Intervention de Philippe Bouyoux

Commission d'enquête Pénurie de médicaments — Réunion du 28 février 2023 à 9h00
Audition de Mm. Philippe Bouyoux président et jean-patrick sales vice-président pour le médicament du comité économique des produits de santé

Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé :

Vous nous avez demandé comment nous traduisions les objectifs qui nous sont fixés par la LFSS, notamment en matière de baisses de prix, sachant que nous intervenons à la fois sur la fixation des prix et la maîtrise de la dépense. Effectivement, nous effectuons de la tarification en primo-inscription d'un nouveau produit ou pour une nouvelle indication d'un produit donné. A ce stade, nous nous inscrivons dans une logique de produit par produit. La loi nous demande de fixer les prix par rapport aux critères législatifs que j'ai indiqués, le premier étant l'amélioration du service médical rendu ; il y a également d'autres critères, notamment le nouveau critère industriel. Dans cette action-là, sur un produit donné, nous ne nous posons pas la question de l'impact macro-économique. Nous sommes vigilants lorsqu'un produit est extrêmement cher, mais nous ne sommes pas dans du pilotage produit par produit d'un objectif macro-économique. A ce stade, nous veillons à favoriser l'accès aux soins en ne surpayant pas un produit. Nous négocions sans complaisance avec les laboratoires, sur la base des critères légaux et de leur déclinaison dans l'accord-cadre.

Vient ensuite l'exercice de régulation, d'après les objectifs chiffrés qui nous sont donnés par le gouvernement une fois par an. Ainsi, pour 2023, nous devons réaliser 800 millions d'euros d'économies sous forme de baisses de prix. Ce montant a été déterminé par d'autres que nous, à la fois en termes d'analyse technique et de choix politique. L'analyse technique est contenue dans la LFSS et est produite notamment par la Direction de la Sécurité sociale. Le choix politique incombe au Parlement. L'idée, à ce moment-là, est de regarder quel est le montant d'économies nécessaire pour ramener une croissance de la dépense - qui s'effectue suivant une intendance spontanée - au niveau d'une trajectoire déterminée par choix politique par le Parlement, sur proposition du gouvernement. Sur la période 2022-2024, l'objectif qui avait été retenu est un taux de croissance annuel moyen pour les produits de santé de 2,4 % par an. Une fois cette tendance déterminée, un calcul macro-économique permet de déterminer combien il manque pour revenir sur la trajectoire.

Nous formulons notre contribution à cet exercice en juillet. À ce moment-là, nous identifions des classes de produits sur lesquels pourra porter l'effort demandé, d'après l'ancienneté des produits, la dynamique de leur dépense et la date de leur dernière baisse de prix. Nous en informons alors le comité de pilotage de la politique conventionnelle (CPPC), qui se réunit en juillet. A ce stade, nous n'avons pas encore d'objectifs chiffrés, mais nous commençons à regarder ce qui est réalisable à travers la politique conventionnelle, médicament par médicament ou laboratoire par laboratoire. Cette contribution est traditionnellement envoyée aux cabinets ministériels et aux membres du comité économique, qui peuvent l'adresser à leurs autorités de tutelle. Il s'agit d'un travail technique préparatoire que nous ne communiquons pas aux laboratoires.

Le dispositif de régulation prévoit, au-delà de ce montant de baisse arrêté par le gouvernement et proposé au Parlement, un mécanisme de régulation supplémentaire si nous nous apercevons que, malgré les baisses, nous n'atteignons pas la trajectoire. C'est ce que nous appelons la clause de sauvegarde, qui est censée intervenir en cas de réalisation d'un aléa sur la production. Dans ce cas-là se déclenche une demande de contribution adressée aux différents laboratoires en fonction de leur chiffre d'affaires et de leur contribution à la croissance. Cela constitue un deuxième niveau de régulation, d'ordre légal.

Nous préférons cependant la régulation conventionnelle, parce que nous avons la possibilité de faire du « sur-mesure ». Lorsque nous avons un objectif donné 800 millions d'euros cette année nous contactons dès le mois d'août tous les laboratoires pharmaceutiques qui peuvent être concernés. Nous leur présentons les objectifs et les classes de produits sur lesquelles nous envisageons de demander des baisses. Nous entrons alors dans la négociation. Les demandes sont justifiées par l'appartenance d'un produit à une certaine classe, son absence de régulation depuis un certain temps, l'existence de produits concurrents, etc. Le laboratoire répond en nous présentant ses échéances, ses perspectives de croissance, etc. Nous essayons d'atteindre l'objectif qui nous est donné de la façon la plus intelligente possible, en prenant le plus possible en compte les circonstances particulières du médicament et du laboratoire.

Cet exercice est difficile, parce que les montants sont considérables et parce que la clause de sauvegarde intervient maintenant depuis plusieurs années consécutives et sur des montants désormais assez importants. Ils atteignent aujourd'hui le même ordre de grandeur que les économies que nous demandons aux entreprises. Cela signifie que la régulation sera beaucoup plus importante que le chiffre annoncé : les 800 millions, associés aux 700 millions d'euros de clause de sauvegarde, donnent un total de 1,5 milliard d'euros. Cela nous pose une difficulté supplémentaire sur le plan de la politique conventionnelle, car il est important que les entreprises aient un intérêt à trouver un accord avec nous. Or, lorsque nous demandons à un laboratoire de faire, par exemple, 10 % d'économies, le laboratoire nous objecte que la clause de sauvegarde représentera un montant équivalent. Le fait que les ordres de grandeur des régulations conventionnelle et législative soient proches est une difficulté en soi du point de vue de l'incitation des laboratoires à jouer le jeu de la politique conventionnelle.

