Intervention de Jérôme Salomon

Commission d'enquête Pénurie de médicaments — Réunion du 28 février 2023 à 13h30
Audition de M. Jérôme Salomon directeur général de la santé

Jérôme Salomon :

Je commence par vos questions, Madame la Présidente. Je suis d'accord au sujet de l'agilité. En revanche, des procès sont régulièrement intentés contre la FDA, accusée de mélanger soutien à la recherche, rôle de « gendarme », rôle de régulateur, etc. La question est de savoir si les temps du circuit du médicament doivent ou non être scindés, qui est particulièrement complexe. L'animation existe. Nous n'avons pas cité l'ensemble des acteurs du gouvernement (direction de la sécurité sociale DSS, assurance-maladie, direction générale des entreprises DGE, direction générale de la recherche et de l'innovation DGRI). Je ne suis pas certain, en tout état de cause, qu'un modèle soit plus performant que les autres modèles. Le sujet mérite d'être interrogé.

Sur le sujet des listes, la question de la criticité médicale se pose. Nous ne pouvons pas nous substituer aux spécialistes. Nous avons mobilisé les sociétés savantes, seules à même de dresser la liste des médicaments indispensables. Nous les remercions pour ce travail. Cela étant, la réflexion devrait également être européenne. Par ailleurs, il existe un second aspect, relatif à la criticité industrielle. Le médicament peut être critique sans poser de difficulté de production ou d'accès. Dans ce cas, il existe deux filtres. Le médicament est-il indispensable ? Est-il potentiellement critique ? En termes industriels, le mot « critique » ne signifie pas nécessairement que le médicament est produit loin de France ou loin de l'Europe. L'ANSM peut par exemple identifier une situation de monopole problématique, même si l'unique usine est située à proximité.

Je ne suis pas certain que le grand nombre de médicaments dans la liste représente une difficulté. Certes, la liste est longue. Nous disposons cependant de leviers face au MITM, avec des plans de gestion, des stocks, etc. Nous sommes potentiellement plus actifs.

Vous avez posé la question des prix. Le vaccin antigrippal saisonnier repose sur le pari de la circulation des virus grippaux de la saison épidémique suivante dès le mois de février. Les virus circulant dans l'hémisphère sud sont vus comme les virus qui circuleront dans l'hémisphère nord l'automne suivant pour respecter le délai incompressible de fabrication des vaccins. Les pharmaciens et le Gouvernement ont donc peu de temps pour décider. Jusqu'à présent, les pharmaciens commandaient leurs vaccins de façon responsable, en tenant compte de leur patientèle. En 2020, la situation était particulière. Un contrat Santé publique France est venu en complément de l'État. Nous avons reproduit ce cas de figure en 2021 et 2022. Nous pouvons ainsi nous rapprocher des officines pour anticiper la saison. La grippe reste néanmoins un virus mutant. Nous pouvons rencontrer des surprises. Il est par conséquent difficile d'anticiper les saisons grippales.

Vous avez parlé des achats et de la place d'HERA. Il s'agit d'une agence nouvelle à laquelle je participe, extrêmement mobilisée sur les situations d'urgence face aux crises. Des fonds européens ont été mobilisés sur la constitution de stocks. Nous sommes mobilisés par conséquent sur la question des stocks dédiés à des situations d'urgence sanitaire et, plus généralement, dans les réponses aux situations de crise.

S'agissant du Fluorouracile, je ne suis pas informé d'une demande de modification de prix. Le sujet est essentiellement hospitalier. Nous ferons le point sur le sujet. Nous vous répondrons par écrit.

Je reviens aux questions de madame la rapporteure, qui souhaitait en premier lieu que je reprécise le modèle de surveillance. L'événement indésirable grave classique est lié à un médicament pris tandis qu'il n'aurait pas dû l'être ou à un médicament manquant. La difficulté concerne la question de la présomption : un événement de santé imprévu est-il lié ou non à la non-prise d'un médicament ? Je prends l'exemple caricatural d'une méningite, sans antibiotiques disponibles. Il s'agit d'un effet indésirable gravissime avec décès. Ces événements remontent systématiquement. Le système n'est donc pas dédié à l'absence de médicament. Le système de surveillance porte en revanche sur les effets secondaires d'un médicament et sur les effets de la substitution ou de l'absence d'un médicament. Il assure de surcroît une surveillance de l'état de santé de la population. Les survenues d'événements graves remontent systématiquement, notamment par les ARS. Le dispositif n'est pas passif ; il permet une surveillance permanente, tout signalement grave étant étudié sans délai en réunion de sécurité sanitaire.

