Commission d'enquête Pénurie de médicaments

Réunion du 28 février 2023 à 13h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Sonia de La Provôté

Monsieur le Directeur général, je vous remercie de votre présence aujourd'hui dans le cadre des travaux de la commission d'enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française. Nous avons en effet lié la question du médicament, y compris ancien, avec celle du médicament issu de l'innovation. Des questions de coûts entrent notamment en ligne de compte. Ces deux aspects de la prise en charge thérapeutique sont ainsi liés.

Vous êtes accompagné de madame Hélène Monasse, sous-directrice de la politique des produits de santé, de la qualité des pratiques et des soins, et de monsieur François Bruneaux, adjoint à la sous-directrice, que je remercie de leur présence parmi nous.

En application du code de la santé publique, la direction générale de la santé (DGS) est notamment chargée de l'élaboration des objectifs et priorités de la politique de santé publique (elle a été largement mise à contribution ces dernières années de ce point de vue), des politiques relatives aux droits des personnes malades et des usagers du système de santé. Elle veille, en outre, à la qualité et à la sécurité des soins, des pratiques professionnelles, des recherches biomédicales comme des produits de santé.

Dans ce cadre, la DGS contribue à garantir l'accès des patients aux innovations thérapeutiques (c'est une des raisons pour lesquelles nous traitons cette question) et prépare, conjointement avec la direction de la sécurité sociale, les décisions permettant leur prise en charge par l'assurance maladie. Elle participe, plus largement, à la définition de la politique du médicament, sur laquelle nous avons pu voir, depuis le début de nos auditions, que de multiples acteurs institutionnels intervenaient.

Aussi la DGS a-t-elle participé, ces dernières années, à la préparation et au suivi des principales mesures législatives prises pour enrayer les difficultés croissantes d'approvisionnement, telles que l'obligation faite aux industriels de constituer des stocks de sécurité et d'établir, pour chacun des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur qu'ils exploitent, un plan de gestion des pénuries (notamment un système d'alerte, déjà préconisé il y a quelques années, sur lequel nous réfléchissons également). La DGS a en outre contribué à l'élaboration et au suivi de la feuille de route 2019-2022 de lutte contre les pénuries de médicaments.

C'est pourquoi votre audition par la commission d'enquête nous a paru particulièrement importante. Alors que le nombre de médicaments en rupture ou en tension ne cesse d'augmenter, la mission d'information du Sénat, à l'été 2018, avait montré qu'environ 700 médicaments étaient en pénurie réelle, chiffre qui a triplé depuis lors), nous souhaiterions que vous puissiez dresser dans une brève présentation introductive un bilan des mesures prises ces dernières années et un panorama de la situation actuelle, en abordant à la fois questions structurelles et questions conjoncturelles, puisque nous vivons également une conjoncture sanitaire particulière. Quels sont les principaux médicaments touchés par les phénomènes de pénurie ? Pourquoi les mesures prises s'avèrent-elles insuffisantes pour enrayer ces difficultés ? Comment peuvent-elles être renforcées ? Quelles sont concrètement les conséquences de ces difficultés sur la prise en charge des patients, leurs conditions de vie et leur pronostic ?

Je passerai ensuite la parole à Laurence Cohen, rapporteure de la commission d'enquête.

Je précise que cette audition est diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de vous passer la parole, Monsieur le directeur général, Madame, Monsieur, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Hélène Monasse et MM. Jérôme Salomon et FrançoisBruneaux prêtent serment.

Debut de section - PermalienPhoto de Sonia de La Provôté

Je vous remercie. Monsieur le Directeur général, vous avez la parole.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon

Les enjeux d'accès aux médicaments sont cruciaux dans le monde et en Europe. En France, ils sont au coeur des politiques de santé publique et de sécurité sanitaire, de réponse aux besoins de la population et des patients, des attentes des professionnels de santé, des enjeux de recherche et d'innovation, mobilisant l'ensemble des acteurs de la chaîne du médicament, des industriels jusqu'aux patients en passant par les grossistes répartiteurs et les 21 000 officines présentes sur le territoire national.

L'anticipation et la prévention des risques de pénuries de médicaments est une priorité du ministère chargé de la Santé depuis plusieurs années, évidemment suivie en temps réel. Il s'agit d'un sujet majeur, évolutif, complexe, d'origine multifactorielle, d'ampleur internationale, qui nous mobilise au quotidien.

Permettez-moi d'abord quelques rappels. La pénurie, traduction du terme américain « shortage », est un terme générique. Il n'apparaît dans le code de santé publique que pour désigner les « plans de gestion de pénuries ».

La tension d'approvisionnement n'est pas définie en tant que telle dans les textes. Elle signifie que les stocks de médicaments sont disponibles, mais que les quantités sont insuffisantes pour couvrir les besoins, cette situation pouvant aboutir à une rupture.

Nous distinguons les ruptures de stock des ruptures d'approvisionnement, qui sont codifiées et encadrées par les textes.

La rupture d'approvisionnement est définie à l'article R.5124-49-1 du code de la santé publique comme l'incapacité pour une pharmacie d'officine ou une pharmacie à usage intérieur de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures, après avoir effectué une demande d'approvisionnement auprès de deux entreprises exerçant une activité de distribution de médicaments. Ce délai de 72 heures peut être réduit à l'initiative du pharmacien en fonction de la compatibilité avec la poursuite optimale du traitement du patient.

La rupture de stock est définie comme l'impossibilité de fabriquer ou d'exploiter un médicament (article R.5124-49-1 du code de la santé publique).

Le sujet est complexe parce que les causes sont multifactorielles. Il existe cinq grandes familles de causes. Les premières concernent les défauts des outils de production. Vient ensuite le manque de matières premières et d'articles de conditionnement. Le troisième facteur a trait à la capacité de production insuffisante et, dans le même temps, à l'augmentation des volumes des ventes. De leur côté, les contrôles de médicaments peuvent ne pas être conformes, à la suite, en particulier, d'inspections. Enfin, la dernière famille recouvre les autres motifs, par exemple les modifications d'autorisation de mise sur le marché (AMM), les arrêts de commercialisation et les enjeux logistiques.