À cela s'ajoute une difficulté supplémentaire. Pendant des années, l'objectif qui nous était fixé reposait sur la logique suivante : la baisse de prix sur les produits anciens permettra de financer des produits nouveaux et plus coûteux. Or la réalité est plus compliquée : au-delà de la volonté de financer l'arrivée de produits innovants, nous avons des objectifs de sécurité d'approvisionnement et de préservation de la fabrication en France pour des produits matures et anciens. La question de l'assiette sur laquelle reposent les baisses de prix se pose. Quelles doivent être les cibles privilégiées, si nous ne voulons ni faire baisser tout de suite les prix des produits innovants ni trop baisser ceux des produits anciens pour que leur fabrication reste en France ?

C'est dans ce cadre que s'inscrit le débat sur le prix des produits génériques, sur lesquels un moratoire vient d'être décidé. Les fabricants de produits génériques indiquent que, par leur seule existence, ils apportent des économies. Ils se plaignent donc d'être soumis à une régulation, particulièrement cette année dans le contexte de la hausse des coûts, considérant que leurs marges sont extrêmement faibles.

Les baisses de prix concernant les génériques sont beaucoup plus encadrées que les autres. Nous observons l'évolution de la substitution des produits princeps par des génériques. Nous organisons deux comités annuels de suivi des génériques dans lesquels nous avançons des baisses de prix sur tel ou tel groupe de génériques. Cette année, les acteurs du secteur n'ont pas souhaité participer à la discussion, parce qu'ils s'y opposent frontalement. Nous avions pourtant bien conscience de la situation conjoncturelle. Nos comités se sont tout de même tenus, et des annonces ont été effectuées lors du comité de pilotage auquel vous avez fait référence, décidant d'un moratoire sur les baisses de prix. Sept groupes de produits génériques étaient sur la table des négociations pour une baisse potentielle. Il y a maintenant un moratoire sur ces groupes, et nous reprendrons la discussion lorsque nous disposerons de la liste des produits critiques.

Vous avez ensuite évoqué le fait que nous puissions être pris entre les directives gouvernementales et les laboratoires et avez évoqué les questions de transparence. Vous avez cité un exemple assez connu, et effectivement spectaculaire. Toutefois, vous avez simplement pointé la différence entre un coût de production et un prix revendiqué par le laboratoire pour le produit. C'est une information effectivement importante, mais pour nous elle relève plus du contexte que de la façon opérationnelle dont nous fixons le prix d'un produit, puisque nous nous référons aux critères législatifs, à commencer par l'ASMR. Lorsque nous devons fixer le prix d'un produit, nous commençons par lire les avis de la HAS, voir quels sont les comparateurs et étudier les produits sur le marché. Cette discussion est très complexe, parce que le nombre de comparateurs cliniquement pertinents varie de zéro à une multitude. Lorsque nous ne trouvons pas de comparaison, nous recherchons un comparateur économiquement pertinent. Une bonne partie de la négociation consiste à déterminer un coût de référence, et c'est par rapport à ce coût de référence que nous appliquons une majoration ou une minoration. Nous ne rencontrons pas le coût de production à ce stade, sauf s'il y a un problème, par exemple lorsqu'un laboratoire indique que le prix que nous lui proposons ne lui permet pas de couvrir ses coûts de production. Dans le cas des produits très onéreux, les laboratoires ne nous détaillent pas leurs coûts de production.

Par ailleurs, une tendance récente nous interpelle. De plus en plus, les laboratoires, sur des produits innovants et onéreux, arrivent avec une recommandation de prix mondial, c'est-à-dire leur prix cible aux Etats-Unis. Dans ces cas-là, nous ne prenons pas ce prix pour argent comptant, mais nous appliquons la procédure habituelle en regardant à quoi le produit est comparable et en décidant si nous le valorisons ou le minorons de 5% ou 10 %.

Les négociations sont complexes et peuvent durer longtemps, d'autant plus qu'il peut y avoir une multiplicité d'extensions d'indications pour ces produits. Nous devons donc tarifer le produit indication par indication, en fonction de la valeur thérapeutique. Or, d'une indication à l'autre, les comparateurs ne sont pas forcément les mêmes, ni les coûts de traitement. Je ne sais pas comment nous pourrions insérer dans cette négociation le coût de production, a priori uniforme, quelle que soit l'indication.

Pour autant, pour des raisons de transparence, il est effectivement bien d'avoir une idée du coût de production. Cette question intervient lorsque les laboratoires nous objectent que les coûts de production sont tels qu'ils ne pourront plus commercialiser leur produit. Dans ce cas, l'article 28 de l'accord-cadre s'applique. Nous demandons alors aux entreprises de documenter très précisément les coûts et, surtout, leurs évolutions. Nous étudions en premier lieu l'évolution du coût des matières premières, qui est le facteur le plus évident. Nous regardons alors si nous pouvons nous passer de ce produit ; lorsque les alternatives sont nombreuses, peu nous importe que ce laboratoire soit viable ou non. Lorsque nous demandons aux entreprises de documenter leurs coûts, elles nous présentent leur prix de revient industriel (PRI). Cela nous fournit un élément de contexte très important, mais ce n'est pas à partir de cela que nous prenons notre décision car, derrière le PRI, il y a le taux de marge. Certains laboratoires peuvent nous objecter que le taux de marge est insuffisant, mais nous considérons que nous ne sommes pas légitimes pour nous prononcer sur cette question. Nous ne pouvons pas entrer dans ce raisonnement. Nous examinons seulement quel problème fait qu'un produit qui était viable ne le serait plus du point de vue des coûts de production. Le coût global est toutefois un élément de contexte important et, quand une entreprise nous annonce que ses marges deviendraient négatives, nous regardons la question de près.

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