Vous avez évoqué, à plusieurs reprises, la possibilité de constitution d'un pôle public. La réflexion me paraît essentielle. Je me permets de citer le rapport complet et récent de Laurence Cohen. Il existe plusieurs exemples, au Brésil, aux États-Unis, en Inde et en Suisse. Ils nous permettent de faire avancer notre réflexion sur la possibilité de révisions de prix tout au long de la vie d'un médicament. De son côté, le modèle américain est intéressant, même s'il pose des questions sur le traitement équitable des laboratoires. Je souhaite en outre ajouter un élément de temporalité. Vous avez cité les préparations magistrales. Il existe également les préparations hospitalières spéciales. Le champ des officines et le champ de l'hôpital sont extrêmement différents. Ces deux dispositifs me paraissent fondamentaux car ils permettent de réagir rapidement. Le temps est différent de celui de la création potentielle d'un pôle public de fabrication qui serait pérenne. Il est différent également du temps de relocalisation d'une entreprise. Dans ce cas, la réponse est rapide et opérationnelle. Il s'agit d'un bel exemple de réponse agile, en particulier si nous devons rapidement déclencher une production dans le cadre du plan blanc du médicament. La réflexion sur un pôle public de production doit ainsi être menée ; néanmoins, je pense que le fait de disposer de solutions déjà testées est fondamental.

Je n'ai pas beaucoup parlé de l'avenir. Vous m'avez interrogé sur la manière d'améliorer encore la situation. Je suis extrêmement modeste et humble au regard de la situation évolutive et multifactorielle que nous connaissons. Les enjeux, de surcroît, sont mondiaux. Les solutions ne peuvent, de leur côté, qu'être européennes. Nous avançons néanmoins sur de nombreuses pistes avec le ministre, qu'il a partagées il y a quelques jours avec l'ensemble des acteurs.

La première piste est celle de la liste des médicaments critiques, sur laquelle nous devons aboutir désormais dans les prochaines semaines.

La deuxième piste est tout aussi fondamentale pour patients et professionnels. Il s'agit de renforcer la communication et l'information. L'absence d'information est source de stress pour le pharmacien et son client. L'enjeu des logiciels est de renforcer l'information des pharmaciens d'officine. Nous devons pousser l'information depuis l'ANSM. Il en va de même pour les établissements de santé. Des groupes de travail sont en place sur le sujet. Ils associent notamment les associations de patients.

Le troisième axe est celui du plan blanc face à une crise. Il s'agit de répondre aux crises de façon plus puissante, puisqu'à l'échelle européenne (avec HERA et l'EMA, notamment). Au niveau national, l'ANSM disposerait en outre de solutions à mettre en action face à une crise majeure.

Enfin, nous devons davantage tenir compte de la saisonnalité. Il existe en effet des pics de consommation. L'anticipation par les professionnels, les sociétés savantes, les hôpitaux est essentielle. Il s'agit en outre d'anticiper les signaux faibles émis par les acteurs en amont du circuit.

Je tiens à être précis. Une partie de la réponse passe par les bonnes pratiques et le bon usage, comme éviter l'automédication, par exemple.

Enfin, l'axe de la production est évidemment essentiel. Il n'entre cependant pas dans le champ de la DGS.

Par ailleurs, une mission est en cours sur les génériques. Nous sommes mobilisés sur la partie relative à la santé publique. Enfin, l'article 65 de la LFSS 2022 est en cours de mise en oeuvre. Il permet de cibler les médicaments concernés et les engagements d'approvisionnement associés.

Les sujets sont extrêmement complexes. La France est probablement un des pays les mieux structurés pour répondre aux enjeux de pénurie, avec des innovations qui intéressent nos voisins européens et que nous portons pour une action européenne concertée face aux crises.

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