Ces causes différentes appellent des réponses adaptées, qu'il s'agisse d'une situation de monopole, d'une production dans un seul site, d'une augmentation des indications médicales, de la taille des populations traitées, des nouveaux marchés, des besoins en fonction d'enjeux sanitaires, des enjeux de sécurité et de qualité, etc. Nous sommes également responsables de la qualité du médicament et de la sécurité sanitaire des populations traitées.

Les risques de pénuries présentent par ailleurs des facteurs conjoncturels. Une demande et une consommation plus élevées de ces médicaments pèsent évidemment sur leur disponibilité. Tel a été le cas au plus fort de la pandémie de covid-19, au cours des derniers mois pour certains antibiotiques (notamment l'amoxicilline) ou pour les substances à base de paracétamol, dans un contexte de triple épidémie (bronchiolite à VRS, grippe et infection par la covid-19).

Le phénomène n'est pas nouveau. Nous constatons son accroissement lié à la fois à des incitations aux signalements et à des tendances de fond à moyen terme (croissance de la demande des marchés émergents, crises internationales, etc.).

Le nombre de déclarations de ruptures ou de risques de ruptures de stock de médicaments dits d'intérêt thérapeutique majeur (MlTM) n'a cessé d'augmenter ces dernières années. Il a été multiplié par 9 entre 2016 et 2022. Les causes des pénuries de médicaments sont multifactorielles. Elles sont principalement liées à la mondialisation de la production de médicaments, qui entraîne une fragmentation et une complexité accrue de la chaîne de fabrication et d'approvisionnement.

Les augmentations significatives constatées à partir de 2019 s'expliquent en partie par la loi de financement de la sécurité sociale, qui a introduit l'obligation pour les industriels de signaler les risques de rupture le plus en amont possible, mais également par la pandémie de covid-19, qui a accentué les pénuries de médicaments. Ce constat a été aggravé en 2022 par la situation géopolitique, la crise énergétique et la reprise de l'inflation.

Les risques de rupture et les ruptures de stock touchent essentiellement des médicaments commercialisés depuis longtemps, dits médicaments matures, beaucoup moins les médicaments récemment mis sur le marché.

L'ANSM analyse ces signalements et met en oeuvre les mesures nécessaires pour réduire l'impact des tensions d'approvisionnement pour les patients. Ces mesures vont jusqu'à l'importation de médicaments similaires.

Parmi les signalements de ruptures ou risques de ruptures, les classes thérapeutiques les plus touchées ont été, en 2022, le système cardiovasculaire (environ 29 %), le système nerveux (19 %) et les anti-infectieux (14 %).

Il s'agit d'un phénomène international. Je vous donne deux exemples que nos concitoyens connaissent.

Le paracétamol, en premier lieu, fait l'objet de tensions d'approvisionnement depuis plusieurs mois. Les causes de ces tensions reposent notamment sur l'augmentation de la consommation, liée à l'ampleur importante des trois épidémies saisonnières inédites de ces dernières semaines, bronchiolite, grippe et covid-19. L'impact de la situation géopolitique est également à prendre en compte, en particulier pour l'accès au carton et à l'aluminium, matières premières indispensables pour conditionner le paracétamol. Il est frappant de noter qu'en 2022, près de 10 millions de boîtes de paracétamol pédiatrique supplémentaires ont été vendues par rapport à 2021. L'enquête du PGEU (Pharmaceutical Group of European Union) du 10 janvier 2023 montre que la quasi-totalité des pays européens connaît des tensions. La France, de son côté, est le plus important consommateur de paracétamol parmi cinq pays, que ce soit pour le marché global ou pour les dosages enfants, devant le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne, selon les chiffres d'IQVIA - Midas.

De son côté, l'amoxicilline, seule ou en association à l'acide clavulanique, fait l'objet de fortes tensions d'approvisionnement en France. Les formes les plus impactées sont principalement les suspensions buvables en flacon, qui sont majoritairement prescrites en ville pour les enfants. Les laboratoires expliquent ces tensions en amoxicilline par l'augmentation très importante de la consommation en antibiotiques, couplée à des difficultés sur les lignes de production industrielle. Lors de la pandémie, la demande en amoxicilline avait très fortement diminué, conduisant à une réduction voire un arrêt de certaines lignes de production, qui n'ont pas retrouvé leur capacité d'avant la pandémie.

Ces constats m'incitent à rappeler les enjeux cruciaux de lutte contre l'antibio-résistance, une menace mondiale majeure pour la santé publique selon l'organisation mondiale de la santé (OMS), et l'importance du bon usage des antibiotiques.

Vous avez déjà entendu la HAS et l'ANSM. Je vous rappelle que différentes institutions sont mobilisées en France dans la politique du médicament. Pour accéder au marché, le candidat médicament doit d'abord obtenir l'AMM à la vue de critères d'efficacité, de tolérance (assise sur la notion de bénéfices/risques), de qualité et de sécurité favorables. Elle est délivrée soit par l'Agence nationale de sécurité du médicament et de produits de santé (ANSM), soit par son homologue européen, l'EMA (European Medicines Agency), par procédure centralisée ou de reconnaissance mutuelle. Presque toutes les innovations thérapeutiques font désormais l'objet d'une procédure centralisée. Dans un deuxième temps, interviennent la décision prise par l'assurance-maladie puis la fixation du prix du médicament ayant préalablement obtenu son AMM. La Haute autorité de santé (HAS) intervient notamment sur l'évaluation du SMR (service médical rendu) et de l'ASMR (amélioration du service médical rendu) des médicaments par la Commission de la transparence. Vient ensuite l'évaluation économique et de santé publique (avis d'efficience) produite par la Commission d'évaluation économique (CEESP).

