prix face au risque de retrait d'un médicament, a vu son champ élargi en termes d'éligibilité et de mise en oeuvre. Un travail est également en cours pour constituer une liste de produits critiques, à la fois sur le plan sanitaire et stratégique, en croisant une approche définissant les produits essentiels en termes de santé et une appréciation de la vulnérabilité de la chaîne de valeur. Nous devrons l'intégrer à notre boîte à outils. Enfin, les annonces récentes des ministres concernant les produits génériques seront bientôt mises en oeuvre. Nous nous appuierons pour cela sur les différents articles que je viens d'évoquer.

En résumé, nous avons des dispositions pour reconnaître les investissements et attribuer des avantages conventionnels, pour pratiquer d'éventuelles hausses de prix face à des risques de retrait. Nous avons ensuite la déclinaison d'un article de la LFSS qui nous conduit à valoriser dès la fixation du prix la sécurité d'approvisionnement que peut garantir l'implantation des sites de production.

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