Intervention de Jérôme Salomon

Commission d'enquête Pénurie de médicaments — Réunion du 28 février 2023 à 13h30
Audition de M. Jérôme Salomon directeur général de la santé

Jérôme Salomon :

Je commence par préciser un point important. Nous avons cité les deux pénuries récentes qui ont été fortement médiatisées, de façon légitime puisqu'il s'agit de deux molécules auxquelles nos concitoyens sont extrêmement attachés, l'amoxicilline et le paracétamol. La situation s'améliore. Il est important de le signaler. La situation s'améliore nettement sur le front de l'amoxicilline. Elle est presque normalisée sur le front du paracétamol. Il est frappant de constater que, du point de vue des habitudes de prescription et des habitudes de « consommation », les Français sont attachés à un certain nombre de molécules. Nous devons y être attentifs. Nous devons également être attentifs aux particularités internationales. Les pratiques sont différentes en effet chez nos voisins ou aux États-Unis.

Avons-nous été victimes d'un défaut d'anticipation ? Nous avons traversé une pandémie sans précédent. Le fait de subir trois épidémies simultanément était quasiment inédit en France. Les conséquences de la pandémie sur la production industrielle intervenues parallèlement ont probablement conduit à la situation extrêmement tendue enregistrée notamment à l'automne.

Nous essayons d'anticiper. La DGS et l'ANSM ont la volonté absolue de disposer du plus grand nombre d'informations en amont. Concernant l'anticipation par les professionnels, nous sommes en contact avec eux de façon permanente. Nous tenons donc compte de l'ensemble des signaux émis, tant par les professionnels de santé de ville que par les professionnels de santé hospitaliers. Je saisis l'occasion pour évoquer nos collègues en charge des préparations magistrales. Il s'agit d'une spécificité française que de posséder une quarantaine d'officines capables de les fabriquer. Elles se sont révélées extrêmement utiles. Certes, la contrainte est particulière. L'investissement de la part des pharmaciens est significatif. Il s'agit cependant d'une force dans la crise d'avoir mis en avant à la fois les préparations hospitalières spéciales et les préparations magistrales par des officines de ville. Ces dernières ont permis de produire de façon considérable les médicaments dont les Français avaient besoin. Je salue les pharmaciens d'officine.

Concernant les conséquences, il est important de rappeler que la consommation d'antibiotiques est liée à la croissance des résistances. S'agissant des pertes de chance pour les patients, le phénomène évidemment nous préoccupe. Nous tentons de le mesurer. La mesure est néanmoins complexe pour plusieurs raisons. En premier lieu, les absences totales de traitement sont relativement rares. En revanche, nous souhaitons que les patients et les professionnels de santé nous signalent ces pertes de chance. Des travaux ont déjà été réalisés, en particulier par des sociétés savantes dans le champ du cancer. Je souhaite rappeler deux points. Tout d'abord, tout effet indésirable grave en France peut être déclaré par l'ensemble des Français. Il existe un portail de signalement dédié, qui bascule ensuite vers l'ANSM. En outre, les académies, en particulier l'académie de pharmacie, sont mobilisées sur le recueil d'événements indésirables graves. Certains CHU ont également mené des travaux. La Ligue contre le cancer, de son côté, a examiné les conséquences sur la survie du patient lorsqu'il était difficile de se fournir certains médicaments. Le dispositif de suivi permanent de l'état de la population fait par conséquent partie de nos enjeux, selon l'approche de pharmacovigilance de l'ANSM, mais également selon une approche de santé publique. Cette dernière peut être portée par Santé publique France sur le champ de l'évolution de la résistance aux antibiotiques ou par l'Institut du cancer en cas de difficulté de prise en charge.

Je saisis l'occasion pour rappeler que la France est l'un des plus importants consommateurs d'antibiotiques. Les prescriptions et l'adhésion du patient à son traitement doivent être parfaites. Je salue le rôle des médecins prescripteurs et des pharmaciens dans le domaine.

S'agissant de la polémique sur les prix, votre question recouvre deux aspects. Un premier sujet concerne le prix des médicaments matures qui serait trop faible. Une seconde question porte sur le prix réel de l'innovation. Sur ces deux questions, la Première ministre a lancé une mission il y a quelques jours. Nous serons attentifs à ses conclusions. Ma position de DGS est particulière. Il est extrêmement difficile de savoir à quoi correspond le prix de l'innovation. Un article, publié dans le British Medical Journal il y a quelques jours, nous interroge collectivement sur la construction du prix de l'innovation. Ce travail de recherche reprend l'histoire des grandes entreprises pharmaceutiques. Il s'interroge sur le fait que le prix de l'innovation recouvre objectivement d'autres dépenses que celles consacrées à la recherche et à l'innovation. En outre, la question se pose des avantages cliniques et thérapeutiques qu'apporte l'innovation. Les innovations peuvent être extrêmement intéressantes sur le plan médical sans nécessairement être coûteuses.

Une réponse partielle aux enjeux du prix du médicament passe par l'Europe. Nous avons fortement encouragé le partage d'informations au niveau européen. De nombreux groupes de travail ont eu lieu. La DGS soutient la mise en oeuvre d'un règlement pour renforcer le rôle de l'Agence européenne du médicament. Nous sommes ambitieux pour cette agence.

Il existe, de surcroît, une nouvelle agence de réponse aux crises, l'autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire, HERA, directement rattachée à la commissaire Santé de l'Union européenne. Le DGS et le DGE participent aux boards d'HERA. Nous pesons pour disposer de mesures incitatives optionnelles permettant à cette agence de stimuler la mise sur le marché de molécules. Nous sommes très impliqués dans ces travaux. Nous avons également poussé pour que, sur la base du volontariat, des États membres puissent procéder à des achats et des négociations de prix conjoints. Enfin, sur la fixation des prix, qui n'entre pas dans le champ de compétences de l'Union européenne, nous menons une réflexion sur une cartographie commune, sur une réponse aux crises, sur le renforcement du cadre de lutte et sur la place d'HERA pour acquérir des stocks donnant des capacités de réponse en situation de crise, notamment dans le champ des antimicrobiens.

La réponse est donc européenne. La DGS est en première ligne dans l'évolution du paysage européen.

Vous avez évoqué, par ailleurs, le modèle français dans le champ des produits sanguins labiles et des médicaments dérivés du sang. Je distingue ces deux sujets. Les produits sanguins labiles présentent un enjeu d'autosuffisance pour nos concitoyens. Il s'agit de disposer de poches de sang en cas de besoin. Les donneurs, en France, vieillissent. Nous devons mobiliser de nouveaux donneurs. Je remercie celles et ceux qui se mobilisent pour donner leur sang. De son côté, le LFB se voit fournir le plasma par l'EFS. Ce producteur est impliqué dans la production de médicaments dérivés du sang sur un marché mondialisé. Une mission d'inspection est en cours sur la chaîne constituée de l'EFS et du LFB pour s'assurer que le modèle français solidaire est maintenu. La question du marché des médicaments dérivés du sang, quant à elle, constitue un enjeu de concurrence européenne et mondiale auquel nous sommes attentifs. En revanche, nous ne sommes pas dans l'autosuffisance des médicaments dérivés du sang, le marché étant mondialisé. Nous faisons appel à des importations le cas échéant.

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