Vous avez entendu ce matin le président du Comité économique des produits de santé (CEPS), qui est un organisme interministériel placé sous l'autorité conjointe des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et de l'économie. Il est principalement chargé par la loi de fixer les prix des médicaments et les tarifs des dispositifs médicaux à usage individuel pris en charge par l'assurance-maladie obligatoire. Le CEPS est composé de deux sections : la section du médicament et la section des dispositifs médicaux. Le CEPS, sur la base des travaux de la HAS applique les orientations ministérielles à la fixation des prix. La DGS siège au CEPS, où elle possède une voix.

L'ANSM est l'agence en responsabilité sur la prévention des pénuries de médicaments, en mobilisant tous les leviers à sa disposition (contingentement, recherche de repreneurs d'AMM, autorisations d'importations alternatives, etc.).

Enfin, la DGS s'inscrit au coeur des politiques de santé publique, de sécurité sanitaire, de bataille pour la qualité et de promotion de l'innovation et de la recherche. En tant que tutelle de l'ANSM et par son implication dans tous les domaines de la lutte contre les ruptures de médicaments, elle coordonne et anime la politique menée en matière de lutte contre les pénuries de médicaments. Elle porte notamment le cadre réglementaire dans le code de la santé publique, ainsi que la coordination des actions qui ont été progressivement portées dans le cadre d'une feuille de route pluriannuelle. Les situations préoccupantes sont signalées par l'ANSM et étudiées en réunion hebdomadaire de sécurité sanitaire, présidée par le directeur général de la santé.

Cette situation nécessite une mobilisation des autorités depuis plusieurs années. Des actions fortes sont portées par la France depuis plus de dix ans, avec un dispositif ambitieux. Le décret n° 2012-1096 relatif à l'approvisionnement en médicaments à usage humain du 28 septembre 2012 met en place les obligations suivantes pour prévenir les ruptures. Pour les exploitants, il s'agit de l'obligation d'information de l'ANSM par les exploitants en cas de rupture potentielle d'approvisionnement d'un médicament en précisant les délais de survenue, les stocks disponibles, les modalités de disponibilité et les délais prévisionnels de remise à disposition et l'identification des spécialités pouvant se substituer à la spécialité pharmaceutique en défaut. Il s'agit également de l'obligation d'approvisionner tous les établissements autorisés au titre d'une activité de grossistes-répartiteurs, afin de permettre le respect de leurs obligations de service public et de manière à couvrir les besoins des patients en France. Citons enfin l'obligation de mettre en place des centres d'appel d'urgence, organisés de manière à prendre en charge à tout moment les ruptures d'approvisionnement de médicaments.

Pour les grossistes-répartiteurs, le territoire de répartition est désormais soumis à autorisation du directeur général de l'ANSM. Il doit être compatible avec les obligations de service public. De leur côté, les obligations de service public sont renforcées avec l'approvisionnement en moins de 8 heures le samedi à partir de 14 heures, le dimanche et les jours fériés, et avec la possession de 9/10èmes des présentations des spécialités pharmaceutiques commercialisées en France. Enfin, les signalements des ruptures en médicaments à l'exploitant sont obligatoires.

Ce dispositif juridique a été renforcé en 2016. La France a alors élaboré des mesures de prévention des ruptures pour d'une part renforcer l'implication, les obligations et les responsabilités des différents acteurs de la chaîne du médicament, de l'entreprise pharmaceutique fabricante aux pharmacies d'officine, d'autre part définir la supervision de ce système par l'ANSM.

Ainsi, l'article 151 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (LMSS) a introduit, dans le code de la santé publique, des dispositions relatives à la lutte contre les ruptures d'approvisionnement de médicaments (articles L.5121-29 et suivants du code de la santé publique). Ces dispositions créent la notion de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MlTM). Elles imposent, notamment, des obligations spécifiques aux titulaires d'autorisation de mise sur le marché et aux exploitants de ces médicaments, comme l'élaboration et la mise en oeuvre des plans de gestion des pénuries pour les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, et de les soumettre à l'ANSM.

Le décret n° 2016-993 du 20 juillet 2016 relatif à la lutte contre les ruptures d'approvisionnement de médicaments a, quant à lui, pour objet principal de fixer les critères permettant d'identifier les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur devant faire l'objet d'un plan de gestion des pénuries. Il définit également le contenu de ces plans.

En complément, deux arrêtés des 26 et 27 juillet 2016 ont respectivement fixé la liste des vaccins et celles des classes thérapeutiques contenant des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, devant faire l'objet des plans de gestion des pénuries.

Ces mesures ont été progressivement mises en place à compter de l'été 2016 et au cours de l'année 2017.

La feuille de route 2019-2022 avait pour objectif, de son côté, de « lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France ». Elle a été construite pour répondre aux préoccupations des Français, autour de 28 actions regroupées en quatre axes :

- promouvoir la transparence et la qualité de l'information afin de rétablir la confiance et la fluidité entre tous les acteurs, du professionnel de santé au patient ;

- lutter contre les pénuries de médicaments par des nouvelles actions de prévention et de gestion sur l'ensemble du circuit du médicament ;

- renforcer la coordination nationale et la coopération européenne pour mieux prévenir les pénuries de médicaments ;

- mettre en place une nouvelle gouvernance nationale.

Les associations de patients, les acteurs de la chaîne du médicament et les autorités nationales compétentes se sont réunis dans des groupes de travail pour mettre en place des actions concrètes. Je souligne que ces actions ont été engagées malgré la crise sanitaire mondiale sans précédent survenue en janvier 2020. Surtout, elles ont été enrichies par des solutions innovantes acquises pendant la pandémie.

Concernant le renforcement des dispositifs juridiques de prévention et de gestion des pénuries de médicaments, je cite :

- le remplacement de médicaments pour les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) en rupture - dispositif aujourd'hui opérationnel (article 34 de la loi OTSS 2019) ;

- le renforcement de la capacité de régulation de l'ANSM pour lutter et anticiper les pénuries (article 48 de la LFSS 2020), avec le stock de sécurité permanent de deux mois pour tous les MITM et d'une semaine pour les autres médicaments (décret du 30 mars 2021 « stock »), calculé sur les 12 derniers mois glissants hors situation exceptionnelle, avec également des possibilités de dérogations à la hausse ou à la baisse.

- les plans de gestion des pénuries (PGP), outil innovant en France permettant de sécuriser la chaîne d'approvisionnement des principes actifs et des produits finis, tout MITM devant faire l'objet d'un PGP déposé par spécialité, selon des lignes directrices de l'ANSM ;

- le renforcement des sanctions en cas de non-respect des obligations des industriels en matière de lutte contre les ruptures (stock de sécurité, PGP, etc.), sujet autour duquel des sanctions ont été prononcées en 2022 ;

- l'actualisation des lignes directrices par l'ANSM relatives à la détermination des sanctions financières.

En outre, des inspections ont eu lieu en 2022. Je n'en ai pas reçu le bilan définitif. Plusieurs dizaines d'inspections ont cependant été réalisées. Plusieurs ont donné lieu à des écarts par rapport à la gestion des pénuries.

Le deuxième grand axe consiste à promouvoir la transparence et l'information autour des situations de ruptures. Il est majeur, pour nous, d'élargir l'accès des professionnels de santé aux plateformes d'information sur les pénuries, par la mise en place de solutions de partage d'information de disponibilité de médicaments accélérée par la crise de la covid-19 dont DP-Ruptures, développé par l'Ordre des pharmaciens. Un autre exemple concerne la refonte du site internet de l'ANSM afin de le rendre plus accessible au grand public.

Concernant l'axe qui consiste à améliorer la gestion et la sécurisation de l'ensemble de la chaîne du médicament, des travaux ont été engagés pour faire évoluer les modalités d'achat en établissements de santé.

Enfin, le quatrième axe a pour objectif de renforcer la souveraineté sanitaire afin d'éviter les pénuries en santé. Au niveau national, l'accord-cadre 2021-2024 a été signé entre Les entreprises du médicament (Leem) et le Comité économique des produits de santé (CEPS). Il mobilise des leviers pour renforcer le développement et la production des médicaments sur le territoire dans le souci de favoriser une souveraineté et une sécurité d'approvisionnement. Dans le cadre de « France Relance », de nombreux dispositifs visant à redévelopper des productions en France ont été lancés depuis 2020. Le ministère collabore aux différents outils mis en place par la direction générale des entreprises. Ces actions sont un pas décisif vers une plus grande souveraineté de la France et de l'Union Européenne. Je souhaite en outre citer un projet majeur au niveau européen. Le projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) est un instrument juridique à la disposition des États membres de l'UE qui permet de déroger, sous certaines conditions, aux règles contraignant les aides d'État afin de pouvoir financer directement leurs entreprises.

En conclusion, il y a eu de nombreux temps forts, dès 2012 (prévention), puis en 2016 (MITM), 2017 (plans de gestion), la feuille de route en 2019 et en 2021 (décret stocks). Pour autant, nous avons voulu tirer toutes les leçons de la crise majeure de la covid-19.

Signalons, en premier lieu, l'émergence des préparations hospitalières spéciales (PHS). Lors de la pandémie, le réseau des pharmaciens hospitaliers, l'Établissement pharmaceutique de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Santé publique France et l'ANSM ont été mobilisés par le ministère afin de permettre la production en urgence de préparations de cisatracurium, curare en rupture de stock. Un scale-up a été réalisé avec un sous-traitant privé pour les besoins des patients sur le territoire. La preuve de concept validée, le Cisatracurium 50 mg a été mis sur le marché en moins de trois mois. Quatre lots de 200 000 ampoules de Cisatracurium ont été distribués en juillet 2021 et quatre lots de 200 000 ampoules en 2022. Cette expérience, menée et réussie pendant la crise, a été pérennisée par l'article 61 de la LFSS 2022.

Un décret en Conseil d'État précise les modalités de mise en oeuvre. Ce décret définit les conditions d'autorisation temporaire des PHS pour des établissements pharmaceutiques, l'AGEPS ou la pharmacie centrale des armées, habilités à partir d'un cahier des charges. L'autorisation temporaire est délivrée soit par l'ANSM, soit par le ministre de la Santé. Ce texte est en cours de concertation, en vue d'une publication au second semestre 2023.

Une autre solution innovante issue de la crise concerne le partage d'informations. Durant la crise de la covid-19, de nombreuses mesures de la feuille de route ont vu le jour (par exemple, la plateforme e-Dispostock de suivi de certains produits de santé en PUI, qui permet la remontée de ces stocks et une supervision à la fois régionale par les ARS/Omédits et nationale).

Enfin, les premières actions de relocalisations ont été prévues. Le plan de relance engagé par le Gouvernement a été lancé pendant la crise. Il repose sur quatre piliers : améliorer notre compétitivité pour localiser davantage d'activités en France ; faire de la transition écologique un avantage comparatif ; moderniser notre appareil de production ; innover pour nous positionner sur des marchés d'avenir.

Dans le cadre de nombreux dispositifs visant à redévelopper des productions en France, les choix se sont portés pour une relocalisation des médicaments utiles dans la prise en charge des patients atteints de la covid-19 et la production des vaccins contre la covid-19 (sous-traitance). Ces actions sont extrêmement importantes pour la France. Elles sont un pas décisif vers une plus grande souveraineté de la France et de l'Union Européenne. Elles s'inscrivent pleinement dans la logique européenne.

Enfin, vous savez combien la DGS est active sur le champ de la logique européenne. L'enjeu est le renforcement de la coopération européenne. La pandémie a permis l'émergence d'une Europe de la Santé, le renforcement du rôle de l'Agence européenne du médicament et la création de HERA, agence de réponse aux crises de la Commission européenne. HERA nous pousse à tirer toutes les leçons de cette crise sanitaire mondiale. La réponse aux pénuries de médicaments ne peut être uniquement nationale. La garantie de la disponibilité des médicaments et des produits de santé est en effet un axe majeur pour tous les patients de l'Union Européenne.

Dans le cadre de la stratégie pharmaceutique pour l'Europe, la Commission a annoncé une proposition de texte au cours de ce trimestre. La France est au rendez-vous et reste très impliquée sur ce chantier, afin de promouvoir les mesures développées au niveau national (renforcement des obligations d'approvisionnement et de transparence, obligation de PGP au niveau de l'UE pour tout médicament essentiel, cartographie européenne des chaînes d'approvisionnement). Les textes sont actuellement en relecture interservices de la Commission. L'approbation par les commissaires est prévue le 29 mars 2023.

Mesdames et Messieurs, le bilan de la mobilisation et des actions menées en France depuis plus de dix ans pour anticiper et réduire l'impact des tensions sur les médicaments est important. Nous devons cependant nous adapter à un contexte particulièrement évolutif. Nous tirons toutes les leçons de la pandémie et sommes pleinement mobilisés face aux difficultés rencontrées pour mieux anticiper, accroître encore notre réactivité, intégrer davantage la dimension saisonnière, disposer d'une cartographie des risques, sécuriser au mieux les produits à fort enjeu de santé publique, renforcer et approfondir la feuille de route, avec des solutions pré-armées et une cinétique d'action efficace, mieux informer et accompagner les patients, premiers concernés et acteurs clés, et bien entendu collaborer de façon efficace et en temps réel avec tous les professionnels de santé, avec une attention toute particulière pour les prescripteurs et les pharmaciens. Nous devons nous préparer à gérer au mieux les situations difficiles à venir, en renforçant la réponse européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Sonia de La Provôté

Je vous remercie pour ce tour complet et la remise en perspective de l'ensemble des décisions d'évolutions réglementaires et législatives. Je donne immédiatement la parole à ma collègue rapporteure.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Merci, Madame la Présidente. Monsieur le Directeur général de la santé, je vous remercie pour vos explications extrêmement fournies. Nous avons vu votre mobilisation et celle de vos services pleine et entière. Compte tenu de l'ensemble des mesures que vous avez mises en avant, précisément, comment expliquez-vous que la situation continue de se dégrader ? N'y a-t-il pas eu un manque d'anticipation ? Je pense notamment à la convergence de trois risques importants, la covid-19, la bronchiolite et la grippe. Il ne s'agissait pas d'un scoop, pour le monde de la santé, que d'assister à ce type d'infections hivernales, même si elles ont été simultanées. Ne pensez-vous pas, par conséquent, qu'il y a eu un manque d'anticipation ?

Dès lors que la presse s'est fait l'écho de nombreuses pénuries, par ailleurs, les plus emblématiques ayant concerné le Doliprane et l'amoxicilline, n'avez-vous pas été saisis, en amont, par des personnels de santé qui se sont inquiétés ? Je pense au milieu hospitalier, qui avait vu les menaces arriver et sentait que les productions internes à l'hôpital feraient défaut. Avez-vous été alertés en amont ? Si la réponse est affirmative, avez-vous pu ou non réagir ?

Les pénuries touchent un grand nombre d'aires thérapeutiques. Les associations de patients et la Ligue contre le cancer font état de pertes de chances importantes. Mettez-vous en place un suivi des conséquences sanitaires des pénuries ? Sous quelle forme pouvez-vous mettre en oeuvre ce dispositif ? Finalement, quel bilan sanitaire dressez-vous des phénomènes de pénurie constatés ? Je ne parle pas des plus récents. Ils durent depuis une dizaine d'années. Possédez-vous une évaluation des conséquences sanitaires ?

Les autres questions concernent davantage le moratoire sur les baisses de prix des génériques stratégiques. Estimez-vous que les prix des spécialités matures soient véritablement trop bas ? La commission d'enquête est extrêmement sensible à ces sujets. En effet, il est question d'une pénurie de produits matures, mais pas au niveau des produits innovants. Il est indiqué que les prix des produits matures sont trop faibles, expliquant en partie les difficultés rencontrées. Corroborez-vous ou non cette analyse ? En contrepartie des hausses de prix, en outre, les industriels doivent s'engager sur une sécurisation de l'approvisionnement du marché français. Cette volonté vous paraît-elle réaliste dès lors que les fabricants de principes actifs sont parfois en situation de monopole ? En outre, la LFSS pour 2022 permet d'intégrer l'implantation industrielle comme critère dans la négociation des prix. Cette mesure était d'application directe, mais il semblerait qu'elle ne soit pas encore mise en oeuvre. Pourquoi ?

Enfin, nous avons été alertés sur la pénurie structurelle d'un médicament vital pour les patients qui en ont besoin. Il s'agit du plasma. Les prélèvements effectués sous l'égide de l'Établissement français du sang (EFS) sont insuffisants pour faire face au besoin. Le laboratoire de fractionnement et des biotechnologies (LFB) est un producteur français et public. À ce titre, il devrait être à même de satisfaire l'ensemble des besoins des Françaises et des Français. Malheureusement, la situation est compliquée. Je souhaiterais connaître votre analyse et la façon dont vous entendez remédier à cette pénurie, qui pèse lourdement sur la qualité des soins prodigués aux patients concernés. Au sein de cette commission d'enquête, nous sommes extrêmement préoccupés par les risques encourus par le LFB, qui pèsent de façon induite sur l'ensemble du système national du don du sang. Nous sommes toutes et tous très attachés à ce service public et au principe du don gratuit, qui constituent une particularité que nous souhaitons défendre au niveau de notre pays.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon

Je commence par préciser un point important. Nous avons cité les deux pénuries récentes qui ont été fortement médiatisées, de façon légitime puisqu'il s'agit de deux molécules auxquelles nos concitoyens sont extrêmement attachés, l'amoxicilline et le paracétamol. La situation s'améliore. Il est important de le signaler. La situation s'améliore nettement sur le front de l'amoxicilline. Elle est presque normalisée sur le front du paracétamol. Il est frappant de constater que, du point de vue des habitudes de prescription et des habitudes de « consommation », les Français sont attachés à un certain nombre de molécules. Nous devons y être attentifs. Nous devons également être attentifs aux particularités internationales. Les pratiques sont différentes en effet chez nos voisins ou aux États-Unis.

Avons-nous été victimes d'un défaut d'anticipation ? Nous avons traversé une pandémie sans précédent. Le fait de subir trois épidémies simultanément était quasiment inédit en France. Les conséquences de la pandémie sur la production industrielle intervenues parallèlement ont probablement conduit à la situation extrêmement tendue enregistrée notamment à l'automne.

Nous essayons d'anticiper. La DGS et l'ANSM ont la volonté absolue de disposer du plus grand nombre d'informations en amont. Concernant l'anticipation par les professionnels, nous sommes en contact avec eux de façon permanente. Nous tenons donc compte de l'ensemble des signaux émis, tant par les professionnels de santé de ville que par les professionnels de santé hospitaliers. Je saisis l'occasion pour évoquer nos collègues en charge des préparations magistrales. Il s'agit d'une spécificité française que de posséder une quarantaine d'officines capables de les fabriquer. Elles se sont révélées extrêmement utiles. Certes, la contrainte est particulière. L'investissement de la part des pharmaciens est significatif. Il s'agit cependant d'une force dans la crise d'avoir mis en avant à la fois les préparations hospitalières spéciales et les préparations magistrales par des officines de ville. Ces dernières ont permis de produire de façon considérable les médicaments dont les Français avaient besoin. Je salue les pharmaciens d'officine.

Concernant les conséquences, il est important de rappeler que la consommation d'antibiotiques est liée à la croissance des résistances. S'agissant des pertes de chance pour les patients, le phénomène évidemment nous préoccupe. Nous tentons de le mesurer. La mesure est néanmoins complexe pour plusieurs raisons. En premier lieu, les absences totales de traitement sont relativement rares. En revanche, nous souhaitons que les patients et les professionnels de santé nous signalent ces pertes de chance. Des travaux ont déjà été réalisés, en particulier par des sociétés savantes dans le champ du cancer. Je souhaite rappeler deux points. Tout d'abord, tout effet indésirable grave en France peut être déclaré par l'ensemble des Français. Il existe un portail de signalement dédié, qui bascule ensuite vers l'ANSM. En outre, les académies, en particulier l'académie de pharmacie, sont mobilisées sur le recueil d'événements indésirables graves. Certains CHU ont également mené des travaux. La Ligue contre le cancer, de son côté, a examiné les conséquences sur la survie du patient lorsqu'il était difficile de se fournir certains médicaments. Le dispositif de suivi permanent de l'état de la population fait par conséquent partie de nos enjeux, selon l'approche de pharmacovigilance de l'ANSM, mais également selon une approche de santé publique. Cette dernière peut être portée par Santé publique France sur le champ de l'évolution de la résistance aux antibiotiques ou par l'Institut du cancer en cas de difficulté de prise en charge.

Je saisis l'occasion pour rappeler que la France est l'un des plus importants consommateurs d'antibiotiques. Les prescriptions et l'adhésion du patient à son traitement doivent être parfaites. Je salue le rôle des médecins prescripteurs et des pharmaciens dans le domaine.

S'agissant de la polémique sur les prix, votre question recouvre deux aspects. Un premier sujet concerne le prix des médicaments matures qui serait trop faible. Une seconde question porte sur le prix réel de l'innovation. Sur ces deux questions, la Première ministre a lancé une mission il y a quelques jours. Nous serons attentifs à ses conclusions. Ma position de DGS est particulière. Il est extrêmement difficile de savoir à quoi correspond le prix de l'innovation. Un article, publié dans le British Medical Journal il y a quelques jours, nous interroge collectivement sur la construction du prix de l'innovation. Ce travail de recherche reprend l'histoire des grandes entreprises pharmaceutiques. Il s'interroge sur le fait que le prix de l'innovation recouvre objectivement d'autres dépenses que celles consacrées à la recherche et à l'innovation. En outre, la question se pose des avantages cliniques et thérapeutiques qu'apporte l'innovation. Les innovations peuvent être extrêmement intéressantes sur le plan médical sans nécessairement être coûteuses.

Une réponse partielle aux enjeux du prix du médicament passe par l'Europe. Nous avons fortement encouragé le partage d'informations au niveau européen. De nombreux groupes de travail ont eu lieu. La DGS soutient la mise en oeuvre d'un règlement pour renforcer le rôle de l'Agence européenne du médicament. Nous sommes ambitieux pour cette agence.

Il existe, de surcroît, une nouvelle agence de réponse aux crises, l'autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire, HERA, directement rattachée à la commissaire Santé de l'Union européenne. Le DGS et le DGE participent aux boards d'HERA. Nous pesons pour disposer de mesures incitatives optionnelles permettant à cette agence de stimuler la mise sur le marché de molécules. Nous sommes très impliqués dans ces travaux. Nous avons également poussé pour que, sur la base du volontariat, des États membres puissent procéder à des achats et des négociations de prix conjoints. Enfin, sur la fixation des prix, qui n'entre pas dans le champ de compétences de l'Union européenne, nous menons une réflexion sur une cartographie commune, sur une réponse aux crises, sur le renforcement du cadre de lutte et sur la place d'HERA pour acquérir des stocks donnant des capacités de réponse en situation de crise, notamment dans le champ des antimicrobiens.

La réponse est donc européenne. La DGS est en première ligne dans l'évolution du paysage européen.

Vous avez évoqué, par ailleurs, le modèle français dans le champ des produits sanguins labiles et des médicaments dérivés du sang. Je distingue ces deux sujets. Les produits sanguins labiles présentent un enjeu d'autosuffisance pour nos concitoyens. Il s'agit de disposer de poches de sang en cas de besoin. Les donneurs, en France, vieillissent. Nous devons mobiliser de nouveaux donneurs. Je remercie celles et ceux qui se mobilisent pour donner leur sang. De son côté, le LFB se voit fournir le plasma par l'EFS. Ce producteur est impliqué dans la production de médicaments dérivés du sang sur un marché mondialisé. Une mission d'inspection est en cours sur la chaîne constituée de l'EFS et du LFB pour s'assurer que le modèle français solidaire est maintenu. La question du marché des médicaments dérivés du sang, quant à elle, constitue un enjeu de concurrence européenne et mondiale auquel nous sommes attentifs. En revanche, nous ne sommes pas dans l'autosuffisance des médicaments dérivés du sang, le marché étant mondialisé. Nous faisons appel à des importations le cas échéant.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Merci, Monsieur le Directeur. J'ai posé une question sur les pertes de chance. Je pense avoir compris que le dispositif que vous avez mis en place est un dispositif d'inventaire, avec un portail et une approche de pharmacovigilance et de santé publique. La Ligue contre le cancer va plus loin, évoquant une vie raccourcie. Existe-t-il par conséquent un autre dispositif ?

Vous avez évoqué, par ailleurs, les préparations magistrales. Vous avez précisé que certaines conditions devaient être respectées. Notre commission doit certes dresser un bilan, mais ouvrir également des pistes de réflexion. Ne serait-il pas intéressant, par conséquent, d'approfondir ces possibilités de production de médicaments, en donnant par exemple davantage de moyens à l'AGEPS ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sonia de La Provôté

Je donne également la parole aux membres de la commission d'enquête qui souhaitent vous interroger.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Imbert

Merci, Madame la Présidente. Je souhaite évoquer le cas concret du vaccin contre la grippe à l'automne 2020. Les officines précommandent des vaccins en janvier 2020. Dès le mois de juin 2020, les laboratoires annoncent aux pharmaciens l'impossibilité de commander davantage de vaccins. La campagne de vaccination débute en octobre 2020. Quelle a été l'action de la DGS ? Pourquoi n'avons-nous pas été capables de demander aux laboratoires de commander davantage de vaccins contre la grippe, tandis que la demande s'annonçait plus importante que les années précédentes ?

Debut de section - PermalienPhoto de Émilienne Poumirol

Je reviens sur HERA. Des préconisations et des orientations précises ont-elles été prises depuis sa création ? S'agissant de la production par l'Ageps ou pharmacie centrale des armées, pensez-vous qu'il soit possible d'envisager une production publique des médicaments sur liste, qui permettrait d'anticiper les ruptures et de réduire les coûts ?

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Schillinger

Ma question est taquine. Vous avez indiqué que la France consomme davantage d'antibiotiques que ses voisins européens. Les médecins bénéficient-ils d'une aide financière en prescrivant davantage d'antibiotiques ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sonia de La Provôté

Je me permets de compléter par quelques questions. Nous savons que, parmi les médicaments anticancéreux, le prix du Fluorouracile est 5 à 10 % plus élevé en Allemagne, 50 à 100 % plus élevé dans les pays nordiques. Or nous rencontrons une difficulté d'approvisionnement concernant ce médicament, qui présente pourtant un intérêt thérapeutique majeur. Le prix du médicament constitue par conséquent un élément essentiel. Quel est votre regard sur le sujet ?

Ma deuxième question concerne les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur. Ils représentent environ 50 % des médicaments en France. La révision engendrera probablement une restriction du nombre de ces médicaments. Quel est l'état des réflexions sur le sujet ? 6 000 produits sous contrainte représentent en effet un sujet.

Enfin, ma troisième question porte sur la gouvernance. Les interlocuteurs sont multiples. Il existe une difficulté de gouvernance. Il manque un chef de file identifié. Aux États-Unis, par exemple, la Food and Drug Administration (FDA) décide que, pour un certain nombre de médicaments, la date de péremption peut être allongée. Les délais sont rapides. La question de l'agilité revient souvent. Dans les périodes de difficultés conjoncturelles, en particulier, l'agilité doit primer.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon

Je commence par vos questions, Madame la Présidente. Je suis d'accord au sujet de l'agilité. En revanche, des procès sont régulièrement intentés contre la FDA, accusée de mélanger soutien à la recherche, rôle de « gendarme », rôle de régulateur, etc. La question est de savoir si les temps du circuit du médicament doivent ou non être scindés, qui est particulièrement complexe. L'animation existe. Nous n'avons pas cité l'ensemble des acteurs du gouvernement (direction de la sécurité sociale DSS, assurance-maladie, direction générale des entreprises DGE, direction générale de la recherche et de l'innovation DGRI). Je ne suis pas certain, en tout état de cause, qu'un modèle soit plus performant que les autres modèles. Le sujet mérite d'être interrogé.

Sur le sujet des listes, la question de la criticité médicale se pose. Nous ne pouvons pas nous substituer aux spécialistes. Nous avons mobilisé les sociétés savantes, seules à même de dresser la liste des médicaments indispensables. Nous les remercions pour ce travail. Cela étant, la réflexion devrait également être européenne. Par ailleurs, il existe un second aspect, relatif à la criticité industrielle. Le médicament peut être critique sans poser de difficulté de production ou d'accès. Dans ce cas, il existe deux filtres. Le médicament est-il indispensable ? Est-il potentiellement critique ? En termes industriels, le mot « critique » ne signifie pas nécessairement que le médicament est produit loin de France ou loin de l'Europe. L'ANSM peut par exemple identifier une situation de monopole problématique, même si l'unique usine est située à proximité.

Je ne suis pas certain que le grand nombre de médicaments dans la liste représente une difficulté. Certes, la liste est longue. Nous disposons cependant de leviers face au MITM, avec des plans de gestion, des stocks, etc. Nous sommes potentiellement plus actifs.

Vous avez posé la question des prix. Le vaccin antigrippal saisonnier repose sur le pari de la circulation des virus grippaux de la saison épidémique suivante dès le mois de février. Les virus circulant dans l'hémisphère sud sont vus comme les virus qui circuleront dans l'hémisphère nord l'automne suivant pour respecter le délai incompressible de fabrication des vaccins. Les pharmaciens et le Gouvernement ont donc peu de temps pour décider. Jusqu'à présent, les pharmaciens commandaient leurs vaccins de façon responsable, en tenant compte de leur patientèle. En 2020, la situation était particulière. Un contrat Santé publique France est venu en complément de l'État. Nous avons reproduit ce cas de figure en 2021 et 2022. Nous pouvons ainsi nous rapprocher des officines pour anticiper la saison. La grippe reste néanmoins un virus mutant. Nous pouvons rencontrer des surprises. Il est par conséquent difficile d'anticiper les saisons grippales.

Vous avez parlé des achats et de la place d'HERA. Il s'agit d'une agence nouvelle à laquelle je participe, extrêmement mobilisée sur les situations d'urgence face aux crises. Des fonds européens ont été mobilisés sur la constitution de stocks. Nous sommes mobilisés par conséquent sur la question des stocks dédiés à des situations d'urgence sanitaire et, plus généralement, dans les réponses aux situations de crise.

S'agissant du Fluorouracile, je ne suis pas informé d'une demande de modification de prix. Le sujet est essentiellement hospitalier. Nous ferons le point sur le sujet. Nous vous répondrons par écrit.

Je reviens aux questions de madame la rapporteure, qui souhaitait en premier lieu que je reprécise le modèle de surveillance. L'événement indésirable grave classique est lié à un médicament pris tandis qu'il n'aurait pas dû l'être ou à un médicament manquant. La difficulté concerne la question de la présomption : un événement de santé imprévu est-il lié ou non à la non-prise d'un médicament ? Je prends l'exemple caricatural d'une méningite, sans antibiotiques disponibles. Il s'agit d'un effet indésirable gravissime avec décès. Ces événements remontent systématiquement. Le système n'est donc pas dédié à l'absence de médicament. Le système de surveillance porte en revanche sur les effets secondaires d'un médicament et sur les effets de la substitution ou de l'absence d'un médicament. Il assure de surcroît une surveillance de l'état de santé de la population. Les survenues d'événements graves remontent systématiquement, notamment par les ARS. Le dispositif n'est pas passif ; il permet une surveillance permanente, tout signalement grave étant étudié sans délai en réunion de sécurité sanitaire.

Vous avez évoqué, à plusieurs reprises, la possibilité de constitution d'un pôle public. La réflexion me paraît essentielle. Je me permets de citer le rapport complet et récent de Laurence Cohen. Il existe plusieurs exemples, au Brésil, aux États-Unis, en Inde et en Suisse. Ils nous permettent de faire avancer notre réflexion sur la possibilité de révisions de prix tout au long de la vie d'un médicament. De son côté, le modèle américain est intéressant, même s'il pose des questions sur le traitement équitable des laboratoires. Je souhaite en outre ajouter un élément de temporalité. Vous avez cité les préparations magistrales. Il existe également les préparations hospitalières spéciales. Le champ des officines et le champ de l'hôpital sont extrêmement différents. Ces deux dispositifs me paraissent fondamentaux car ils permettent de réagir rapidement. Le temps est différent de celui de la création potentielle d'un pôle public de fabrication qui serait pérenne. Il est différent également du temps de relocalisation d'une entreprise. Dans ce cas, la réponse est rapide et opérationnelle. Il s'agit d'un bel exemple de réponse agile, en particulier si nous devons rapidement déclencher une production dans le cadre du plan blanc du médicament. La réflexion sur un pôle public de production doit ainsi être menée ; néanmoins, je pense que le fait de disposer de solutions déjà testées est fondamental.

Je n'ai pas beaucoup parlé de l'avenir. Vous m'avez interrogé sur la manière d'améliorer encore la situation. Je suis extrêmement modeste et humble au regard de la situation évolutive et multifactorielle que nous connaissons. Les enjeux, de surcroît, sont mondiaux. Les solutions ne peuvent, de leur côté, qu'être européennes. Nous avançons néanmoins sur de nombreuses pistes avec le ministre, qu'il a partagées il y a quelques jours avec l'ensemble des acteurs.

La première piste est celle de la liste des médicaments critiques, sur laquelle nous devons aboutir désormais dans les prochaines semaines.

La deuxième piste est tout aussi fondamentale pour patients et professionnels. Il s'agit de renforcer la communication et l'information. L'absence d'information est source de stress pour le pharmacien et son client. L'enjeu des logiciels est de renforcer l'information des pharmaciens d'officine. Nous devons pousser l'information depuis l'ANSM. Il en va de même pour les établissements de santé. Des groupes de travail sont en place sur le sujet. Ils associent notamment les associations de patients.

Le troisième axe est celui du plan blanc face à une crise. Il s'agit de répondre aux crises de façon plus puissante, puisqu'à l'échelle européenne (avec HERA et l'EMA, notamment). Au niveau national, l'ANSM disposerait en outre de solutions à mettre en action face à une crise majeure.

Enfin, nous devons davantage tenir compte de la saisonnalité. Il existe en effet des pics de consommation. L'anticipation par les professionnels, les sociétés savantes, les hôpitaux est essentielle. Il s'agit en outre d'anticiper les signaux faibles émis par les acteurs en amont du circuit.

Je tiens à être précis. Une partie de la réponse passe par les bonnes pratiques et le bon usage, comme éviter l'automédication, par exemple.

Enfin, l'axe de la production est évidemment essentiel. Il n'entre cependant pas dans le champ de la DGS.

Par ailleurs, une mission est en cours sur les génériques. Nous sommes mobilisés sur la partie relative à la santé publique. Enfin, l'article 65 de la LFSS 2022 est en cours de mise en oeuvre. Il permet de cibler les médicaments concernés et les engagements d'approvisionnement associés.

Les sujets sont extrêmement complexes. La France est probablement un des pays les mieux structurés pour répondre aux enjeux de pénurie, avec des innovations qui intéressent nos voisins européens et que nous portons pour une action européenne concertée face aux crises.

Debut de section - PermalienPhoto de Sonia de La Provôté

Je vous remercie pour la précision de vos réponses. Je vous invite à apporter des réponses écrites au questionnaire que nous vous ferons parvenir. Vous pourrez aborder tout sujet que vous jugerez utile en complément.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 14 h 50.